L’infraction de blanchiment est devenue, au fil du temps et des réformes, une infraction dotée d’un régime spécifique, ce qui conduit à bien distinguer le blanchiment du recel. Bien qu’il y ait des ressemblances, le blanchisseur n’est pas un receleur. En effet, le rôle du receleur consiste à détenir la chose ou à faire office d’intermédiaire entre le voleur et l’acquéreur des biens volés. Le blanchisseur, lui, est beaucoup plus actif car son rôle va consister à effacer l’infraction principale ayant généré des capitaux illicites.
L’objectif du blanchisseur est que l’on ne puisse plus identifier l’origine frauduleuse des capitaux, assurant ainsi l’impunité de l’auteur de l’infraction principale. Il convient alors de s’intéresser aux éléments constitutifs du blanchiment, à savoir l’élément matériel (I) et l’élément intentionnel (II).
I – L’élément matériel de l’infraction de blanchiment
L’élément matériel est défini par l’article 324-1 du Code pénal. Il distingue 2 formes de blanchiment de capitaux. Le point commun entre les deux cas c’est qu’il y a toujours une infraction préalable, infraction qui va produire les capitaux illicites. Généralement, les capitaux générés par ces infractions (corruption, trafic de stupéfiants, proxénétisme, fraude fiscale…) sont liquides, de ce fait ils vont très vite devenir encombrant.
Il convient de préciser, que dans un arrêt en date du 16 janvier 2013, la chambre Criminelle de la Cour de cassation a affirmé le caractère distinct et autonome de l’infraction de blanchiment. En l’espèce, un ministre d’État Angolais participait à un commerce de trafic d’armes et avait acheté, avec l’argent provenant de ce trafic, un immeuble à Paris. Dans cette affaire, la chambre criminelle a décidé que l’infraction de blanchiment pouvait être poursuivie en France, alors même que le commerce de trafic d’armes, c’est-à-dire l’infraction préalable, s’était déroulé en Angola. Le blanchiment s’appuie sur une infraction principale mais il demeure une infraction distincte et autonome. Le régime juridique ne sera donc pas dépendant de l’infraction principale, ce qui signifie que si l’infraction d’origine est prescrite, cela n’empêchera pas de poursuivre et de sanctionner le blanchiment.
La première forme de blanchiment est visée à l’alinéa premier de l’article 324-1 du Code pénal et définie comme « le fait de faciliter par tout moyen la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenues de l’auteur d’un crime ou d’un délit ».
Une personne va commettre une infraction, en retirer des profits et devra trouver un moyen de justifier l’existence de ces capitaux, autrement que par l’existence de l’infraction d’origine. Pour ce faire, le blanchisseur va pouvoir produire un faux contrat de travail, ou de fausses factures avec des transactions commerciales par exemple. Cela suppose donc des complicités, de faux documents (mais ce n’est pas très élaboré car il suffira d’un contrôle de l’inspection du travail ou de l’administration fiscale pour découvrir l’infraction).
Dans le cadre de cette définition, la jurisprudence s’est interrogée : cette forme de blanchiment suppose-t-elle nécessairement la présence de deux personnes ?
Dans un premier arrêt rendu le 26 février 2008, la chambre criminelle exigeait la présence de 2 personnes, l’auteur de l’infraction principale et le blanchisseur, au motif qu’on ne peut se justifier mensongèrement de ses propres actes. Mais finalement, dans un arrêt en date du 26 septembre 2016, la chambre criminelle change de position et n’exigera plus cette distinction entre auteur de l’infraction principale et blanchisseur.
La seconde forme de blanchiment mentionnée à l’alinéa 2 de l’article 324-1 « est le fait d’apporter un concours (par un tiers ou à soi-même) à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion de produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ». Cette seconde forme est très sophistiquée, plus technique que la première. On rentre ici dans des montages difficiles à identifier. L’objectif du blanchisseur reste le même : multiplier les opérations, brouiller les pistes pour faire disparaitre l’infraction d’origine.
L’infraction de blanchiment nécessite également la présence d’un élément intentionnel.
II – L’élément intentionnel de l’infraction de blanchiment
L’infraction de blanchiment suppose la mauvaise foi, c’est un délit qui est toujours intentionnel. Dans la première forme de blanchiment (dit indirect), l’infraction suppose que le prévenu sache que la personne dont il justifie mensongèrement les revenus a commis un crime ou un délit dont elle a tiré profit. Il faudra simplement apporter la preuve que le blanchisseur savait qu’il allait mensongèrement justifier des revenus illicites.
Dans la seconde forme de blanchiment dit direct, il est nécessaire que le blanchisseur ait conscience qu’il participe à des opérations de placement, conversion ou dissimulation du produit d’un crime ou d’un délit.
La jurisprudence a une conception assez souple de l’intention. Elle s’appuie sur l’élément matériel pour déduire que le blanchisseur ne pouvait pas l’ignorer. Mais malgré tout, compte tenu de la complexité de l’infraction, ce n’est pas toujours facile de rapporter la preuve de l’intention.
C’est la raison pour laquelle le législateur a inséré dans le Code pénal l’article 324-1-1, qui pose légalement une présomption d’illicéité de l’origine des fonds. Cette présomption d’illicéité va avoir pour objet de renverser la charge de la preuve. En vertu de cet article, « les biens ou les revenus sont présumés être le produit d’un crime ou d’un délit dès lors que les conditions de l’opération de placement, de conversion, ne peuvent avoir d’autres justifications que de dissimuler l’origine des capitaux ». Ainsi, il appartiendra à celui qui est présumé de rapporter la preuve que l’objectif des opérations réalisées n’était pas de blanchir des capitaux.
Un arrêt de la chambre criminelle du 6 mars 2019 est venu mettre en application cette disposition. En l’espèce, un ressortissant allemand quittait son pays en passant par la France pour arriver en Suisse. À la frontière, les douaniers ont trouvé une enveloppe contenant 50 000€ d’argent liquide. Des poursuites ont été engagées et pour se justifier, le prévenu a expliqué que la voiture était de location et que l’enveloppe devait s’y trouver. Or, d’après les autorités allemandes, l’individu était poursuivi pout escroquerie à la sécurité sociale à hauteur de 50 000€. La Cour d’appel française a donc fait appel à l’article 324-1-1 en indiquant que le prévenu avait été invité à prouver l’origine des fonds, mais qu’il n’a pas pu en justifier la provenance. Par conséquent, seule une opération de blanchiment pouvait justifier un tel voyage en possession de cette somme. Cet argument sera confirmé par la Cour de cassation.
Plus récemment, dans un arrêt rendu le 24 janvier 2020, la Cour de cassation, en l’absence de justification desdits fonds, a présumé l’illicéité des fonds et a ainsi caractérisé le délit de blanchiment.
Il est possible de s’interroger sur les dangers de la souplesse d’interprétation de la notion d’intention. Certes, cette présomption d’illicéité permet de sanctionner plus facilement le blanchisseur, mais certaines opérations sont susceptibles de trouver leur origine ailleurs que par le blanchiment. Le risque de cette grande souplesse pourrait être d’assimiler un profit en de l’argent sale alors même qu’il n’en est pas.