Influenceurs : la sollicitation contractuelle de l’œuvre de l’esprit par les entreprises

4 décembre 2021

La e-réputation peut être considérée comme une des mines d’or prolifiques de notre siècle. Aujourd’hui si l’influenceur gagne en notoriété et en e-réputation, c’est parce qu’il se veut original et audacieux. Cette hardiesse plaît aux entreprises. Celles-ci décident de promouvoir leurs services et produits en sollicitant les influenceurs par le biais de conventions, qui ne seront pas sans conséquences sur les droits d’exploitation de l’œuvre. Il convient d’étudier successivement le contrat de production audiovisuelle (I), et le contrat de commande pour la publicité (II).

I. La place particulière du producteur dans le cadre du contrat de production audiovisuelle

Dès le début du XXIe siècle, la cour d’appel de Rennes a explicitement reconnu qu’un site internet pouvait constituer « un support publicitaire». Les juges des référés ont également précisé que « la situation est exactement identique à celles des publicités dans la presse ou des annonces à diffusion restreinte. ». Ce constat est d’autant plus important qu’il s’agit d’un constat d’évidence. Toutefois, si les sites sont plutôt des sites vitrines, ils ne sont pas véritablement interactifs. La e- publicité n’en était alors qu’à ses balbutiements. Les influenceurs facilitant l’interaction sont aujourd’hui davantage privilégiés par les entreprises.

D’après la 25ème édition de l’Observatoire de l’e-pub du SRI (Syndicat des régies internet), le marché français de la publicité digitale atteint plus de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires net sur l’ensemble de l’année 2020, contre près de 3 milliards en 2013.

Il convient de se demander si la publicité et la communication commerciale sur l’internet relèvent de la communication comme « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée. ». La réponse est affirmative.

Aujourd’hui, les publicités audiovisuelles nécessitent dans la plupart des cas, compte tenu des objectifs et des parts de marché visées, d’avoir recours aux services d’un influenceur. Le contrat de production audiovisuelle est aujourd’hui régi par les articles L.132-23 et suivants du CPI.

Le producteur est une personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation d’une œuvre audiovisuelle. Cette acceptation est transposable à la relation entre l’entreprise et l’influenceur. L’entreprise va solliciter l’influenceur ou son agence afin de réaliser une vidéo dont l’objectif est de promouvoir ses produits ou services. Elle va prendre en charge la réalisation tant matérielle que financière de cette vidéo.

Le producteur n’est pas présumé être le coauteur de l’œuvre, à défaut d’apparaître dans la liste présente à l’article L.113-7 du CPI, néanmoins il se voit automatiquement céder les droits exclusifs d’exploitation de l’œuvre audiovisuelle par le contrat conclu avec les auteurs.
Le but de ce contrat est d’assurer la meilleure exploitation possible de l’œuvre audiovisuelle. Sans ce contrat, l’entreprise devrait obtenir toutes les autorisations préalables de chaque intervenant à l’œuvre audiovisuelle, ce qui est un casse-tête matériel et économique. Le contrat de production audiovisuelle permet donc à l’entreprise, considérée comme productrice de réunir entre ses mains les droits de propriété intellectuelle des différents intervenants dans le processus de création, à savoir les auteurs comme les interprètes.

Cette position semble peu avantageuse pour l’influenceur. Il convient d’en étudier une seconde plus profitable à ce dernier.

II. L’essor de la demande d’œuvres de commande pour la publicité auprès des influenceurs

En amont à la création d’un contenu, l’entreprise va généralement cibler un influenceur pour promouvoir un de ses produits ou services. La notoriété de l’influenceur lui accorde un pouvoir de suggestion sur sa communauté lui permettant de mieux promouvoir. À première vue, le contrat conclu sera considéré comme un contrat d’entreprise. Il s’agit d’une convention par laquelle une personne, l’influenceur, s’oblige contre rémunération à exécuter un travail de façon indépendante et sans représenter son cocontractant, l’entreprise. Il est essentiel d’aller plus loin sur la caractérisation de la prestation attendue de la part de l’influenceur, il est attendu de lui de promouvoir un bien ou un service. Son rôle est de faire une publicité.
Une publicité est « toute forme de message diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée. ». Elle est également définie de manière sectorielle concernant les publicités comparatives comme « toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services. ».

Plus précisément, l’influenceur va créer un contenu autour du produit à promouvoir, l’objet du contrat sera la réalisation par l’influenceur d’une œuvre de l’esprit pour l’entreprise. Il s’agit donc d’un contrat de commande pour la publicité, variante du contrat d’entreprise. C’est en 1985, que le CPI a intégré en son sein le contrat de commande de publicité afin d’encadrer les relations entre les agences de publicité et les créateurs par un système d’accords collectifs. L’œuvre de commande sera réalisée par un influenceur, considéré comme un créateur indépendant à la demande d’une entreprise, productrice. L’entreprise va remettre à cet influenceur un cahier des charges, et va financer la création de l’ œuvre. Concernant, une œuvre de commande pour la publicité, le contrat conclu entre l’influenceur et l’entreprise va automatiquement entraîner, sauf clause contraire, la cession à l’annonceur des droits d’exploitation de l’œuvre, dès lors que la contrat précise un prix distinct dû pour chaque mode d’exploitation en fonction notamment de la zone géographique, de la durée de l’exploitation, de l’importance du tirage et de la nature du support. Les droits ne seront cédés que dans le cadre de la campagne publicitaire envisagée, à l’exclusion de toute autre utilisation. Il est nécessaire de préciser que ce régime contractuel ne prive pas l’influenceur de ses droits sur l’œuvre qu’il a créé. La Haute juridiction a affirmé que l’article L.132-41 du CPI ne remet pas en question d’indisponibilité du droit moral de l’auteur.

Si le législateur français a pris le soin de créer ce nouveau régime sui generis, c’est qu’il reconnaît la particularité des œuvres publicitaires. Toutefois, ce dernier devrait être réadapté afin de prendre en considération la publicité digitale, puisque tous les nouveaux canaux de communication utilisés par l’influenceur sont autant d’occasions, pour qui cherche à vanter les mérites d’un produit ou d’un service, et donc de faire de la publicité.

L’entreprise peut également s’adresser à des agences dites de « marketing d’influence ». Ces agences penseront pour l’entreprise un dispositif sur-mesure. C’est le planner stratégique qui choisira avec l’entreprise les influenceurs avec qui l’entreprise va contractualiser. Toutefois, l’article L. 132-31 du CPI ne s’applique pas aux rapports entre l’annonceur (entreprise) et l’agence de publicité (agence de marketing d’influence), ces dispositions régissant les seuls contrats consentis par l’auteur, personne physique, dans l’exercice de son droit d’exploitation et non ceux que peuvent conclure, avec des sous-exploitants, les cessionnaires ou les personnes investies par la loi sur les œuvres collectives de ce droit.

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