La société créée de fait : entre fiction et réalité

21 juin 2021

La société créée de fait _ entre fiction et réalité

« Être ou ne pas être : telle est la question » (William Shakespeare, Hamlet). 

Bien qu’au fondement d’une réflexion essentielle sur l’humanité, cette interrogation ne se limite toutefois pas au champ des simples individus : encore faut-il se pencher sur le cas des sociétés, et ce, particulièrement lorsqu’est débattue devant les tribunaux l’existence d’une société créée de fait

Retour sur cette notion peu connue des entrepreneurs, aux implications pourtant redoutables à leur égard.

I – La société créée de fait : quand la réalité rattrape les associés

1) Définition

Par principe, une société résulté de la volonté d’une ou plusieurs personnes qui mettent en commun des ressources dans le but de faire fructifier une activité (C. civ., art. 1832 in fine).

Généralement, la société est considérée comme telle une fois son lot de formalités accomplies, mais il se peut qu’elle soit qualifiée ainsi prématurément par le juge au vu du comportement des associés. 

Dans ce cas, on parlera d’une société « créée de fait » et non « de droit » puisqu’elle ne résultera pas de démarches juridiques mais d’éléments factuels.

2) Illustrations

On distingue globalement quatre hypothèses : 

  • Cas n°2 : La société est découverte entre des personnes qui, sans même en avoir conscience, se sont comportées comme de véritables associés (ex : exploitation commune d’une entreprise par des concubins) ; 
  • Cas n°3 : La société est rétablie par le juge qui, face à un groupement mal qualifié juridiquement, lui réattribue sa véritable qualification (ex : un groupement qualifié à tort d’association par ses fondateurs malgré la réalisation de bénéfices) ; 
  • Cas n°4 : La société est dissoute par l’arrivée de son terme mais les associés en poursuivent l’exploitation 

Exemple : créée en 2001 pour 20 ans, la société avait vocation à exister jusque 2021 mais les associés l’exploitent toujours en 2023 sans avoir prorogé son terme, c’est-à-dire sans avoir officiellement rallongé sa durée d’existence

Ici, les juges préfèrent la qualification de société « devenue » de fait puisqu’elle avait été créée de droit mais se poursuit dans les faits

II – La société créée de fait : le juge, diseur de fiction

1) Preuve

La société créée de fait repose entièrement, comme son nom l’indique, sur des éléments de fait (la réalité). Elle consiste cependant, en tout et pour tout, à attribuer à ces derniers une consistance juridique en leur collant par fiction une forme d’étiquette, afin d’y attacher des règles de droit. 

Le juge sera seul compétent pour opérer cette qualification et en tirer les conséquences qui s’ensuivent ; mais pour qu’il puisse fonder pertinemment son appréciation, il faut que la personne désireuse de voir reconnue de fait la société étaye suffisamment ses allégations. 

Dans ce cadre, il est à noter que les preuves requises varient selon la qualité de l’intéressé : 

  • Si le plaideur se prétend associé d’une société créée de fait, il devra démontrer l’existence de la société en prouvant ses trois éléments constitutifs, à savoir des apports (généralement en industrie), une intention commune de s’associer sur un pied d’égalité (l’affectio societatis) et une participation aux résultats de l’activité, bénéficiaires comme déficitaires.

C’est l’hypothèse, par exemple, du concubin qui a participé à l’activité économique de sa moitié et veut toucher sa part lors de leur séparation

  • Si le plaideur est un tiers qui souhaite faire reconnaître l’existence de la société créée de fait, les juges tolèrent qu’il démontre simplement l’apparence de cette société (qu’elle avait l’air réelle)

C’est l’hypothèse, par exemple, du tiers qui souhaite recouvrer plus facilement une créance qu’il a à l’encontre de l’un des associés en généralisant ses recours en paiement contre tous les associés (v. infra pour explications)

2) Enjeux 

Le Code civil ne définit pas la société créée de fait, mais la soumet en son article 1873 au régime de la société en participation. On comprend mieux, à l’aune des règles encadrant cette dernière, les effets de cette qualification et leur utilité selon les hypothèses : 

  • Effet n°1 : La société ne pourra avoir la personnalité morale et n’aura de facto pas de patrimoine propre. Elle ne fera donc pas écran vis-à-vis des associés, qui contracteront en leur nom propre avec les tiers et seront tenus indéfiniment voire solidairement des dettes sociales (si la société est commerciale ou ostensible)

Les fondateurs dépassant le cadre de la société en formation sont donc sanctionnés car ils subiront davantage de risques que s’ils avaient respectés les règles

  • Effet n°2 : L’existence de la société pourra se prouver par tous moyens 

Le régime probatoire est très favorable au demandeur, quel qu’il soit

  • Effet n°3 : La société pourra prendre fin à tout moment sur décision de l’un des associés, et sa dissolution donnera lieu au partage des bénéfices entre eux

En cas de rupture d’un concubinage, le concubin ayant participé à l’activité de sa moitié ne sera donc pas laissé sans le sou, bien que les tribunaux soient devenus plus rigides dans leur appréciation 

Mêlant fiction et réalité, la société créée de fait est donc le théâtre d’un curieux scénario ; sa chute, toutefois, pourrait ne pas plaire à l’entrepreneur mal averti

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