L’industrie du luxe répond à une logique distincte de celle du marché actuel et de la lutte contre la contrefaçon. En effet, l’utilisation de dupes par la fast fashion et inspirés par les créations des maisons de luxe peut profiter aux deux parties. De ce constat, est instauré un engagement moral nécessairement fragile juridiquement.
I/ L’expansion d’un marché mondial, profitable non seulement à la fast fashion mais également à l’industrie du luxe
L’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle assimile les œuvres de l’esprit à « des créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure ». Une définition précise est alors développée, de sorte à ce que ces créations répondent « aux exigences de la mode », à ce qu’elles fassent l’objet d’un « renouvellement fréquent » dans « la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement ». Les industries du prêt-à-porter et de la haute couture en sont les premiers acteurs mais sont fréquemment amenées à se confronter quant à la potentielle dérive tenant à l’origine même de ces créations, celle du dupe.
Le savoir-faire, le fait-main ancestral dont se prévalent les entreprises du luxe, dont le champ d’action ne peut être objectivement limité au regard de l’absence de définition juridique, est alors mis à l’épreuve de cette pratique flirtant avec la notion de contrefaçon. Une nouvelle menace commerciale mais également artistique plane sur ces maisons, ayant ardemment acquis leur inscription dans l’épaisseur de l’histoire et du paysage de la haute-couture. La prolifération des marques de luxe fait du tort à la rareté promise de leurs produits. Or, il est acquis que le « rare », « beau », « cher » promis par ces marques doive maintenant jongler avec l’immédiateté de la consommation. Les produits les plus accessibles financièrement sont créateurs de marges, de volumes et de profits conséquents. Nombre de marques de luxe font une part importante de leur chiffre d’affaires sur les produits accessibles. Une forme de paradoxe, de nouveau défi s’instaure pour ces marques : celui d’aborder l’ère de l’industrialisation, du marché de masse tout en préservant leur image de rareté, de confection de qualité…
Les dispositifs de communication, souvent liés à l’historicité de la marque, doivent alors être revisités. Les dupes de la mode, initiés par les grandes marques de prêt à porter peuvent alors être un tremplin inespéré et non avoué pour ces marques de luxe. Ce paradoxe est corroboré d’un point de vue créatif puisqu’être copié est considéré pour certains comme une forme de reconnaissance. Le chiffre d’affaires de ces maisons de prestige est alors inversement proportionnel à leur reconnaissance sur le marché.
Il n’est donc pas formellement reconnu mais tacitement admis qu’il existe une forme de pacte de non-agression (juridique) entre certaines marques à des fins commerciales ou communicationnelles.
II/ La mise en place d’un engagement moral nécessairement fragile juridiquement
Comme le clamait Coco Chanel : « Etre copié est la rançon du succès ». Les « créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure » (article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle) étant des oeuvres de l’esprit, toute reproduction partielle ou intégrale sans autorisation, est en principe assimilée à une contrefaçon et doit donc être sanctionnée. En effet, l’article L335-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose en son alinéa 1 que « toute contrefaçon est un délit ». Néanmoins, la relation entre les maisons de luxe et la fast fashion repose sur une logique différente. Pour beaucoup de maisons de luxe, être copié est une marque de reconnaissance démontrant un travail original et inspirant. C’est pour cette raison qu’il existe très peu de contestations par une maison de luxe sur la base juridique de la contrefaçon, envers une entreprise de fast fashion.
Juridiquement, cette promotion du travail original se traduit par la mise en place d’un engagement purement moral entre ces deux parties. La fast fashion va s’inspirer des maisons de luxe pour créer des « dupes », en sachant que la maison de luxe -source d’inspiration- donne indirectement son aval pour être copiée. Cependant, la fragilité inhérente aux accords moraux réside dans le fait que la politique quant à l’acceptation morale des dupes peut être rompue du jour au lendemain. Quelles pourraient alors être les conséquences juridiques ? La Fast fashion s’étant inspirée au point de constituer une contrefaçon de l’oeuvre originale pourrait être assignée par la maison de luxe et ce, même si cette dernière acceptait avant son changement de politique, d’être copiée par la fast fashion. Les conséquences financières ainsi que l’impact négatif sur la réputation pourraient être importants. D’autant plus qu’il est difficile de faire la différence entre les dupes -simple inspiration– et la constitution d’une contrefaçon en tant que reproduction partielle ou intégrale de l’oeuvre.
Enfin, il existe des créateurs dont la renommée n’est plus à démontrer mais également d’autres « petits créateurs » qui aspirent à un accroissement de leur notoriété. Pour ces derniers, il apparait que la copie des créations ne soit pas nécessairement assimilée à une marque de reconnaissance de leur travail. Par conséquent, il est nécessaire de ne pas généraliser l’existence de cet engagement purement moral et instable à toutes les maisons de luxe, ainsi que de promouvoir une sensibilisation de ces enjeux aux consommateurs, principaux acteurs du marché des dupes.