Si l’assimilation des influenceurs aux statuts de mannequins et artistes-interprètes a précédemment été exposée dans un premier article, il s’agit de revenir ici sur le potentiel accès au salariat des inflluenceurs. Bénéficier de la qualité de mannequin ou d’artiste-interprète permettra à l’influenceur de profiter de droits qui diffèrent, mais cette qualité leur permettra avant tout de disposer de la présomption de salariat.
I. La présomption légale de salariat s’appliquant aux artistes-interprètes et mannequins,
S’inspirant de la jurisprudence (Cass. civ., 29 juin 1922 : DP 1922, 1, p. 125), le législateur a fait entrer le travail des artistes et des mannequins dans le champ du Code du travail. Sont assujettis au régime général de ce même code, les artistes-interprètes qui remplissent les conditions de l’article L. 721-3 du Code du travail qui dispose que « tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production est présumée être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans les conditions impliquant une inscription au Registre du commerce ».
À l’image de l’artiste-interprète, le mannequin bénéficie d’une présomption légale de contrat de travail. Les articles L.7123-3 et L.7123-4 du Code du travail disposent que « tout contrat par lequel une personne s’assure moyennant rémunération, le concours d’un mannequin est présumé être un contrat de travail » et que « la présomption de l’existence du contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties. Elle n’est pas non plus détruite par la preuve que le mannequin conserve une entière liberté d’action pour l’exécution de son travail de prestation ».
II. L’extension de la présomption aux influenceurs
Si ce n’est que d’une large manière que l’influenceur pourra être assimilé à un artiste-interprète, les dispositions supplémentaires concernant le mannequin permettent de confondre une nouvelle fois la qualité de mannequin avec celle de l’influenceur. L’application de la présomption de salariat est indifférente que le mannequin soit payé en nature, notamment en vêtements de la marque portés lors de séances photographiques (CA Paris, 5 oct. 2016, n°13/11535). À l’instar des mannequins, les influenceurs sont fréquemment payés en nature, par le biais notamment de vêtements ou sacs à main. Aussi, même en l’absence d’encadrement et de contrôle de la prestation de l’influenceur par l’annonceur ou l’agence d’influence, ce dernier pourrait bénéficier du statut de mannequin (Cass. 2eme civ., 13 dec. 2005, n°04-30.457)
Au regard de ces dernières constatations, il est possible d’avancer que l’activité de l’influenceur pourrait correspondre à la définition de l’activité de mannequin, lui permettant de bénéficier de la présomption du contrat de travail. En pratique, les conséquences de cette présomption ne sont pas négligeables puisque c’est l’application du Code du travail et du régime général de la sécurité sociale qui sont en jeu.
L’opération de qualification de l’influenceur est sans conteste un moment clef du raisonnement juridique qui permettra « de saisir les réalités dans l’univers conceptuel du droit pour tenter d’en déduire les conséquences juridiques » (BERGEL (J-L.), « À la recherche de concepts émergents en droit », Dalloz, 2012, p. 1567.) Cet « exercice de traduction » doit être considéré comme un art permettant aux juges d’interpréter les règles de droit. À travers la technique du « forçage de contrat », la Haute juridiction exploite depuis longtemps la présomption de salariat attachée à l’activité des mannequins. Son objectif est de fonder l’assujettissement aux cotisations de rémunérations versées en contrepartie de la commercialisation du nom ou encore de l’image des personnes dotées d’une grande notoriété. La deuxième Chambre civile a récemment excellé en la matière. La Cour de cassation a estimé que les contrats par lesquels des sportifs assurent, moyennant rémunération, la promotion des équipements de sport en les portant à l’occasion de diverses manifestations sont présumés être des contrats de travail de mannequin (Cass. 2eme civ., 12 mai 2021, n°19-24.610)
Les présentateurs télévisés (Cass. 2eme civ., 7 mai. 2009, n°08-10.524) comme les acteurs (Cass. 2eme civ., 25 avr. 2013, n°11-26.323) qui commercialisent leur image ou leur nom font aussi l’objet d’une intégration forcée dans le régime du mannequinat. Il est essentiel de s’attendre à ce que la condition juridique des influenceurs soit clarifiée dans un futur proche par la Haute juridiction, il faut espérer que ce débat ne soit pas uniquement confié à sa deuxième Chambre civile mais à son Assemblée plénière.