L’abus de biens sociaux : dans les coulisses de l’affaire Karachi

6 octobre 2021

L’abus de biens sociaux : dans les coulisses de l’affaire Karachi

Karachi, capitale économique et financière du Pakistan, est mentionnée en France non pas pour ses activités commerciales florissantes, mais pour l’affaire qui la lie à l’ancien Premier Ministre, Édouard Balladur dans le cadre du financement illégal de sa campagne électorale en 1995. Accusé du délit de complicité d’abus de biens sociaux et de recel de biens sociaux, il a été relaxé ce 4 mars 2021 par un jugement rendu par la Cour de justice de la République (CJR).

I – L’abus de biens sociaux : une infraction spéciale

L’abus de biens sociaux est un délit qui « consiste dans le fait, pour certains dirigeants de sociétés commerciales, de faire, de mauvaise foi, des biens de la société un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement. » selon Dalloz. Puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, il implique l’existence de critères comme l’intention du « dirigeant » de commettre l’infraction, pour son intérêt personnel au détriment de l’intérêt général, par un usage (action active ou passive). 

C’est l’une des variantes du délit d’abus de confiance, commis par « la personne qui détourne, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé. » selon les dispositions de l’article 314-1 du Code pénal depuis 2020.

Les scandales politico-financiers ont souvent pour objet ces délits dans de célèbres affaires comme celle de Vincent Bolloré, Bernard Tapie dans l’affaire du Phocéa, ou encore celle de l’ancien Président Nicolas Sarkozy, récemment condamné à une peine de prison de trois ans dont une sans sursis.

II- L’affaire Karachi, une remise en contexte indispensable

Quant à l’affaire Karachi, ses origines datent de la fin du XXème siècle. Lors de nombreux contrats réalisés pour la vente de produits issus de l’industrie militaire français au Pakistan et à l’Arabie Saoudite, des intermédiaires ont pu recevoir légalement des commissions (devenues illégales à partir de l’année 2000). Le dévoilement d’irrégularités concernant ces transactions a été provoqué par un attentat commis en 2002 à Karachi, ville qui a donné son nom à l’affaire. Après ce drame, une plainte a été déposée contre Balladur et son équipe pour des faits de corruption, déjà prescrits en 2009. Mais l’affaire est ravivée par l’enquête préliminaire du parquet parisien pour abus de biens sociaux.

En 1995, Balladur a reçu selon le jugement, des « rétro-commissions (de 10.250.000 francs) […] en connaissant parfaitement l’origine de ces fonds, à savoir les commissions litigieuses », afin de financer sa campagne électorale pour faire le poids face à Chirac soutenu par le RPR (Le Rassemblement pour la République).Techniquement, la rétro-commission, c’est le versement illégal et opaque à un tiers, d’une partie de la commission qu’un intermédiaire reçoit pour sa fonction de facilitateur d’échange commercial. Ici, l’intermédiaire n’est nul autre que le controversé Ziad Takieddine, homme d’affaires franco-libanais en cavale condamné à cinq ans d’emprisonnement. 

III- Les hommes d’État français rappelés sur les marches de la Cour de justice de la République

Ce n’est que vingt-cinq ans plus tard, que la justice achève son propos. Ce n’est que vingt-cinq ans après les faits que François Léoutart est condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et 100 000 euros d’amende pour complicité d’abus de bien sociaux. Ce dernier a formé un pourvoi en Cassation, puisque l’appel s’y fait directement pour les jugements provenant de la CJR non concernée par le principe du double-degré de juridiction. Le recours a été rejeté le 4 juin 2021. 

Quant à Édouard Balladur, il est relaxé des chefs de complicité d’abus de biens sociaux et recel de biens sociaux, sans même être présent le jour de l’audience. 

Les anciens collaborateurs de l’ex-Premier Ministre, à savoir, Nicolas Bazire, Renaud Donnedieu de Vabres, Thierry Gaubert, et Ziad Takieddine mentionné ci-dessus ont été tous condamnés par le tribunal correctionnel de Paris.

IV- Quid des garde-fou pour dissuader d’abuser de biens sociaux ?

À l’heure où les discours sur la transparence croisent la méfiance envers les institutions politiques dans une société qui revendique la tolérance zéro, l’action de la justice reste en deçà de ce qui est attendu. 

Les dossiers et qualifications pénales complexes, la médiatisation de ces affaires, et l’influence politique certaine des accusés, en sont certes des causes variées.

La Haute autorité pour la transparence de la vie publique, la création du Parquet National Financier le 1er février 2014, sont des progrès malgré leurs impacts discutables. Pour autant, offrir une justice à deux vitesses en France, ne devrait plus être possible dans la mesure où le PNF « ne se dispense jamais de respecter la règle de droit » (Jean-François Bohnert, procureur de la République financier). 

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