“Flashez. Scannez. Trouvez votre rouge.” lance la maison mère Chanel qui, au détour de son application inédite Lipscanner s’en remet au savoir-faire de l’intelligence artificielle. L’univers de la BeautyTech en forte progression, avide d’ultra-personnalisation et d’essayage virtuel, s’interroge sur les relations entretenues par l’intelligence artificielle et le droit de la propriété intellectuelle. Là encore, les avancées technologiques interrogent le droit.
I. “La Beauty Tech, c’est la beauté augmentée par la technologie” Groupe L’Oréal : Beauty Tech – L’Oreal
Succédant à l’Oréal qui vise à devenir l’un des leaders sur le marché de la beauté connectée ou autrement nommée BeautyTech avec son produit « Perso » ou encore à La Roche Posay avec son capteur My Skin Track UV, qui évalue l’exposition à la pollution et aux UV de la peau, la marque de prestige française Chanel opte elle aussi pour la personnalisation et l’essayage virtuel. Comment ? En choisissant la technologie de l’apprentissage automatique (Machine Learning).
Déjà riche de propositions, la maison Chanel sublime sa palette de services grâce à une technologie avancée avec l’utilisation d’une application Lipscanner. Ainsi, la cliente qui a repéré une teinte qui lui plait, peut la retrouver dans la gamme de produits cosmétiques Chanel et l’essayer. Tout ceci s’effectue de façon digitale et quasiment instantanée grâce à l’intelligence artificielle.
Convoitée par la Sillicon Valley depuis 2018, la Beauty Tech génère, selon le journal le Monde, plus de 440 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel. Et, la prestigieuse maison Chanel l’a bien compris. Objets High-Tech ou applications mobiles, le champ des possibles est vaste et toujours plus ingénieux pour les clients en quête de nouvelles expériences cosmétiques.
Néanmoins entre droit de l’IA et vie privée, les problématiques juridiques subsistent. Voulue mimétique de l’intelligence humaine, l’intelligence artificielle regroupe un ensemble de systèmes informatiques et électroniques capable de reconnaître un ensemble extrêmement diversifié de données telles que la voix, le visage, les formes. Avec l’IA, les opportunités sont grandes puisque des systèmes d’apprentissage et de robotique sont autrement mis au point et associés à la mécanique.
Le Journal Officiel assimile notamment l’intelligence artificielle à un « champ interdisciplinaire théorique et pratique qui a pour objet la compréhension de mécanismes de la cognition et de la réflexion, et leur imitation par un dispositif matériel et logiciel, à des fins d’assistance ou de substitution à des activités humaines ».
Face à l’imprévisibilité de cette technologie en constante évolution, les juristes et le législateur se trouvent quelque peu déconcertés. Une forme d’incompréhension et de méconnaissance technique de l’IA et de son apprentissage machine lui octroie une certaine indépendance, plus que profitable sur le plan légal. Son encadrement juridique se veut d’autant plus compliqué que le droit rencontre de nombreuses difficultés d’adaptation à ses évolutions concernant la propriété intellectuelle et le droit d’auteur. Ainsi l’IA est souvent appréhendée comme une « notion cadre » aux contours juridiques flous. Néanmoins des moyens juridiques détournés peuvent être envisagés afin d’éviter d’aboutir sur une obsolescence du droit en la matière.
II. Les prémices d’un encadrement juridique
Le respect de la vie privée qui s’envisage de façon impérieuse sous le prisme des données personnelles est particulièrement sous-jacent.
Une quantité considérable de données personnelles est effectivement nécessaire au fonctionnement de l’IA. Des données dites sensibles en vertu de l’article 9 du Règlement Général de la Protection des Données (RGPD) peuvent notamment être collectées dès lors que des données génétiques, biométriques ou de santé sont requises. En principe, le traitement de ces données est interdit. L’une des exceptions à ce principe d’interdiction est le consentement préalable et explicite de l’utilisateur. Proposé par, la Roche-Posay, le capteur My Skin Track UV associé à une application mobile en est un parfait exemple. Son analyse de l’exposition de la peau au soleil et aux UV nécessite la récolte de données de santé.
Le traitement de ces données personnelles dépasse les frontières de la simple utilisation de l’application mobile. Les marques en tirent parti pour l’apprentissage automatique de l’IA, la commercialisation de produits ou la prévision de tendances commerciales. Il appartient aux responsables de traitement d’être transparents avec leurs utilisateurs sur les finalités recherchées. Les utilisateurs doivent être en mesure de retirer leur consentement dès qu’ils le souhaitent. Les marques de cosmétiques se doivent alors d’assumer l’entière responsabilité de la protection des données collectées, au nom du principe de responsabilité exigé par le RGPD.
Le risque est également celui de la discrimination algorithmique notamment révélé avec le concours de beauté « Beauty A.I 2.0 ». Cette compétition digitale mettant en avant des personnes majoritairement blanches a posé question sur la possible partialité des bases de données du processus de l’IA.
Un encadrement juridique plus direct de l’IA est mis en œuvre avec la loi du 7 octobre 2016 qui œuvre pour une République numérique. La loi vient réaffirmer ce devoir de transparence du fonctionnement de l’algorithme prévu par un avis du 8 janvier 2015.
Le RGPD conforte ces velléités d’encadrement juridique de l’IA, avec les articles 13, 14 et 15. Toute personne ayant fait l’objet d’une prise de décision automatisée bénéficie alors du droit d’obtenir « des informations utiles concernant la logique sous-jacente, ainsi que l’importance et les conséquences prévues de ce traitement pour la personne concernée ».
III. Bras de fer ou consensualisme entre le droit et l’IA ?
L’interrogation demeure. La sporadicité des dispositions réglementaires en la matière n’entache nullement les premières avancées du droit. La subordination de l’IA bien que nécessaire, n’est pas évidente. Le droit pourrait bien se voir contraint, lui aussi, de se réinventer. L’industrie du cosmétique a tout intérêt à exploiter les potentialités considérables de ce processus. Et la maison Chanel compte bien, elle aussi, tirer son épingle du jeu avec son application Lipscanner.