« Big Bercy is watching you ». Les internautes ont désormais du souci à se faire, car l’administration fiscale peut désormais éplucher massivement leurs données personnelles sur leurs réseaux sociaux afin de constater s’ils sont l’auteur d’une fraude fiscale ou non, à l’aide du Data-mining.
I – La mise en place de contrôles fiscaux poussés
Après de longs débats parlementaires, un décret permettant au ministère de l’Économie et des Finances de collecter massivement des données sur les réseaux sociaux pour détecter des fraudes a été adopté. Ce décret très récent (n°2021-148), a été adopté le 13 février 2021 et est en vigueur depuis le 14 février 2021.
L’adoption de ce décret a été malgré tout houleuse. De nombreux parlementaires ont fait boucliers face à cette proposition, selon eux cela porterait atteinte à la vie privée. Mais le Conseil Constitutionnel a finalement fait pencher la balance en validant le dispositif en affirmant que la lutte contre la fraude fiscale et le fait de ne pas faire une enquête à chaque soupçon de fraude trouvé par les algorithmes est un « objectif de valeur constitutionnelle ».
Les outils pour ce traçage sont alors mentionnés à l’article 154 de la loi de Finances pour 2020.
Ainsi, les données collectées peuvent être des données des réseaux sociaux, comme Instagram, Facebook, Twitter ou LinkedIn. Mais cela pourra également viser les plateformes de mise en relation entre particuliers comme Airbnb, Leboncoin ou Blablacar.
Une fois les données collectées par la DGFiP, le data-mining est utilisé. Le data-mining est une technique d’exploration de données qui analyse et recoupe à l’aide d’algorithmes, les informations collectées afin de repérer des profils de fraude. Ainsi, le data-mining croisera les différentes données collectées des contribuables telles que leurs comptes bancaires, et désormais leurs publications sur les réseaux, afin de détecter une fraude fiscale. Celui-ci est très efficace, en 2019, 100 000 cas de dossiers douteux ont été mis à jour.
Cependant, la nouvelle arme de Bercy n’est pas seulement digitale. Bercy diversifie ses armes de détection notamment par le biais de l’article 168 du Code général des impôts évoque « En cas de disproportion marquée entre le train de vie d’un contribuable et ses revenus, la base d’imposition à l’impôt sur le revenu est portée à une somme forfaitaire déterminée en appliquant à certains éléments de ce train de vie le barème ci-après », un barème à retrouver au sein de l’article précité.
II – Un objectif précis visé par Bercy
Jusqu’à présent, le fisc ne pouvait utiliser que des données issues de ses propres fichiers comme par exemple les comptes bancaires, mais aussi les données des autres administrations.
Par le biais de la mise en place de ces puissants algorithmes, l’administration fiscale peut ainsi détecter de nombreuses fraudes fiscales telles que les trafics illicites, le commerce à grande échelle sans le déclarer, si la domiciliation fiscale est frauduleuse, etc. Les influenceurs et autres personnalités publiques sont donc les principales cibles de Bercy dans cette traque à la fraude. En effet, ils exposent énormément leur vie sur les réseaux sociaux, une source d’informations très utile pour l’administration fiscale.
Ce procédé avait déjà été utilisé par exemple en 2019 sur l’affaire concernant l’héritage de Johnny Hallyday. Dans cette affaire le fisc a pu établir, grâce à un tableau de géolocalisation d’Instagram par l’analyse de ses publications, que Johnny Hallyday était un résident fiscal français, et non américain.
Caroline Receveur est également dans le viseur du fisc depuis un certain temps. Elle est en effet, accusée d’avoir domicilié certaines de ses sociétés au Royaume-Uni afin de les gérer en France pour contourner les impôts français.
Ainsi, si un influenceur correspond à un profil de fraude, il subira alors un contrôle fiscal qui permet au fisc de vérifier l’exactitude des informations transmises par les contribuables lorsqu’ils déclarent leurs impôts. Si les informations ne sont pas exactes, alors ils pourront subir un redressement fiscal.
Il y a un objectif clair : le data-mining doit être à l’origine de 50% des contrôles fiscaux d’ici 2022. En 2019, il l’était déjà à hauteur de 22%.
III – Un contrôle fiscal toutefois restreint
Cependant, n’importe quelles données ne peuvent pas être collectées. En effet, seules les données publiques, ne nécessitant aucun mot de passe, ni une inscription sur le site, peuvent être collectées par l’algorithme mis en place. Ce qui est surtout le cas des influenceurs, car ce sont des personnalités publiques, qui ont quasiment systématiquement toutes leurs données en public. Cela peut concerner notamment une photo sur un compte Instagram public qui montrerait un patrimoine plus important que celui déclaré. En revanche, une photo publiée sur un compte privé restreint aux abonnés, même si elle permet de constater une fraude, ne peut pas être collectée par l’algorithme.
Concernant la suppression de ces données, les données sensibles sont supprimées dans un délai de cinq jours, et les autres données dans un délai maximum de trente jours. En revanche, les données peuvent être gardées durant 12 mois lorsqu’elles sont de nature à concourir à la constatation d’un manquement fiscal ou d’une infraction douanière.
Ce présent décret constitue une expérimentation censée durer trois ans. Après cette période, son efficacité sera diagnostiquée, et ainsi, les pouvoirs publics pourront décider de l’étendre, le restreindre, ou encore le supprimer.
Toutefois, nombreuses sont les personnes s’inquiétant pour l’utilisation de leurs données personnelles notamment en ce qui concerne le respect de leur vie privée ou de leur liberté d’expression. Se pose également la question de la correspondance entre ce qui est partagé sur les réseaux et le train de vie réel des internautes.
On se donne alors rendez-vous dans trois ans afin de constater les bénéfices (ou les dégâts?) de ces nouveaux contrôles fiscaux.