Le Digital Services Act (DSA) – Règlement (UE) 2022/2065, entré en vigueur le 17 février 2024, modernise la réglementation des plateformes en ligne face à la prolifération des contenus illicites, notamment la vente de contrefaçons. Son objectif est de renforcer la responsabilité des intermédiaires pour assurer un environnement numérique plus sûr.
Jusqu’alors, les plateformes bénéficiaient d’un régime de responsabilité limitée en tant qu’hébergeurs, ne retirant les contenus illicites qu’après notification. Cette approche, jugée insuffisante, a permis la persistance des contrefaçons, représentant en 2016 plus de 500 milliards de dollars, soit 6,8 % des importations de l’UE. Le DSA impose désormais des obligations accrues aux plateformes pour mieux encadrer ces pratiques tout en préservant les libertés numériques.
I. Le Digital Services Act : une refonte de la responsabilité des plateformes
A. Principaux objectifs du DSA et changements majeurs par rapport à la directive 2000/31/CE
Le Digital Services Act (DSA) modernise et harmonise le cadre juridique instauré par la directive 2000/31/CE. Tout en maintenant le principe de responsabilité limitée des hébergeurs (safe harbor), il abroge et remplace certaines dispositions (articles 12 à 15 de la directive remplacés par les articles 4 à 6 du DSA) pour préciser les obligations des plateformes. Elles ne sont pas responsables des contenus publiés par des tiers, sauf si elles n’agissent pas promptement après notification. Le principe d’absence d’obligation générale de surveillance est également réaffirmé.
Le DSA introduit toutefois des nouvelles obligations pour adapter la régulation aux réalités actuelles. La clause du « bon Samaritain » permet aux plateformes de détecter et supprimer proactivement des contenus illicites sans perdre leur exonération de responsabilité. De plus, l’article 6(3) du DSA prévoit qu’une marketplace peut être tenue responsable en tant que vendeur si elle donne l’impression que le produit est vendu directement par elle. Cette disposition vise à éviter les abus du statut d’hébergeur en cas de tromperie du consommateur. En somme, le DSA ne révolutionne pas le régime existant, mais l’enrichit de nouvelles obligations de diligence, afin d’assurer un équilibre entre responsabilisation des plateformes et protection des utilisateurs.
B. L’article 16 du DSA : obligations de diligence et de retrait des contenus illicites
Le cœur du DSA en matière de lutte contre la contrefaçon et autres contenus illicites réside dans son article 16, qui oblige les plateformes à mettre en place des mécanismes efficaces de notification et d’action. Concrètement, chaque plateforme doit proposer un système accessible – souvent un formulaire en ligne – permettant à tout individu ou entité de signaler un contenu illicite en fournissant les éléments essentiels (URL, description, motif juridique, etc.). Lorsqu’un signalement est complet, la plateforme est réputée « avoir connaissance » du caractère illicite du contenu et doit agir rapidement pour le retirer, ce qui renforce l’efficacité du dispositif notice and take down.
Par ailleurs, l’article 17 du DSA impose aux plateformes de fournir à l’utilisateur un exposé des motifs en cas de suppression ou de désactivation d’un contenu, assurant ainsi une transparence sur la portée de la mesure, le fondement juridique et les moyens de recours. De plus, l’article 22 prévoit que les signalements émanant de « signaleurs de confiance » – des personnes ou organismes agréés pour la qualité de leurs alertes – doivent être traités en priorité, accélérant ainsi le déférencement des contenus illicites.
En somme, ces dispositions instaurent un processus harmonisé à l’échelle européenne, renforçant la diligence des plateformes tout en maintenant le principe d’une réaction sur signalement plutôt qu’une surveillance proactive généralisée.
II. Conséquences et implications pour les plateformes
A. Nouvelles obligations de traçabilité des vendeurs et contrôles renforcés
L’article 30 du DSA impose aux places de marché en ligne une obligation de traçabilité des vendeurs tiers, afin de mieux lutter contre la contrefaçon en identifiant les commerçants opérant sur leurs plateformes. Désormais, avant qu’un vendeur puisse proposer des produits aux consommateurs de l’UE, la plateforme doit collecter et vérifier plusieurs informations : identité et coordonnées (nom, adresse, email, téléphone), document d’identification officiel, coordonnées bancaires, inscription au registre du commerce le cas échéant, ainsi qu’une auto-certification attestant que ses produits sont conformes aux lois en vigueur.
Les plateformes ont l’obligation de faire leurs « meilleurs efforts » pour vérifier l’authenticité de ces données, notamment via des bases de données officielles. Si un vendeur refuse de fournir ces informations ou transmet des documents inexacts, son activité doit être suspendue jusqu’à régularisation. En outre, ces données doivent être conservées six mois après la fin de la relation commerciale et mises à disposition des autorités sur requête légale.
Ces mesures de KYC (Know Your Business Customer) rendent les vendeurs de contrefaçons plus facilement traçables, limitant l’anonymat dont ils bénéficiaient jusqu’ici. En complément, l’article 23 du DSA impose aux plateformes de suspendre temporairement les utilisateurs diffusant de manière répétée des contenus illicites ou abusant du mécanisme de signalement (ex. signalements infondés en série). Cette disposition incite les plateformes à adopter une approche plus ciblée et proactive, sans pour autant instaurer une obligation de surveillance généralisée.
B. Sanctions en cas de non-respect et enjeux pour les entreprises de e-commerce
Le DSA impose un régime de sanctions renforcées pour les plateformes ne respectant pas leurs obligations. Chaque État membre désignera un Coordinateur des services numériques, tandis que la Commission européenne supervisera les très grandes plateformes. En cas de manquement, des amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial pourront être infligées, complétées par des astreintes journalières et, en cas de violations graves, une restriction d’accès au service.
Ces nouvelles règles marquent une responsabilisation proactive des plateformes. Désormais, ne pas respecter les obligations de signalement et de traçabilité ou ignorer une injonction de retrait peut entraîner des sanctions administratives immédiates, sans passer par un recours judiciaire. Le DSA facilite aussi les actions collectives, permettant aux associations représentatives d’engager des poursuites contre les plateformes fautives.
Une plateforme négligente s’expose donc à un cumul de sanctions et de contentieux, tandis que celles qui appliquent le DSA bénéficieront d’un marché plus sûr et équitable, renforçant la confiance des consommateurs et la lutte contre la contrefaçon.
III. Bonnes pratiques et perspectives
Pour se conformer au DSA, les plateformes doivent adapter leurs procédures et outils. Elles doivent d’abord renforcer leur système de signalement des contenus illicites, conformément à l’article 16, en garantissant un accès simple et un traitement rapide des notifications. L’article 30 impose également un contrôle strict des vendeurs tiers, en exigeant la vérification de leur identité et de leurs informations commerciales, avec suspension de leur compte en cas de non-coopération.
L’adaptation au DSA passe aussi par l’amélioration des outils technologiques. Investir dans des systèmes de détection automatisée et former les équipes modératrices est essentiel pour assurer une application efficace du règlement. De plus, la coopération avec les ayants droit et les autorités renforce la lutte contre la contrefaçon et permet une meilleure anticipation des évolutions réglementaires.
Plutôt qu’une contrainte, le DSA représente une opportunité pour sécuriser le commerce en ligne. En limitant la contrefaçon, il renforce la confiance des consommateurs et assainit le marché, garantissant ainsi une concurrence plus équitable pour les acteurs respectueux des règles.