Si les frontières entre les mannequins et les artistes-interprètes semblent parfois floues, il convient de distinguer ces deux dispositifs réalisés sur-mesure, et d’étudier leur conception extensible afin d’appliquer la présomption de salariat aux influenceurs dans le cadre d’un prochain article En effet, lorsque l’influenceur apparaît dans un contenu réalisé par une entreprise ou une marque la qualification envisageable s’aligne à deux catégories pré-existantes, le mannequin (I), et l’artiste- interprète (II).
I. La comparaison inévitable avec le mannequin
« La notoriété, cette inconnue », en 1971 cet oxymore permettait à Monsieur Claude- Albéric Maetz de débuter sa thèse. Le constat était le suivant : « la valeur économique représentée par la notoriété n’est pas, en tant que telle, au cœur des préoccupations juridiques, tout du moins des préoccupations du législateur français. ». Près de quarante ans plus tard, ce constat reste à nuancer, car la notoriété est implicitement abordée par le statut juridique accordé aux mannequins, possiblement transposable aux influenceurs.
Au fil des années, l’image des personnes, des célébrités, des artistes ou désormais des influenceurs est devenue très attractive. Si le phénomène prend de l’ampleur aujourd’hui, le pouvoir accordé à l’image ne date pourtant pas d’hier. Dès la fin du XIXe siècle, la célèbre tragédienne Sarah Bernhardt prêtait son image aux biscuits « Petit Lu ».
Sera considéré au regard du Code du travail comme mannequin « la personne chargée soit de présenter au public directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ; soit de poser comme modèle avec ou sans utilisation ultérieure de son image. ». Pour les entreprises c’est la personnalité du mannequin qui est déterminante, il est primordial que le sujet apparaisse en lui- même et joue son propre rôle. Les prestations du mannequin répondent à des besoins d’esthétisme et de communication à destination de tous les publics.
La directive du Conseil du 10 septembre 1984 définit la publicité comme « toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services, y compris les biens immeubles, les droits et obligations ».
Prêter son image ainsi que sa notoriété à une marque pour promouvoir son service ou son produit auprès de sa propre communauté est l’objet principal du métier d’influenceur. La nature intrinsèque de l’activité d’influenceur est donc très proche de celle du mannequin. En effet, les influenceurs n’offrent finalement pas autre chose que le droit d’accéder à leur image et à leur nom.
Lorsque l’influenceur est notoire, l’image de ce dernier devient pour les entreprises un vecteur de promotion et un facteur de rentabilité non négligeables. Le législateur français ajoute que le régime du mannequin s’applique même si cette activité « n’est exercée qu’à titre occasionnel », c’est aussi le cas pour les influenceurs.
L’activité des influenceurs a généralement des fins publicitaires. Or, les frontières entre les mannequins et les artistes interprètes semblent floues dans les activités à fins publicitaires, il s’agira d’en définir les contours.
II. L’inéluctable rapprochement avec le statut d’artiste-interprète
Au regard de l’article L. 212-1 du CPI « l’artiste-interprète ou exécutant est la personne qui présente chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnette. » La liste présentée par l’article L. 712-2 du Code du travail n’étant pas limitative, il est possible de voir apparaître de nouvelles catégories, et pourquoi pas la catégorie de l’influenceur ?
Storyboards, mémos, ou encore scénarios, l’influenceur se met en scène en suivant des directives données par l’entreprise dont il promeut les produits ou les services. Mais peut-on qualifier ces dernières comme des œuvres de l’esprit ? L’article L. 112-1 du CPI énonce que « les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». Sous réserve de son originalité, il est possible qu’un scénario publicitaire soit considéré comme une œuvre de l’esprit. Les œuvres publicitaires sont conçues pour promouvoir un produit ou service dans le cadre d’une campagne publicitaire. À titre d’exemple, sont des créations protégées par le droit d’auteur des « photoboards », car ils sont une synthèse graphique des vidéoclips publicitaires.
« J’aurais voulu être un artiste » : Nombreux sont ceux qui souhaitent reprendre à leur compte les paroles de la chanson écrite par Luc Plamondon « Les blues du Businessman ». C’est notamment le cas de certains candidats de télé-réalité qui ont cherché à revendiquer la qualité d’artiste-interprète pour bénéficier de la présomption de salariat. L’écho à la fameuse affaire « Ile de la tentation » est essentiel au développement.
La cour d’appel de Versailles précisait alors que « le métier d’acteur consiste à interpréter un personnage autre que soi-même. » (CA Versailles, 5 avr. 2011, n°10/02621). La cour d’appel de Paris quant à elle avait précisé antérieurement que pour être qualifié d’artiste-interprète, il était nécessaire que l’aspirant artiste démontre qu’il apporte une « contribution originale et personnelle à travers sa prestation » (CA Paris, 2e ch., 3 mai 1996). Ce n’était pas le cas de ces candidats de télé-réalité qui n’avaient pas joué de rôle, ni lu de texte. Il leur était uniquement demandé d’être eux-mêmes, aussi artificielles que soient les situations dans lesquelles ils ont pu se trouver. Toutefois, si le verbe tenter ne rime pas avec jouer, il rime avec le verbe travailler. La Haute juridiction interrogée sur cette problématique a pu considérer que les participants étaient des travailleurs mais pas des artistes-interprètes (Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, n° 11-19.091.)