La loi n°2021-1109 du 24 août 2021, à son article 24, vient instaurer un droit de prélèvement compensatoire quand une loi étrangère est appliquée lors des successions internationales. L’article 24 vient compléter l’article 913 du Code civil en ajoutant un alinéa : “ lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants-cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci ”.
Cet article, en application depuis le 1er novembre 2021, nous fait évoquer l’ancien droit de prélèvement de la loi du 14 juillet 1819. Elle avait établi la capacité successorale des étrangers au même titre qu’un héritier français. Mais cette loi permettait de protéger la réserve héréditaire des héritiers de nationalité française. C’est-à-dire qu’un héritier de nationalité française, dans le cas d’une succession entre les héritiers français et étrangers, pouvait prélever “ sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales ” (article 2). Cependant, le 5 août 2011, le Conseil constitutionnel juge le droit de prélèvement inconstitutionnel du fait qu’il existe une discrimination entre héritiers de nationalité française et étrangère. La loi du 24 août 2021 ne va-t-elle pas poser problème quant à sa constitutionnalité ? De plus, concernant les successions internationales, depuis le 17 août 2015, c’est un règlement de l’UE n°650/2012 relatif aux successions internationales qui est appliqué. Le droit de prélèvement est-il compatible avec le règlement ?
La compatibilité constitutionnelle du droit de prélèvement compensatoire
En 2011, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé le droit de prélèvement inconstitutionnel. La loi du 24 août 2021 ne risque-t-elle pas d’être censurée à son tour ? Ce qui était reproché en 2011, c’était que le droit de prélèvement sur les biens situés ne bénéficiait que l’héritier français lésé et non l’héritier étranger. Mais la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 vient corriger ces lacunes.
L’article 913 alinéa 2 du Code civil, issu de la loi de 2021, institue un droit de prélèvement sur les biens de la succession situés en France pour tous les enfants du défunt lésés dans le partage quelle que soit leur nationalité ou leur résidence. Trois conditions doivent cependant être remplis :
- La loi étrangère ne doit pas posséder un mécanisme réservataire protecteur des enfants.
- Les biens concernant la succession sont situés en France.
- Le rattachement de la situation à l’espace européen c’est-à-dire que le défunt ou un de ses enfants doit être rattaché à un État membre de l’UE, de par sa nationalité ou sa résidence.
En ce qui concerne la constitutionnalité du droit de prélèvement, la loi de 2021 à remédier aux erreurs faites par la loi de 1819 mais est-elle compatible avec le règlement européen relatif aux successions internationales ?
La compatibilité du droit de prélèvement compensatoire quant au règlement européen relatif aux successions internationales
En 1964, dans l’arrêt Costa contre Enel, on affirmait le principe de primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. Le droit international des successions ressort désormais du règlement (UE) n° 650/2012 sur les successions internationales et l’idée de réintroduire en droit français un droit de prélèvement était fortement écartée car cela remettrait en cause les engagements de la France. Pourtant, un droit de prélèvement compensatoire existe aujourd’hui. Donc qu’advient le règlement européen relatif aux successions internationales ?
Quant il s’agit de successions internationales, le défunt avait la possibilité de choisir l’application de sa loi nationale donc le droit de prélèvement compensatoire de la loi du 24 août 2021 peut remettre en cause les prévisions du défunt qui doit en connaître les limites pour effectuer son choix. En dehors du choix de la loi nationale, la loi applicable est celle de l’Etat où résidait dernièrement le défunt. De ce fait le prélèvement compensatoire peut avoir lieu en France même lorsque la résidence habituelle du défunt était fixée dans un autre État ce qui peut porter atteinte à la sécurité juridique.
Cependant l’article 35 du règlement prévoit que : “ L’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for ”. On comprend par cela que la loi applicable “ qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écarté que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ” (Civ. 1er, 27 sept. 2017, n° 16-13151).
De plus, l’article 21 prévoit que la loi applicable régit l’ensemble de la succession. Donc cela concerne l’ensemble des biens dépendant de la succession qu’ils soient meubles ou immeubles et où qu’ils se trouvent (considérant 37). Mais le prélèvement compensatoire implique de prendre en compte la succession dans son intégralité pour rétablir une égalité entre héritiers au regard de l’ensemble de la succession et ceci en dernier ressort.
En conclusion, le droit de prélèvement compensatoire intervient en dernier ressort pour permettre de rectifier les inégalités entre héritiers lors de la succession.