Le Parquet européen : entre avancées et insuffisances en matière de lutte européenne contre la corruption

23 mars 2022

Le Parquet européen : entre avancées et insuffisances en matière de lutte européenne contre la corruption

Le 25 janvier dernier, l’ONG Transparency International publiait l’indice de perception de la corruption 2021 en positionnant la France seulement 22ème sur 180 pays au titre de ce classement. C’est une déception pour tous les acteurs français luttant contre la corruption, mais qui néanmoins n’est pas une surprise. Loin d’être isolée, cette stagnation de la France dans la lutte contre la corruption touche plus largement les États membres de l’Union européenne. En effet, la pratique de la corruption étant de plus en plus transfrontalière, seule une réponse internationale voire régionale semble être efficace.

Existe-t-il réellement un droit européen de lutte anticorruption ? Les dispositions européennes sont-elles à la hauteur des différents enjeux ? Sans pouvoir réellement répondre par la positive, l’histoire penche toutefois en ce sens, comme en témoigne l’avènement du Parquet Européen (I), première marche concrète vers une européanisation fédérale de la lutte contre la corruption, conception prônée par pléthores d’acteurs économiques, juridiques et politiques (II).

I. Le Parquet européen comme témoin d’une européanisation nécessaire de la lutte contre la corruption

Force est de constater que les entreprises européennes pâtissent de l’inefficacité en matière de lutte contre la corruption. Ces dernières font en outre l’objet de nombreuses condamnations des autorités judiciaires étrangères, notamment américaines, par l’application du droit extraterritorial, sur fond de guerre économique. Dès lors, parce que le problème est assurément transfrontalier, la réponse nécessite elle, d’être a minima européenne.

L’Union européenne dispose en matière judiciaire d’une structure plurielle et parfois complexe. Entre l’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice (ELSJ) du Traité d’Amsterdam, le Réseau Judiciaire Européen (RJE), Europol, Eurojust ou encore l’Office Européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF), l’Union européenne semble prima facie armée contre la corruption. Néanmoins, l’efficacité de cette architecture ne semble pas être au rendez-vous. Ainsi, la directive 2017/1371 du 5 juillet 2017 a permis la création d’un Parquet européen, dont l’article 4 du règlement 2017/1939 du 12 octobre 2017 en précise la mission : « Le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre, et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union qui sont prévus par la directive (…) ». Parmi ces infractions, se trouve évidemment la corruption telle que définie à l’article 4.2 de la directive.

Véritable institution indépendante, le Parquet dirigé par l’icône roumaine de la lutte anticorruption Laura Codruţa Kövesi, semble néanmoins souffrir de lacunes l’empêchant d’être à la hauteur du défis qui lui est lancé.

En effet, le Parquet européen a, de manière non-exhaustive, un certain nombre de limites. D’une part, le Parquet repose sur une coopération renforcée à laquelle tous les États membres n’ont pas adhéré. D’autre part, le Parquet ne semble pas, aux termes de l’article 23 dudit règlement, avoir de réelle portée extraterritoriale dans son action, ce qui pourtant est nécessaire au regard de l’application du FCPA américain sur le sol européen. Ensuite, et surtout, le Parquet est limité d’un point de vue matériel tant il ne concerne que les infractions « portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union », faisant notamment échos aux Eurocrimes de l’article 83(1) du TFUE. Enfin, la notion elle-même de corruption des textes européens, et plus précisément de la directive en question, est limitée, que ce soit dans sa définition, dans celle des acteurs qui sont visés, ou encore s’agissant de sa faible portée territoriale.

Alors même que le Parquet européen peut être vu comme une avancée indéniable quant à la construction d’un droit européen de lutte anticorruption, les acteurs économiques, juridiques voire politiques demandent de plus en plus un renforcement du droit européen en la matière.

II. L’appel des acteurs économiques et juridiques pour une réelle protection européenne de lutte contre la corruption

De tous les milieux, l’appel à un élargissement de la compétence de l’Union européenne en matière de lutte contre la corruption semble être unanime. En effet, l’enjeu de cet élargissement n’est pas seulement juridique, économique ou philosophique, il est aussi et surtout politique comme l’a démontré le cas de l’entreprise Alstom. L’une des idées est en effet de protéger les entreprises européennes face, d’une part, aux risques de corruption, et d’autre part, face à l’application extraterritoriale du droit américain. En ce sens, le rapport Gauvain-Marleix sur l’évaluation et l’impact de la loi Sapin 2 démontre bien les lacunes françaises, et donc européennes face à ces enjeux importants.

Également, et de manière incontournable, le rapport du Club des Juristes notamment rédigé B. Cazeneuve et intitulé « Pour un droit européen de la compliance » fait plusieurs propositions dans le sens d’un renforcement de l’arsenal juridique et institutionnel européen. De manière non-exhaustive, l’une d’entre elles est d’élargir les compétences du Parquet européen et la portée de ses prérogatives. Plus précisément, expliquant que l’unanimité requise pour élargir la compétence du Parquet européen semble être politiquement une chimère, la Commission du Club des Juristes souhaite a minima un renforcement de la coordination des États membres au sein réseau Eurojust. Mais n’étant qu’un réseau de coordination desdits Etats, on peut douter de l’efficacité de la proposition face à la pratique de la corruption, tant les autorités nationales restent de jure indépendantes, amenant à d’incontournables divergences et différences dans la manière dont ces derniers luttent contre la corruption. En témoigne l’article 17 de la loi Sapin 2 française obligeant les entreprises à mettre en place un programme de conformité a priori, article qui, excepté l’exemple de l’Italie et son décret-loi en date du 8 juin 2001, ne trouve pas d’équivalent dans les autres États de l’Union. La lutte contre la corruption au stade de la prévention est donc à géométrie variable en Europe.

Enfin, Mirelle Delmas-Marty, professeure émérite au Collège d’Europe, voyait en la création d’un tel Parquet un « futur ordre juridique mondial» , ce qui ne semble pas totalement dénué de sens à l’aune de l’internationalisation des faits de corruption.

Mais avant d’en arriver là, l’Union européenne devra se doter d’une compétence plus importante en la matière, et à l’heure où ses premiers résultats positifs émergent, le Parquet européen devra néanmoins faire ses preuves pour convaincre tous les États membres d’opérer ce transfert de souveraineté, qui en matière pénale, est, et a toujours été complexe.

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