Les dangers de l’EIRL face aux procédures collectives

5 avril 2021

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Véritable levier pour une économie plus dynamique, la démocratisation de l’entrepreneuriat, est un enjeu primordial dans le monde des affaires. Néanmoins une activité entrepreneuriale n’est pas sans risques. En effet, l’auto-entrepreneur est exposé à une solidarité des dettes de son entreprise. Mais en 2010, le législateur a jeté une bouée de secours pour ces auto-entrepreneurs en créant le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) ! Cependant, ce palliatif est-il suffisant pour couvrir tous les risques financiers de ces entrepreneurs ? 

I. L’EIRL un statut ambitieux visant à réduire et à limiter les risques financiers

La loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, complétée par l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010, a créé le statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Le législateur était animé par la volonté d’encourager la création d’entreprises afin de rendre l’économie plus attractive. Ce statut est dérogatoire à l’application de la théorie de l’unité du patrimoine d’Aubry et Rau. Théorie selon laquelle, chaque personne a un seul patrimoine indivisible ; l’actif doit répondre du passif. Par ailleurs, en vertu de l’article 2284 du Code civil ; on ne peut en principe, isoler au sein du patrimoine une masse de biens qui répondrait de certaines dettes. Palliatif visant à limiter les risques financiers de l’entrepreneur, le statut de l’EIRL permet d’affecter à son activité professionnelle, un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans passer par la création d’une personne morale. Sa responsabilité se limite à la valeur des biens affectés au patrimoine professionnel. Cependant, la protection des EIRL bien qu’attractive disparaît trop facilement lors des procédures collectives. 

II. La possible extension de la procédure collective au patrimoine non affecté 

Cass. 2e civ. 27-9-2018 n°17-22.013 F-PBI « La seule circonstance que le patrimoine affecté de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée relève de la procédure instituée par les titres II à IV du livre VI du Code de commerce relative au traitement des difficultés des entreprises n’était pas de nature à exclure le patrimoine non affecté du débiteur de la procédure de traitement des situations de surendettement ».

Comme le prévoit cet arrêt, le seul fait d’avoir le statut d’EIRL n’est pas un frein pour bénéficier du traitement de la procédure de surendettement pour ses dettes privées. Par ailleurs, l’article L.711-7 du Code de la consommation prévoit que cette procédure ne s’appliquera (sauf disposition contraire) que sur son patrimoine personnel. Le patrimoine professionnel sera alors soumis aux procédures spécifiques (conciliation, sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire) des entreprises en difficulté (voir en ce sens l’article L.711-3 du Code de la consommation). Ainsi, en principe, les procédures collectives ne visent pas le patrimoine non affecté. Celles-ci étant limitées au seul patrimoine affecté à l’activité en difficulté (Article L680-2 et L680-3 du Code de commerce). Mais cette protection est-elle absolue ? 

En réalité, la procédure collective des dettes professionnelles peut s’étendre à un patrimoine affecté à une autre activité ou même au patrimoine personnel de l’entrepreneur, dans trois cas :

  • En cas de confusion avec le patrimoine au titre duquel la procédure a été ouverte (« L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée n’est pas éligible à titre personnel à la procédure collective commerciale ouverte pour ses dettes professionnelles, sauf confusion des patrimoines » CA Bastia 24 mai 2012) ; 
  • En cas de manquement gaves aux obligations résultant du statut d’EIRL (Cass.com 7 février 2018 n°16-24.481 : « le dépôt d’une déclaration d’affectation ne mentionnant aucun des éléments exigés constitue (…) un manquement grave, de nature à justifier la réunion des patrimoines ») ;
  • En cas de fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure (C.com art L621-2 al3).

Cependant, on peut noter que dans ces hypothèses, l’Entrepreneur Individuel ne peut s’en prendre qu’à lui-même car il n’a pas fait preuve de suffisamment de prudence, de diligence et d’éthique. Ce risque est donc limité à des situations particulières. 

Un risque plus général et plus critiquable demeure. En effet l’ouverture de la procédure collective produit des effets sur tout le patrimoine du débiteur en cas d’omission par le tribunal de la mention la qualité de l’EIRL. 

III. L’ouverture de la procédure collective produit des effets sur l’intégralité du patrimoine du débiteur lorsque le tribunal a omis de mentionner la qualité d’EIRL

Com. 6 mars 2019, n° 17-26.605 

Autrement dit, le défaut de mention de la qualité d’EIRL suffit pour soumettre l’ensemble du patrimoine d’un EIRL à une procédure collective. Cette décision de la Cour est sévère et rigide à l’égard de l’entrepreneur, celui-ci subissant les frasques de l’inattention du tribunal. 

Cette interprétation formelle et restrictive, est motivée par le soucis de sauvegarder les droits des liquidateurs (créanciers). En effet, la Haute juridiction admet que l’erreur commise sur la désignation du débiteur dans les jugements de redressement et liquidation judiciaires, n’affecte pas la capacité d’agir du liquidateur. Cette solution ne fait que renforcer l’effet dissuasif de l’utilisation de l’EIRL, consolidé en 2016 par l’insaisissabilité de sa résidence principale (loi Macron) et la possibilité de faire une déclaration d’insaisissabilité pour les autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle. 

Ainsi, des nuances viennent teinter l’enthousiasme né de ce statut d’EIRL. C’est pourquoi la Cour de cassation devrait être moins formaliste et plus tolérante. Car, l’esprit de la loi de 2010 était de protéger l’entrepreneur, et non son exposition au risque de voir tout son patrimoine engagé pour une erreur qu’il n’a pas commise. Le législateur devrait donc s’atteler à trouver un juste équilibre entre la protection de l’entrepreneur et les intérêts du créancier. 

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