Comment  protéger entièrement le parfum contre les imitations ?

21 janvier 2025

La composition d’un parfum rime avec précision chirurgicale et possibilités de combinaisons infinies. Pourtant, force est de constater que le marché est témoin de ressemblances frappantes entre différentes créations. 

Plusieurs noms sont utilisés pour qualifier ces ressemblances : la populaire contrefaçon, le moderne “dupe”, ou encore la simple inspiration. Malgré une utilisation trop souvent alambiquée, ces appellations permettent de classifier le degré de ressemblance avec la création originelle. 

La contrefaçon prévue par les dispositions pénales du code de la propriété intellectuelle englobe toute sorte de reproduction au mépris des dispositions relatives à la propriété des auteurs1. En parfumerie, la contrefaçon s’analyse en l’utilisation délibérée du packaging, nom et logo de la marque légitime de nature à tromper le consommateur. De manière générale, elle sera de qualité inférieure et distribuée dans des places de marché où la marque légitime n’est pas commercialisée. 

Le dupe quant à lui, peut se définir comme l’imitation d’un produit qui jouit d’une notoriété relative sans prétendre pour autant être le produit original. Si les deux jus peuvent se ressembler, il en sera autrement pour le packaging. De même pour le prix qui se veut en général nettement plus abordable que le produit de référence.

L’inspiration enfin, peut s’appréhender comme une composition olfactive qui emprunte certains éléments caractéristiques, tels que des accords, des notes ou des structures devenus l’ADN d’une création existante, tout en apportant des variations subtiles. Un clin d’œil à une fragrance célèbre sans pour autant chercher à l’usurper. 

Si sa quantification est difficile car il englobe une large gamme de produits souvent non officielle ou vendus sans traçabilité rigoureuse, le marché des dupes pourrait représenter 10 milliards de dollars en 20252. La contrefaçon de parfums à l’échelle nationale, s’élève à plus de 640 000 articles saisis en 2023, soit plus du double de l’année précédente3.

Le marché des imitations n’est pas sans conséquences pour les marques légitimes : il induit une perte de chiffre d’affaires et atteint nécessairement le prestige et l’image de la marque. 

La protection juridique des parfums quant à elle se montre asymétrique. Le flaconnage ou “packaging” bénéficie d’une protection à la fois large et variée grâce à son statut d’œuvre de l’esprit (I). La fragrance qui est contenue dans ce flaconnage ne jouit pas de cette reconnaissance, ce qui ouvre l’opportunité légale d’imiter une marque légitime en ne modifiant que le flaconnage. Pour autant, les effets de certains outils juridiques permettent de protéger la fragrance de manière indirecte et d’agir en prévention de l’imitation redoutée (II). 

I – La protection exclusive du flaconnage contre les imitations

A – Le flaconnage protégé par la propriété intellectuelle

Le code de la propriété intellectuelle vise un ensemble non exhaustif d’objets de la contrefaçon. Néanmoins, la jurisprudence a refusé d’ériger la fragrance en œuvre de l’esprit et par voie de conséquence de reconnaître le parfumeur comme auteur au sens du code de la propriété intellectuelle. La cour de cassation a réaffirmé, à l’occasion de la décision Jean Paul Gaultier c/ Senteur Mazal, que « la fragrance d’un parfum qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire, ne constitue pas au sens des articles L.112-1 et L112-2 du Code de Propriété intellectuelle, la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur »4.

C’est l’action fondée non pas sur le jus lui-même mais sur un flaconnage qui sera admise sur le fondement de L.111-1 dudit code qui prévoit que « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », si le produit prétendument contrefait reprend l’identité visuelle de l’original. 

B – Le flaconnage protégé par l’action pour parasitisme économique

Le terrain du droit de la concurrence peut également être exploré. L’action pour parasitisme économique peut être un instrument efficace. Certes, elle apporte une difficulté supplémentaire par rapport à l’action en contrefaçon puisqu’elle charge le demandeur d’apporter la preuve de l’existence d’une faute commise par le défendeur5. Néanmoins, ce fondement offre une protection large du parfum. 

C’est sur ce fondement  que la société Guerlain est parvenue à obtenir gain de cause auprès de la Cour d’Appel de Paris. Les juges ont ainsi fait interdiction à la société belge de commercialiser toute la collection “La Petite Fleur” qui rappelait des éléments de forme distinctifs de la collection Guerlain “La Petite Robe Noire” de nature à établir que les similitudes n’avaient pu être fortuites6. “La Petite Robe Noire” et sa copie litigieuse  “La Petite Fleure Noire”, partagent, en plus de leur packaging, des accords communs : griotte, réglisse, amande, vanille et agrumes. Pour autant, la ressemblance troublante des jus n’a pas été officiellement soulevée dans le cadre du litige. 

II – Les options légales à considérer pour protéger la fragrance

A – La non-reconnaissance de l’odeur comme oeuvre de l’esprit 

Cette position prudente s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation mais ne fait pas pour autant consensus. Les juges du fond ont en effet tendance à reconnaître le statut de propriété intellectuelle à la fragrance. Ce fut d’abord le cas à l’occasion de l’affaire Mugler contre Molinard. Le parfum Angel commercialisé par la société Thierry Mugler s’est affirmé dans les années 90 comme un OVNI et précurseur de la catégorie des parfums gourmands. Cette création audacieuse se compose d’accords improbables mêlant la barbe à papa au cumin ou encore le muguet au chocolat. Quelques mois après cette entrée sur la scène parfumée, Molinard rééditait Nirmala, parfum qui se situait désormais dans la même famille olfactive qu’Angel. La société Thierry Mugler intenta alors une action auprès du Tribunal de commerce de Paris, reprochant au défendeur d’avoir contrefait sa célèbre création. Après une expertise ordonnée par le président du Tribunal, les juges admettaient que “la création de nouveaux parfums est le résultat d’une véritable recherche artistique, souvent longue, par des créateurs spécialisés, qu’il s’agit donc indéniablement d’une oeuvre de l’esprit” et ont jugé en l’espèce que “Le parfum Angel de la société Thierry Mugler Parfums est une fragrance originale susceptible d’appropriation au titre des droits d’auteur”7

Malgré une jurisprudence constante qui refuse de reconnaître la fragrance comme une œuvre de l’esprit, certains jugements semblent faire acte de rébellion8. La Cour de cassation semble donc avoir légèrement reformulé sa jurisprudence en admettant que “le droit d’auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu’autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication”9 sans pour autant consacrer sa qualité d’œuvre de l’esprit. Pour tenter d’harmoniser cette protection asymétrique, il faut s’intéresser aux effets d’autres outils.

B – Les possibilités entrouvertes de prévention de l’imitation de la fragrance

À défaut de pouvoir utiliser les voies curatives, certaines démarches juridiques permettent de se prémunir contre l’imitation des jus. En théorie, l’on peut être tenté de résoudre la question par le biais de la propriété industrielle et plus précisément le brevet. Toutefois, le dépôt de brevet vise à “Protéger une invention technique, c’est-à dire un produit ou un procédé qui apporte une nouvelle solution technique à un problème technique donné”10. Le caractère nouveau de la solution ne pourra pas être satisfait, pas plus que celui de solution à un problème technique (bien que certaines effluves en transports en commun puissent s’ériger en problème particulièrement incommodant). 

Depuis 2015, le droit des marques déposées semble pouvoir protéger une fragrance. À ce moment dénommée CJCE, la Cour de Justice de l’UE avait en 2002 admis le dépôt d’une marque ou d’un signe imperceptible11à condition qu’il puisse faire l’objet d’une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective”. Pourtant, elle excluait d’office l’odeur en ajoutant que “Les exigences de la représentation graphique n’étant pas remplies par une formule chimique, par une description au moyen de mots écrits, par le dépôt d’un échantillon d’une odeur ou par la combinaison de ces éléments”. 

La Directive européenne du 16 décembre 2015 transposée supprime l’exigence de représentation graphique de la phase d’enregistrement de la marque. Il suffit alors à la fragrance, pour être enregistrée, d’être distinctive des produits des autres entreprises ou représentée au sein d’un registre “D’une manière qui permettre aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à son titulaire”12. Malgré la possibilité ouverte par la directive, l’usage pratique de cette possibilité est encore limité, et il n’y a pas à l’heure actuelle d’exemples d’odeurs déposées comme marques en Europe. De fait, l’enregistrement d’une marque olfactive nécessite une description extrêmement précise et parfois des démonstrations techniques pour prouver que l’odeur est bien distinctive. 

Par ailleurs, subsiste la possibilité de protéger l’odeur par le biais du secret des affaires. Au sens du Code de commerce, une information est qualifiée de secret des affaires en réunissant trois conditions cumulatives : l’information doit être secrète, avoir une valeur intrinsèque et être protégée13. Elle peut donc  être un savoir-faire, une recette ou une composition parfumée14. La Loi du 30 juillet 2018 permet alors de protéger les créations non reconnues par le droit de la propriété intellectuelle, dont l’odeur. La reproduction ou la divulgation du secret de fabrication d’un parfum, même obtenu de manière licite, sans l’accord de son détenteur légitime  pourra alors engager la responsabilité civile de son auteur. Cette protection peut encore être étendue avant l’utilisation redoutée grâce au mécanisme d’action préventive visé à l’article R.152-1 du Code de commerce. L’action préventive permet au détenteur légitime du secret de solliciter auprès du juge compétent des mesures provisoires et conservatoires proportionnées. 

Au-delà des voies purement juridiques, il devient nécessaire pour l’entreprise de parfumerie désireuse de se prémunir contre les imitations d’investir dans son conseil juridique afin d’explorer pleinement ces possibilités entrouvertes. Il lui est également conseillé de capitaliser sur la qualité distinguée de ses matières premières – à l’image de la fragrance Portrait of a Lady signée par les Editions de Parfums Frédéric Malle qui réunit quelques 400 roses turques pour un seul flacon – et sur la performance unique de la fragrance originale en termes de longévité, d’évolution, de projection ou encore de sillage, éléments généralement recherchés par le consommateur.

  1. Légifrance.gouv Art. L335-2 du Code de la propriété intellectuelle ↩︎
  2. Formation.lamy-liaisons “Propriété intellectuelle du parfum” ↩︎
  3. Economie.gouv “Contrefaçon de parfums : comment les reconnaître ?” ↩︎
  4. Cass. comm, 1 juillet 2008 n° 07-13.952 publié au bulletin; Cass. Civ. 1ère, 13 juin 2006, pourvoi 02-44718 ↩︎
  5. CJCE, 12.12.2002, Affaire C-273.00, Sieckman ↩︎
  6. CA Paris, 1re Chambre, 20 septembre 2023  n° 21/19365 ↩︎
  7. Trib. comm. Paris, 24 septembre 1999 S.A. Thierry Mugler Parfums c/ S.A  G.L.B. Molinard ↩︎
  8. CA Paris, 14 fév. 2007 ; CA Aix-en-Provence,10 déc. 2010 ↩︎
  9. Cass. comm, 10 décembre 2013, pourvoi n °11-19.872 ↩︎
  10. INPI.FR – Ce qui est brevetable ou pas ↩︎
  11. CJCE, 12.12.2002, Affaire C-273.00, Sieckman ↩︎
  12. Art. 3 Directive UE 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques ↩︎
  13. Art. L 151-1 du Code de commerce ↩︎
  14. Champollion-avocat.com – Protection des secrets d’affaires : précisions procédurales apportées par le décret du 11 décembre 2018 ↩︎

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