La fusion TF1 – M6 fait beaucoup de bruit depuis de nombreux mois. Critiquée sur de nombreux points et par de nombreux acteurs, beaucoup de dispositifs juridiques ont été soulevés pour empêcher sa réalisation. Alors qu’en est-il actuellement ? La fusion a-t-elle des chances d’opérer ?
L’idée d’une fusion entre TF1 et M6
Tout débute le 29 janvier 2021, lorsque l’agence Reuters annonce que la société gérante Bertelsmann a engagé des pourparlers dans le but de vendre sa filiale, le Groupe M6 qui détient 48% du capital du Groupe RTL. Le groupe allemand se rapproche ainsi de diverses sociétés telles que Vivendi, Altice et TF1.
Le 17 mai 2021, il est annoncé que le groupe Bouygues, actionnaire majoritaire du groupe TF1, va racheter à hauteur de 30% de son capital, le Groupe Métropoles Télévisions (M6). L’opération de grande envergure s’apparente ainsi à une fusion acquisition d’une partie du capital de la filiale de RTL par le Groupe Bouygues qui déboursera une somme équivalente à 641 millions d’euros.
Cette fusion TF1-M6 a été orchestrée dans le but de concurrencer les géants de l’audiovisuel que composent les sociétés américaines Netflix, META & Amazon Prime. Dès lors, la fusion aurait pour conséquence de mener à une position dominante écrasante de ces deux géants qui détiendraient une large portion des marchés publicitaires de production audiovisuelle et de développement du streaming. On parle, par exemple, de 75% de détention des parts de marché, par le groupe final, pour le marché publicitaire.
En effet, cette fusion grand format va permettre la réunion de l’ensemble des chaînes du groupe TF1 (TF1, TMC, TFX, TF1 Séries Films, LCI, Histoire TV, TV Breizh, Ushuaïa TV, Série Club) & l’ensemble des chaînes du Groupe M6 (M6, W9, 6ter, Gulli, MCM, RFM TV, Canal J, MCM Top, TiJi, Paris Première, Téva, Sérieclub).
Ainsi, c’est l’Autorité de la concurrence qui se chargera d’étudier la faisabilité et la légalité de la concentration TF1-M6 concernant le marché publicitaire & l’ARCOM aura la charge d’étudier si le groupe final pourra garder toutes ses chaînes.
Cette opération a de nombreuses conséquences sur le marché du télévisuel, de la radio, de l’audiovisuel et de la publicité française. En effet, une société exploitant une chaîne publique de la TNT est soumise à certaines conditions, que l’on peut considérer comme très strictes.
Au-delà des diverses autorisations et agréments qu’elle doit obtenir auprès des instances européennes et nationales telle que l’ARCOM, l’Autorité de la concurrence et la Commission européenne; elle doit également faire face à la concurrence des autres opérateurs sur le marché, avec notamment la société Free, filiale du Groupe Iliad. En effet, cette dernière n’a effectué pas moins de 5 recours à l’encontre des deux groupes afin de mettre fin à ce projet de fusion. Ces 5 recours ont été effectués de manière systématique, devant le Conseil d’Etat, l’Autorité de la concurrence et la Commission européenne. La société est même allée jusqu’à considérer que l’Autorité de la concurrence ne serait pas compétente et devrait se dessaisir au profit de la Commission européenne.
Les problèmes juridiques soulevés par la fusion
L’Autorité de la concurrence a par la suite décidé d’entamer un examen approfondi (nommé phase 2). En effet, les instances sont bien conscientes de l’envergure de cette opération et du très probable abus de position dominante que cela va constituer sur le marché. Ainsi, l’Autorité a mis en place une enquête afin d’étudier l’ensemble des conséquences que cette potentielle fusion va entraîner sur le marché de l’audiovisuel étant donné l’importance et le monopole qu’exercent ces deux grands groupes sur le marché français.
À titre de rappel, le droit européen de la concurrence prohibe certains comportements économiques des sociétés sur les marchés locaux et nationaux tels que les abus de position dominante, les ententes restrictives de concurrence et les concentrations d’entreprises. Pour les concentrations, seront concernées la fusion, la prise de contrôle et la création d’une entreprise commune. Dans notre cas de figure, c’est une opération de fusion-acquisition de la société M6 par la société TF1. Les concentrations telles que les ententes ne sont pas systématiquement prohibées, seulement lorsqu’elles sont restrictives de concurrence, c’est-à-dire qu’elles portent atteinte à une bonne concurrence durable entre les différents opérateurs économiques.
Ces restrictions sont mises en place afin d’assurer une compétitivité constante et une concurrence égalitaire entre les différents opérateurs économiques sur le marché. En effet, l’exploitation des chaînes télévisuelles et de radio de la TNT prennent également part à un important marché au niveau national et européen, qui nécessite un contrôle et une régulation denses.
Le système de régulation européenne mis en place est le dispositif anti-concentration. Ce dernier est assuré par l’ARCOM, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ex CSA, à la suite de sa fusion au 1er janvier 2022 avec la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi)).
Ce dernier a été instauré à la suite de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée, dite « loi audiovisuelle ». Cette loi répond ainsi à un grand nombre de principes importants et fondamentaux du droit positif que constituent, la liberté de presse, d’information, de communication et le pluralisme politique pour n’en citer que quelques-uns. Cette législation très stricte participe donc à un grand projet d’affermissement de la démocratie au sein des Etats parties à l’Union européenne.
Ainsi, le dispositif anti-concentration implique que certains seuils de concentration doivent être respectés sur le marché. En effet, selon les dispositions de la loi de 1986 – article 41 , un seul opérateur économique ne peut détenir que 7 chaînes maximales sur la TNT, la télévision nationale : « Une même personne peut être titulaire, directement ou indirectement, d’un nombre maximal de sept autorisations relatives chacune à un service ou programme national de télévision. »
Aussi, concernant ce dispositif de nombreux autres mécanismes ont été mis en place, tels que les cumuls d’autorisations pour les services de radios qui impliquent qu’un seul et même opérateur économique ne peut détenir plusieurs réseaux pour lesquels la somme des populations recensées dans les zones desservies par les réseaux excède 150 millions d’habitants. Nous pouvons également citer l’exemple du système de télévision locale qui implique qu’un même opérateur économique ne peut détenir un cumul d’autorisation pour des services de télévisions locaux si la population desservie dans les zones recensées dépasse les 12 millions d’habitants.
Quel futur pour la fusion TF1-M6 ?
Cette opération a de nombreuses conséquences sur le marché du télévisuel, de la radio, de l’audiovisuel et de la publicité française. En effet, une société exploitant une chaîne publique de la TNT est soumise à certaines conditions. Mais en pratique, comment s’organisent la réglementation et le contrôle des différents opérateurs économiques disposant de parts de marché dans l’audiovisuel, la télévision et la radio nationale ?
Le dispositif anti-concentration mis en place permet d’assurer une pluralité des voix, car de nombreux autres seuils sont imposés dans le marché de la télévision, de la radio et de l’audiovisuel. Dès lors, l’opération de fusion-acquisition TF1-M6 ne peut être autorisée sans respecter ce dispositif anti-concentration en ce que l’Autorité de la concurrence française et la Commission européenne diligentent ces secteurs et le respect des textes afférents. Ainsi, de nombreuses chaînes, à la suite de cette fusion, vont appartenir à un même opérateur économique, mais ce dernier se doit de respecter l’ensemble des seuils anti-concentrations.
En outre, l’enquête de l’Autorité de la concurrence est toujours en cours, dans la continuité de son examen en phase 2, qui va lui permettre d’étudier plus en profondeur les divers pourcentages de parts de marché que chaque activité audiovisuelle va détenir sur le marché. C’est précisément cet élément qui va permettre à l’Autorité d’autoriser l’effectivité de cette fusion.
En effet, les actionnaires des deux groupes ont approuvé le projet de fusion dans sa globalité et attendent impatiemment les conclusions des instances afin de pouvoir obtenir l’agrément pour finaliser cette action. Il faudra néanmoins également attendre la consultation de l’ARCOM, par l’Autorité de la concurrence et celles des Instances Représentatives du personnel qui doivent également communiquer leur avis sur le projet.
Dans l’objectif de faciliter cette potentielle fusion et de préparer les négociations auprès des divers instances réglementaires, les deux groupes au centre de la fusion ont d’ores et déjà pris la décision de céder certaines de leurs chaînes.
Important de préciser que cette cession ne fait pas suite à une demande de la part d’aucune des instances réglementaires mais bien une volonté des deux opérateurs économiques de montrer la prise de conscience de leur monopole sur le marché.
Ainsi, le groupe TF1 vend la chaîne TFX et le groupe M6 la chaîne 6TER, les deux au même groupe Altice. Cette vente apparaît ainsi clairement comme une préalable reconnaissance par les deux groupes de la menace qui pèse sur le bon déroulement de cette concentration en raison de leur potentielle large détention des parts de marché.
La période d’examen de l’Autorité étant toujours en cours, les deux groupes peuvent prétendre à une décision, très largement attendue, pour l’horizon de l’autonome 2022.