INTRODUCTION
L’exception Bolar1 permet traditionnellement aux fabricants de médicaments génériques de bénéficier d’une exception au droit des brevets dans certaines circonstances. Au fil des années, cette exception, d’origine américaine, a été introduite en Europe, notamment par le biais de la jurisprudence nationale.
L’exception Bolar a été inscrite par le législateur européen à l’article 10, paragraphe 6, de la Directive 2001/83/CE, telle que modifiée par la directive 2004/27/CE, dans l’objectif de ne pas retarder de manière significative l’arrivée des médicaments génériques sur le marché: “La réalisation des études et essais nécessaires en vue de l’application des paragraphes 1, 2, 3 et 4 [relatifs aux médicaments génériques et aux médicaments biologiques] et les exigences pratiques qui en découlent ne sont pas considérées comme contraires aux droits de brevet ou aux certificats complémentaires de protection pour les médicaments“.
Or, l’étendue de l’exception Bolar en Europe varie selon la transposition de la directive de chaque pays. Ainsi, deux types de transpositions de cette exceptions sont remarqués en droit national:
- Exception plus large: exception applicable à tous médicaments, y compris aux médicaments innovants. C’est donc le cas de la France, Allemagne, Italie, Pologne…
- Exception étroite: limitation de l’exception uniquement aux médicaments génériques. C’est le cas de l’Espagne, Suède, Belgique, Chypre, Luxembourg et Pays-Bas…
Ainsi, peut-on encore justifier l’application de l’exception Bolar malgré ses possibles insuffisances?
A. EXCEPTION DE RECHERCHE ET EXCEPTION BOLAR: UN ÉQUILIBRE ENTRE PROTECTION DES BREVETS ET ACCÈS À L’INNOVATION
L’idée d’une exception de recherche concerne la fonction du brevet de protéger le titulaire de tel brevet contre l’usage ou l’exploitation commercial de son invention breveté. En ce sens, l’application d’une telle exception aux droits exclusifs du titulaire du brevet dépend de l’interprétation des notions d’utilisation “commerciale” et “non commerciale”.
Une extrapolation de l’exception de recherche à l’exception Bolar permettrait de dégager que l’idée centrale de l’exception Bolar c’est de permettre aux concurrents de mener des recherches utilisant l’invention brevetée afin d’obtenir une autorisation de mise sur le marché pour un produit générique ou biosimilaire avant l’expiration de la durée de protection du brevet. Dans le secteur pharmaceutique en particulier, la conduite des activités R&D et des essais cliniques nécessaires pour qu’un produit générique obtienne une autorisation de mise sur le marché peut prendre des années. Par conséquent, si un fabricant concurrent de produits génériques ou biosimilaires n’était pas autorisé à entamer ces travaux avant l’expiration de la protection conférée par le brevet pour le produit original, la protection de facto du brevet s’étendrait au-delà des 20 années de protection accordées par le brevet.
Néanmoins, le développement dynamique du marché des produits biopharmaceutiques au cours des dernières années est lié à l’expiration des droits exclusifs de propriété intellectuelle sur les médicaments biologiques innovants originaux. Cela a entraîné l’introduction de biosimilaires sur le marché. L’un des principaux défis liés à l’émergence des biosimilaires est la modification de la législation afin de garantir un équilibre entre le développement du marché des biosimilaires et l’accès des patients aux thérapies biologiques.
Il convient de souligner que les droits de propriété intellectuelle dans le secteur biopharmaceutique sont essentiels pour promouvoir l’innovation en raison de la très longue durée de développement des produits. C’est précisément dans ce domaine que les brevets sont utiles pour combler le fossé entre l’innovation et le risque d’imitation. Cependant, le système de brevets actuel est trop coûteux et trop lent pour le développement de la biotechnologie. Il devrait être davantage adapté aux besoins des produits biopharmaceutiques.
B. DE ROCHE À BOLAR: L’AFFAIRE QUI REDESSINA LE DROIT DES GÉNÉRIQUES
1. NAISSANCE ET JUSTIFICATION JURIDIQUE DE L’EXCEPTION BOLAR
L’exception Bolar à ses origines dans l’affaire Roche Products, Inc. v. Bolar Pharmaceutical Co, 733 F.2d 858 (Fed. Cir. 1984), aux États-Unis , relative à la fabrication de produits pharmaceutiques génériques.
Bolar était un fabricant de médicaments génériques. Roche était une société pharmaceutique de marque qui fabriquait et vendait un somnifère, le Dalmane, dont le principe actif, le Flurazepam, était protégé par un brevet.
Avant l’expiration du brevet, Bolar a utilisé le produit chimique breveté dans des recherches visant à déterminer si son produit générique était bioéquivalent à Dalmane afin d’obtenir l’approbation de la FDA pour sa version générique de Dalmane. Bolar a fait valoir que son utilisation du produit breveté ne constituait pas une contrefaçon en vertu de l’exception relative à l’utilisation expérimentale du droit des brevets.
La Cour d’appel pour le circuit fédéral a rejeté l’argument de Bolar, estimant que l’exception relative à l’utilisation expérimentale ne s’appliquait pas parce que Bolar avait l’intention de vendre son produit générique en concurrence avec le Dalmane de Roche après l’expiration du brevet et que, par conséquent, les expériences de Bolar avaient une finalité commerciale.
Bolar a également fait valoir que la politique publique en faveur de la disponibilité des médicaments génériques immédiatement après l’expiration du brevet justifiait l’utilisation expérimentale du produit chimique breveté, car le refus d’une telle utilisation prolongerait le monopole de Roche au-delà de la date d’expiration du brevet. Le tribunal a rejeté cet argument, déclarant que de telles décisions politiques devraient être prises par le Congrès. De même, la Cour a décidé que les conflits de politique apparents entre des lois telles que le Food and Drug Act et le Patent Act devaient être tranchés par le Congrès et non par les tribunaux.
Peu après la décision Roche v. Bolar, le Congrès a adopté une loi autorisant l’utilisation de produits brevetés dans des expériences en vue d’obtenir l’approbation de la FDA (section 271-e-1 du Drug Price Competition and Patent Term Restoration Act, officieusement connu sous le nom de “Hatch-Waxman Act ” [Public Law 98-417], qui a établi le système moderne d’approbation des médicaments génériques par la FDA).
Dans certaines juridictions non américaines, l’exception en faveur de la recherche est connue sous le nom d’exception Bolar, d’après cette affaire.
Dans l’exception statutaire prévue par la loi Hatch-Waxman2, souvent appelée “disposition Bolar”, on retrouve une interprétation apparemment assez large et solide de l’exception. Alors que l’exception de recherche issu du common law ne permettait qu’une simple recherche philosophique, l’exception Bolar couvre toutes les activités raisonnablement liées au développement et à la soumission d’informations en vertu d’une loi fédéral qui réglemente la fabrication, l’utilisation ou la vente de médicaments ou de produit biologiques vétérinaires3.
L’exception s’applique à la fois aux médicaments génériques et aux nouveaux médicaments, ainsi qu’aux dispositifs médicaux. L’exception Bolar constitue donc un “safe harbour” ou une sphère de sécurité pour les activités de pré commercialisation. Cependant, elle peut également fournir une sphère de sécurité pour certaines activités post-commercialisation, bien que l’étendue de cette protection soit une question plus délicate4.
Bien que l’exception Bolar ait été interprétée de manière large, elle semble toujours en évolution et les limites exactes de l’application de la sphère de sécurité restent une question délicate, en particulier dans le contexte post-approbation, où ses applications semblent être très spécifiques aux faits. Il reste également à déterminer dans quelle mesure les activités précliniques, telles que le criblage à haut débit de composés à un stade précoce ou les essais in vitro, peuvent être considérées comme “raisonnablement liées” au développement et à la soumission d’informations en vertu d’une loi fédérale et donc bénéficier du safe harbour de l’exception Bolar5.
2. L’EXCEPTION BOLAR À TRAVERS LE PRISME DU DROIT EUROPÉEN
Des nombreux pays européens ont mis en oeuvre des exceptions de recherche dans leur législation nationales conformément à l’article 30 ADPIC (TRIPS) permettant aux États membres de prévoir des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet, en ce qui concerne l’exploitation normale et l’intérêt légitime du titulaire du brevet et des tiers. Compte tenu de ces éléments, il existe des différences significatives dans les différentes juridictions européennes6 mais, de manière générale, elle est beaucoup plus large qu’aux États Unis où, en règle générale et selon le principe du common law énoncé ci-dessus, seules les “enquêtes philosophiques” sont autorisées.
L’une des différences les plus importantes entre les exceptions pour la recherche prévues par les juridictions européennes est la mesure dans laquelle la sphère de sécurité est étendue à la recherche sur les inventions brevetées7. En outre, certaines juridictions ont introduit des exceptions spécifiques pour l’utilisation d’outils de recherche (Belgique, Italie) et pour les universités (Pays-bas). La configuration de ces paramètres forme un paysage européen d’exceptions pour la recherche qui varie considérablement.
Ainsi, comme mentionné précédemment, une exception de type Bolar est codifiée dans la directive Européenne 2001/83/CE, modifiée par la directive 2004/27/CE. Elle s’inspire de l’équivalent américain et a été adoptée pour lever l’incertitude liée à l’application des exceptions de recherche aux étapes préparatoires à l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché.
Or, malgré l’intention de créer plus de certitude, un certain nombre d’incertitudes ont fleuri dans le sillage de cette initiative. En effet, l’exception Bolar doit être transposée dans les différentes législations nationales des États membres. Cela signifie en clair que les tribunaux nationaux ont le premier mot à dire dans l’interprétation de la disposition, tandis que la CJUE aura le dernier mot. Néanmoins, la CJUE n’a encore reçu que peu de jurisprudence et les différentes interprétations des tribunaux nationaux ont donc créé un paysage juridique complexe.
II. UNE ZONE GRISE DANS L’APPLICATION DE L’EXCEPTION BOLAR: FOCUS SUR LES BIOSIMILAIRES
A. LES BIOSIMILAIRES NE SONT PAS DES GÉNÉRIQUES, UNE DIFFÉRENCE STRUCTURELLE
Le développement dynamique du marché des produits biopharmaceutiques au cours des dernières années est lié à l’expiration des droits exclusifs de propriété intellectuelle (y compris les brevets, les certificats de protection supplémentaire, l’exclusivité des données et du marché) sur les médicaments biologiques originaux (brevetés, de référence) – innovants (Yamauchi, 2018 : 253). Cela s’est traduit par l’introduction sur le marché de produits complémentaires, que nous appelons biosimilaires. Ainsi, les biosimilaires doivent désormais être distingués dans le débat juridique, en raison de leur importance juridique, sociale, éthique et commerciale (Rathore, Vulto, Stevenson & Shah, 2019 : 22)8.
En outre, les biosimilaires ne doivent pas être confondus avec les génériques (Nagel, 2018 : 89 ; Geigert, 2019 : 45-47) et avec une autre catégorie de médicaments appelés “biomimics” ou des autres copies intentionnelles9 (Kowalski et al. 2019: 1486; Moots, 2019: 1498). À cet égard, un exemple d’une question pratique est l’interchangeabilité des produits biopharmaceutiques. (Yang, Fu & Roskos, 2018: 545). Contrairement aux produits chimiques de suivi (génériques), il est douteux que le biosimilaire puisse être un véritable substitut clinique pour un produit biologique original dans tous les cas (Satyanarayana & Srivastava, 2016 : 218). Cette problématique est soulignée par le nom lui-même. Biosimilaire est “similaire” et non “identique” a produit d’origine (Marotto, Ceribelli & Puttini, 2019 : 16).
B. UNE APPROCHE DIFFÉRENCIÉE EN MATIÈRE DE BIOSIMILAIRES: UN ANALYSE COMPARATIF CONCERNANT L’ACCÈS AU MARCHÉ DES PRODUITS BIOLOGIQUES
Aux États-Unis, l’exception dite “Bolar” (inspirée du principe établi dans l’affaire américaine Roche contre Bolar) prévoit que la réalisation des études et essais nécessaires dans le cadre d’une demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament générique/biosimilaire ou hybride générique/biosimilaire (“produit générique/biosimilaire”), ainsi que toutes les exigences pratiques qui en découlent, ne sont pas considérées comme une violation des droits de brevet concernés. Cela inclut généralement les études, tests et essais réalisés pour montrer qu’un produit générique/biosimilaire est bioéquivalent à un produit breveté approuvé, lorsque ces actes sont requis dans le cadre de la demande d’autorisation de mise sur le marché du produit générique/biosimilaire concerné.
En effet, bien que l’exception Bolar soit applicable aux biosimilaires elle ne couvre pas nécessairement toutes les étapes de recherche et développement des biosimilaires, créant donc une incertitude juridique.
Or, le 23 mars 2010, le président Obama avait promulgué le Biologics Price Competition and Innovation Act (BPCIA) dans le cadre du Patient Protection and Affordable Care Act (“Obamacare”). L’objectif de la BPCIA était de créer pour les produits biologiques un régime similaire à celui de la loi sur la concurrence en matière de prix des médicaments et la restauration de la durée des brevets (loi Hatch-Waxman) et, ce faisant, d’ouvrir les marchés des produits biologiques à la concurrence et, par conséquent, de faire baisser le prix de ces produits pharmaceutiques coûteux et de plus en plus importants.
La BPCIA représente l’une des révisions les plus importantes de l’industrie pharmaceutique au cours des dernières décennies. Pour la première fois, la loi fédérale établit une voie pour la création de versions génériques de médicaments produits par des moyens biotechnologiques. En légalisant la production de médicaments biologiques génériques, généralement appelés “biosimilaires”, le Congrès espérait faire baisser les prix à la consommation d’une série de médicaments importants.
En 1983, la loi Hatch-Waxman a créé une voie d’accès au marché pour les versions génériques des médicaments traditionnels à petites molécules. Les médicaments à petites molécules, qui constituent la majorité des médicaments couramment utilisés, sont créés par des processus purement chimiques et ont des structures relativement simples. Comme l’espérait le Congrès, la loi Hatch-Waxman a permis de réduire considérablement le coût de nombreux produits pharmaceutiques.
Or, il est peu probable que les consommateurs bénéficient de réductions de prix comparables pour les biosimilaires à la suite de l’adoption de la BPCIA. Tout d’abord, les médicaments biologiques sont intrinsèquement plus difficiles et plus coûteux à fabriquer que les produits pharmaceutiques traditionnels, ce qui crée des barrières à l’entrée que la BPCIA ne peut pas lever efficacement. Deuxièmement, par rapport à la loi Hatch-Waxman, la BPCIA impose des périodes d’exclusivité beaucoup plus longues pour les médicaments de référence (princeps) et le premier biosimilaire produit. Cela retardera, au minimum, les avantages en termes de coûts découlant d’une concurrence accrue. Enfin, les dispositions relatives à l’interchangeabilité, qui permettent la substitution automatique des produits de référence similaires aux médicaments chimiques génériques dans le cadre de la loi Hatch-Waxman, sont beaucoup plus strictes pour les produits biologiques régis par la BPCIA10.
En ce sens, la BPCIA qui tentait d’introduire une voie d’approbation distincte pour les biosimilaires afin de réduire le coût ne semble pas avoir l’effet attendu.
En Europe, il convient de remarquer qu’actuellement l’exception Bolar de l’UE exempte de contrefaçon de brevet les “études et essais nécessaires” menés par les demandeurs de génériques ou biosimilaires et les “exigences pratiques qui en découlent”.
En effet, l’exception Bolar prévue par la législation européenne existante offre une sphère de sécurité limitée contre la violation des droits de brevet ou de CCP dans le cadre de la réalisation des « études et essais nécessaires » pour obtenir l’autorisation d’un médicament générique ou biosimilaire.
Il existe toutefois des différences significatives dans la mise en œuvre de l’exemption Bolar actuelle à travers l’Europe. L’incertitude causée par les différentes interprétations actuellement adoptées par les tribunaux nationaux pourrait être résolue par une harmonisation judiciaire, par exemple par des décisions de la JUB ou de la CJUE, plutôt que par une nouvelle réglementation. Comme le souligne Roox, “ l’application peu claire et incohérente de ces soi-disant “exemptions pour la recherche” ou “exceptions pour l’utilisation expérimentale” a donné lieu à des jugements divergents et incohérents dans l’ensemble de l’UE, ce qui a entravé le fonctionnement du marché intérieur”11.
En outre, selon une étude européenne, le principal obstacle à la mise sur le marché des biosimilaires est le brevet principal du produit d’origine, et non les brevets supplémentaires. Les enquêteurs ont également constaté que les prolongations de l’exclusivité des produits, qui sont habituelles en Europe, retardent l’entrée sur le marché de produits concurrents12. Les sociétés pharmaceutiques obtiennent régulièrement des brevets secondaires pour des modifications apportées à ces médicaments afin de prolonger leur exclusivité, mais l’étude des litiges concernant les biosimilaires en Europe a révélé que les brevets secondaires n’étaient pas suffisants pour retarder l’entrée sur le marché des biosimilaires de neuf anticorps monoclonaux les plus vendus.
“À l’exception d’un brevet sur le trastuzumab pour lequel la décision de rejeter le brevet a été annulée en appel, les développeurs de biosimilaires ont remporté toutes les affaires d’opposition et de litiges nationaux en matière de brevets qui ont été identifiées. Cela indique que certains brevets sur le trastuzumab ont été considérés comme un véritable obstacle à l’entrée des biosimilaires sur le marché, mais que les développeurs de biosimilaires peuvent contester ces brevets et obtenir gain de cause”13.
Aux États-Unis, les brevets sont souvent considérés comme de formidables obstacles à l’entrée sur le marché des biosimilaires, et les multiples dépôts de brevets sur des produits individuels sont connus sous le nom de “patent thickets”.
Aujourd’hui, Bolar permet aux entreprises génériques et biosimilaires d’obtenir une autorisation de mise sur le marché et de mener des activités aux fins des exigences pratiques qui en découlent pendant la période de protection et de mener des activités visant à répondre aux exigences pratiques qui en découlent pendant la période de protection, mais les États membres de l’UE ont transposé l’exemption Bolar en droit national de manière incohérente et/ou interprètent l’arrêt Bolar de différentes manières, ce qui entraîne:
- une incertitude juridique quant à la question de savoir si les actes de tiers, qui sont impliqués dans le développement de génériques et des biosimilaires sont couverts par l’exemption Bolar.
- son interprétation restrictive dans certains États membres, qui bloque l’accès des génériques et des biosimilaires aux procédures administratives (tarification et remboursement, appels d’offres, etc.), créant de fait un « patent linkage 14» (défini comme « illégal » en Europe par la Commission européenne) qui retarde l’entrée des génériques/biosimilaires sur le marché, avec d’énormes conséquences économiques pour les budgets de santé et l’accès des patients aux médicaments.
C’est cette incertitude juridique et ce « patent linkage » que la Commission européenne entend lever en clarifiant et en harmonisant le champ d’application de l’exemption Bolar dans la directive européenne révisée, dans le cadre de la réforme en cours de la législation pharmaceutique de l’UE.
III. VERS UNE RÉFORME JURIDIQUE? – LA RÉVISION DE LA LÉGISLATION PHARMACEUTIQUE ET P&R BOLAR
Afin d’atteindre efficacement les objectifs de l’exemption Bolar, il est essentiel de veiller à ce que la version finale révisée de l’exemption Bolar ne laisse aucune place à des interprétations divergentes dans les différents États membres et fournisse des dispositions claires et sans équivoque en supprimant toute zone d’ombre ou d’incertitude juridique et en interdisant toute forme réelle ou implicite de « patent linkage» qui retarderait la concurrence.
Dans le cadre de la révision de la législation pharmaceutique, la proposition de la Commission vise à élargir le champ d’application de l’exemption Bolar afin d’inclure, entre autres, les situations où un médicament de référence est utilisé pour générer des données en vue d’une demande de tarification et de remboursement (P&R Bolar). Si elle est modifiée comme proposé par le Parlement européen le 10 avril 2024, l’exemption Bolar P&R permettrait, potentiellement des années avant la date d’expiration du brevet concerné (jour 1), toute activité raisonnablement liée aux procédures de tarification et de remboursement (P&R) ou aux approbations au niveau de l’État membre, y compris les négociations avec les payeurs sur les prix et les quantités (et potentiellement l’inscription au catalogue) des produits génériques et biosimilaires.
En ce sens, il convient de remarquer aussi qu’aucun État membre n’indique explicitement que son exception Bolar autorise les fabricants de génériques ou de biosimilaires à mener des activités visant à produire des données pour appuyer des demandes de tarification et de remboursement (P&R) et à obtenir des déterminations de P&R de la part des assureurs et des autorités sanitaires ou à participer à un appel d’offres (tender bid), bien qu’il s’agisse d’actes réglementaires ou administratifs nécessaires pour préparer l’entrée sur le marché. En conséquence, dans plusieurs États membres de l’UE (Allemagne, Italie, France, Portugal, Pologne, Hongrie, etc.), l’accomplissement de certaines procédures réglementaires ou administratives, telles que les P&R ou même les autorisations de mise sur le marché, est bloqué jusqu’à ce que les brevets expirent ou soient invalidés. Cela retarde la concurrence et l’accès aux médicaments génériques et biosimilaires.
L’intégration explicite des P&R dans le champ d’application de l’exemption Bolar à l’échelle de l’UE permettra de surmonter les exemples de « patent linkage ». Cela faciliterait l’entrée rapide sur le marché des génériques et des biosimilaires dans les pays où les formes actuelles de « Patent linkage » retardent la concurrence dès le premier jour.
Exemple de Patent linkage → France (pricing/reimbursement): under the framework agreement between the pricing authority (CEPS) and the pharma companies association (LEEM), originators can declare patents/SPCs for their reference products to the CEPS. The CEPS will not include a generic in the official list of reimbursed products until the 6 months prior to expiry of the patents/SPCs declared by the originator, unless the generic company, upon request from the CEPS, provides a statement that it believes it can launch the product without infringing such rights. The CEPS would then inform the originator that the generic company has provided such statement. This information from the CEPS to the originator is typically what triggers PI applications in France.
L’objectif premier de la directive Bolar étant de garantir une concurrence immédiate entre génériques et biosimilaires à l’expiration de la propriété intellectuelle, il s’ensuit que si un fabricant de médicaments génériques ne peut pas participer aux procédures nécessaires pour garantir une concurrence libre et rapide à l’expiration de la propriété intellectuelle, l’objectif premier de la directive Bolar est contrecarré, ce qui crée une distorsion de la concurrence. Et, alors que de nombreux pays l’autorisent déjà, une exemption Bolar dans la directive qui n’exempte pas expressément de la violation de brevet les procédures P&R ou la participation à des appels d’offres a pour effet de retarder l’entrée sur le marché.
En conclusion, cette proposition révisera le champ d’application de l’exemption Bolar pour y inclure expressément les études, essais et autres activités menées en vue d’obtenir une autorisation de mise sur le marché et ses modifications ultérieures, d’effectuer une évaluation des technologies de la santé (health technology assessment (HTA), d’obtenir une approche en matière de prix et de remboursement, ainsi que les exigences pratiques ultérieures associées à ces activités.
- L’« exemption Bolar » est l’expression populaire désignant les exemptions statutaires de contrefaçon de brevet introduites par la loi Hatch-Waxman en 1984, à la suite d’une affaire très contestée entre Roche products v. Bolar pharmaceuticals, 733 F.2d 858 (U.S. Fed. Cir. 1984). ↩︎
- Act. 98 Stat. 1585 (1984) § 271(e)(1). The Hatch-Waxman Act is formally known as the Drug Price Competition and Patent Term Restoration Act. ↩︎
- US Supreme Court, Merck KGaA v. Integra Lifesciences I, Ltd., 545 U.S. 193 (2005). ↩︎
- United States Court of Appeals for the Federal Circuit 659 F.3d 1057 (Fed. Cir. 2011). ↩︎
- Anthony Tridico (n 9). In Integra v. Merck (n 11), the US Supreme Court launched a surprisingly broad interpretation of what could be considered “reasonably related” under the Bolar exemption. ↩︎
- Voir par exemple les décisions de la Cour fédérale de justice allemande (CFJ) du 11 juillet 1995 (Klinische Versuche I)
Essais cliniques I), BGH NJW 1996, 782, et du 17 avril 1997 (Klinische Versuche II) (Essais cliniques II), BGH NJW 1997, 3092. Pour plus de détails, voir : Hans-Rainer Jaenichen et Johann Pitz, « Research Exemption/Experimental Use in the European Union : Patents Do Not Block the Progress of Science’ (2015) 5(2) Cold Spring Harb Perspect Med. 1. Disponible à l’adresse : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4315916/. ↩︎ - András Kupecz and others, ‘Safe Harbours in Europe: An Update on the Research and Bolar Exemptions to Patent Infringement.’ (2015) 33 Nature Biotechnology 710. ↩︎
- L’UE est la championne de l’adoption des biosimilaires. Selon les dernières données, plus de 50 biosimilaires de 15 produits biologiques innovants ont été approuvés par l’UE. Contrairement aux États-Unis, où seuls 17 produits biosimilaires liés à neuf médicaments biologiques ont été approuvés et seuls 10 sont disponibles sur le marché. ↩︎
- Biological products manufactured without scrutiny, in the hope of driving cost down. ↩︎
- Ryan Timmis, The Biologics Price Competition and Innovation Act: Potential Problems in the Biologic-Drug Regulatory Scheme, 13 Nw. J. Tech. & Intell. Prop. 215 (2015) ↩︎
- Roox, K., The Bolar provision: a safe harbour in Europe for Biosimilars, EURAlex, Issue 172 (2006) p.19. ↩︎
- Moorkens, E., Vulto, A. G., & Huys, I. (2020). An overview of patents on therapeutic monoclonal antibodies in Europe: are they a hurdle to biosimilar market entry? mAbs, 12(1). https://doi.org/10.1080/19420862.2020.1743517 ↩︎
- “Except for 1 patent on trastuzumab where the decision to reject the patent was overturned in appeal, biosimilar developers have won all identified opposition and national patent litigation cases. This indicates that some patents on trastuzumab were seen as a real hurdle for biosimilar entry, but that biosimilar developers can challenge these patents and win,” ↩︎
- “Patent linkage refers to the practice of linking the granting of [marketing authorisations], pricing and reimbursement status or any regulatory approval for a generic medicinal product, to the status of a patent (applications) for the originator reference product”. It is described (p. 130) and defined “unlawful” in Europe (p. 315), in the European Commission Sector Inquiry Report of 2009. ↩︎