L’erreur comptable délibérée ou décision de gestion irrégulière

1 juin 2021

L’erreur comptable délibérée ou décision de gestion irrégulière

La comptabilité est un moyen pour l’entreprise de défendre ses intérêts. En effet, la comptabilité représente la meilleure arme pour contester les redressements fiscaux envisagés par l’administration. Mais comme le disait Emmanuel Cruvelier : « La comptabilité commerciale participe d’une arme qui peut être regardée comme étant à double tranchant », la notion d’erreur comptable délibérée en est la preuve.

Décision de gestion, erreur comptable et erreur comptable délibérée : quelle distinction ? 

La théorie des décisions irrégulières de gestion que l’on appelle également l’erreur comptable délibérée fut créée pour limiter la liberté de gestion des entreprises

Il est parfois difficile de distinguer les erreurs comptables des décisions de gestions irrégulières, et pourtant la distinction est importante. Cette distinction vise d’une part, à limiter le droit de l’administration à rectifier les déclarations souscrites par les contribuables, et d’autre part, le droit des contribuables à demander de rectifier celles-ci lorsqu’ils y ont un intérêt. 

La décision de gestion découle en effet d’une faculté de choix donnée au contribuable par la loi. Le contribuable est libre de retenir telle ou telle solution juridique ou fiscale. Celle-ci ne peut ni être corrigée à son initiative ni à celle de l’administration (CE 11-2-1994 n° 117302). En effet, elle est opposable tant à l’administration qui est tenue de la respecter, qu’au contribuable qui doit en assumer les conséquences. 

D’autre part, il est possible que le choix retenu par le contribuable ne soit pas conforme à la loi, il s’agit alors d’une erreur. L’erreur comptable résulte d’un enregistrement comptable erroné ou d’une omission d’enregistrement. Elle est involontaire. C’est-à-dire que l’entreprise n’a pas respecté involontairement une disposition fiscale obligatoire. On trouve principalement deux types d’erreurs. Les erreurs de fait, qui sont celles qui portent sur l’existence, la nature ou la valeur des opérations comptables ou de la valeur du patrimoine. Les erreurs de droit, qui, quant à elles, sont celles qui portent sur le mode d’enregistrement comptable des opérations alors même que la nature de l’opération n’est pas contestée. C’est notamment le cas si le contribuable amortit un véhicule de tourisme selon le mode dégressif alors que le CGI prévoit qu’il n’est possible de l’amortir qu’en linéaire. Dans ce cas, cette erreur est rectifiable. Elle peut l’être à l’initiative de l’administration fiscale dans la limite du délai de reprise. Elle peut également l’être à l’initiative du redevable, lorsque cette erreur lui est préjudiciable, en demandant la correction par voie de réclamation ou par compensation (CE 6-5-1996 n° 135283). Cela peut être le cas lorsque le contribuable omet de comptabiliser des frais déductibles, des éléments d’actif ou de passif (créances acquises, dettes certaines…) ou lorsqu’il comptabilise un élément d’actif ou de passif pour une valeur inexacte (immobilisation, stock, etc.). 

La jurisprudence retient parfois une notion intermédiaire, qui est celle d’erreur comptable délibérée (ou de décision de gestion irrégulière), opposable au contribuable, mais non à l’administration. C’est notamment le cas lorsque le contribuable omet volontairement des recettes, ou passe en déduction des charges fictives. 

La qualification d’erreur comptable « volontaire »

L’erreur comptable, pour être rectifiable, doit avoir un caractère involontaire. C’est notamment le cas lorsque l’erreur ne traduit pas une volonté de l’entrepreneur d’influer sur la gestion de l’entreprise. Or, il est possible que cette erreur comptable soit délibérée. En effet, le contribuable peut commettre volontairement une erreur pour obtenir un avantage fiscal. Si l’erreur commise est volontaire, il semble logique que cette erreur ne soit pas rectifiable par le contribuable, car il ne s’agit pas réellement d’une erreur (CE 19-6-2017 n° 391770, Sté SPIE Batignolles). 

Ainsi, l’absence de comptabilisation de charges doit être considérée, non pas comme relevant d’une erreur, mais plutôt d’une décision de gestion qui est opposable au contribuable, dans la mesure où elle procède d’une intention délibérée de l’entreprise. C’est le cas lorsque l’entreprise décide régulièrement de ne pas supporter certains frais et donc de ne pas les comptabiliser ou lorsque les charges existent, mais que l’entreprise omet volontairement de les constater en comptabilité. Dans ces deux cas, l’entreprise commet alors une erreur volontaire assimilée à une décision de gestion irrégulière. 

La jurisprudence souligne cette distinction. Dans un arrêt du 25 octobre 1989 (Conseil d’Etat, 9 / 8 SSR, du 25 octobre 1989), le CE a notamment affirmé pour un exploitant agricole qui s’était systématiquement abstenu de faire figurer dans ses bilans de stocks d’animaux et d’aliments qu’il ne pouvait corriger ultérieurement cette omission de sa propre initiative. Cette solution est retenue puisque cette erreur ne peut s’analyser en une simple erreur comptable, mais plutôt comme une décision de gestion qui lui demeure opposable en raison de son caractère délibérément irrégulier. Dans cette situation, l’administration fiscale pourra aller rechercher la responsabilité fiscale du dirigeant sous certaines conditions. 

À l’inverse, cette erreur volontaire doit avoir été commise « intentionnellement par une société ou ses dirigeants et ne peut pas résulter d’une simple carence de la société en matière de contrôle interne des agissements irréguliers des salariés » (CE 9-3-2016 n° 380808 : RJF 6/16 n° 513). Le Conseil d’État a affirmé dans cet arrêt du 9 mars 2016, qu’une société avait pu être fondée à demander la décharge d’impôt correspondante à une écriture frauduleuse d’un bénéfice artificiel qui avait été passé par le directeur financier dans l’intérêt de ce dernier. 

Dans ce cas, il est nécessaire de prouver que l’erreur comptable est délibérée. Pour cela, le juge va utiliser un faisceau d’indices. Dans un arrêt du 20 avril 1977, la communauté d’intérêts entre deux sociétés a pu permettre de démontrer que l’absence de comptabilisation en charge par une banque d’une créance définitivement irrécouvrable ne résultait pas d’une erreur. En effet, celle-ci ne découlait pas d’une erreur, mais d’une décision volontaire qui résultait notamment des relations qui existaient entre ces deux sociétés et qui se caractérisait par des opérations de complaisance, mutuellement consenties. 

Certaines situations ou circonstances particulières sont susceptibles de remettre en cause la distinction entre erreur comptable et décision de gestion. C’est le cas lorsque le contribuable a fondé son choix sur une instruction de circulaire administrative illégale. Il est possible que le contribuable s’appuie sur la doctrine administrative dans le cadre d’une décision de gestion. Cependant, une décision administrative peut être contraire à la loi. Dans ce cas, le contribuable peut invoquer cette illégalité de la circulaire pour demander que le choix effectué soit rectifié (CE 7-10-1987 n° 66210 : RJF 11/87 n° 1124), alors qu’une erreur ne peut pas l’être. En revanche, l’administration ne peut pas se fonder sur l’illégalité de sa doctrine pour remettre en question les choix exercés par les contribuables. En d’autres termes, l’illégalité ne joue que contre l’administration.

L’arrêt du Conseil d’État du 12 juin 1987 (CE 12-6-1987 n° 41369, 9e et 7e s.-s. : RJF 8-9/87 n° 902) a marqué l’abandon de la jurisprudence constante, qui considérait que sa décision de gestion lui était opposable lorsque celle-ci s’appuyait sur une interprétation de l’administration qui était contraire à la loi. Dans cet arrêt, le CE a affirmé que les instructions ministérielles contraires à la loi ne peuvent pas donner une base légale à une décision administrative qui elle-même était contraire à la loi. En conséquence, « un contribuable ayant choisi une solution illégale, mais autorisée par une instruction administrative peut revenir sur cette option si elle lui est défavorable ».

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