Le gentlemen’s agreement : l’engagement non contraignant dans le droit international

7 mars 2024

Le commerce a toujours été un secteur complexe, de par ses nombreux contrats, domaines, secteurs géographiques…

La pratique va alors évoluer dans le but d’améliorer son domaine. Pour cela elle va se doter de divers moyens non développés par le droit national, international et continental. Ces moyens s’analysent en des règles élaborées par les commerçants, relevant davantage des coutumes qui sont respectées par la très grande majorités d’entre eux. Elles sont au sens du droit international privé nommées les lois « anationales ». 

Ces règles sont également accompagnées de moyens, comme le “Gentlemen’s Agreement“. Qui, lui, a pour but de réaliser des « baisses de pression juridique », perçu selon le doyen Carbonnier de « flexible droit ».

I. HISTORIQUE ET DÉFINITION DU GENTLEMEN’S AGREEMENT

Historiquement, au Royaume-Uni un “Gentlemen’s Agreement” est au sens large un accord verbal conclu entre deux parties (personne physique ou morale, de droit privé ou public), dépourvu de force juridique mais dont celles-ci doivent faire preuve d’honneur et d’intégrité au regard de leurs engagements respectifs (relié au principe de bonne foi et de confiance mutuelle).

Au sens plus restreint du droit de la concurrence, cet accord implique uniquement que les parties se soient entendues sur un plan susceptible ou non de limiter leur liberté commerciale en déterminant des lignes d’actions ou d’abstentions réciproques sur un marché donné.

Essentiellement conclu via une poignée de main, il est en principe impossible de saisir le tribunal pour faire valoir un ou plusieurs droits issus de l’accord. Cela découlant du fait que cet accord est tout d’abord dépourvu d’écrit et que par ailleurs la pression sociale est souvent plus forte que celle de l’autorité d’un magistrat. Pourtant, cela ne signifie pas qu’en pratique il est réellement impossible de le saisir.

II. PRINCIPE ET RECONNAISSANCE

Le “Gentlemen’s Agreement” est dans la majorité des cas usé dans le but de conclure des arrangements destinés à coordonner des politiques d’intervention sur des marchés permettant, la majorité du temps, de se faire des « alliés » au sein de ces mêmes marchés tout en contournant le principe de l’entente, sanctionnée en droit commercial. Cela permet d’améliorer la performance sur des points qui arrangent les parties et dont celles-ci tirent de la relation un bénéfice immédiat. 

En droit français, aucun accord ne semble être un équivalent. C’est pour cela qu’il convient de les rattacher à la notion des engagements non contraignants. Selon le Doyen Carbonnier, ces engagements seraient un « flexible droit ». Dont Carbonnier insistait sur l’existence de situations de « non-droit », signifiant que des règles juridiques pouvaient posséder une « intensité variable » s’analysant simplement comme « une baisse plus ou moins considérable de la pression juridique ». 

III. COURTE TYPOLOGIE DU GENTLEMEN’S AGREEMENT

Le “Gentlemen’s Agreement” faisant partie des engagements non contraignant, la doctrine voit en lui un rattachement vers la notion d’accords informels pouvant se décomposer sous 3 catégories différentes d’accords : 

  • Les accords informels dit politique : demande aux parties de s’entendre sur un certain nombre de grands principes qui auront pour objectif de conduire leur politique ou gouverner leurs relations à l’égard de tiers
  • Les accords informels dit interprétatif : arrangements servant de compléments et/ou de précisions à un cadre juridique préexistant
  • Les accords informels dit normatif : accord très souvent international constituant un cadre normatif destiné à dicter ou à influencer la conduite des parties signataires, entre elles où à l’égard des tiers

IV. LA PORTÉE D’UN GENTLEMEN’S AGREEMENT : DU POINT DE VUE DE LA DOCTRINE ET DE LA JURISPRUDENCE

Selon la pensée de l’auteur Jean-Pierre BABANDO, le “Gentlemen’s Agreement” est un accord impalpable et partiel vu comme un accord informel ou un ensemble d’arrangements se traduisant comme une « convention de groupement préliminaire verbal» pouvant porter sur des objectifs de prix, de volumes de vente… Où en cas de litige, il faudra démontrer l’existence, la teneur, l’étendue et la force obligatoire de cet accord. 

Dans une grosse affaire jugée par la Haute Cour de Londres du 16 janvier 2018, celle-ci a eu l’occasion de se prononcer sur la portée d’un “Gentlemen’s Agreement“. 

Dans cette affaire Simon de Pury, ancien célèbre commissaire-priseur, réclamait depuis 2012 une commission issue de son rôle d’intermédiaire dans une vente impliquant une toile du maître Paul Gauguin intitulée « Nafea Faa Ipoipo ? » (Quand te maries-tu ? »). 

Cependant, en droit, pour être perçue, une commission implique la conclusion d’un accord exprès ou implicite formé entre les deux parties matérialisant la volonté d’entrer dans des relations juridique. Dans les faits, seul un “Gentlemen’s Agreement” avait été conclu de manière orale entre les parties où une commission de 10 millions de dollars devait être versée peu important le prix obtenu lors de la vente. Toutefois, la cession n’ayant pas atteint le prix de vente minimum espéré par le vendeur (écart de 40 millions) fût le point de départ d’un contentieux découlant sur le refus, par ce dernier, de payer la commission initialement due sur le fondement d’un « breach of fiduciary duty » (manquement à une obligation de gérer de manière responsable l’argent que quelqu’un d’autre a confié afin de le mettre en sécurité) commis par M. De Pury. 

La Haute Cour a décidé dans son jugement d’accorder le versement de la commission à M. De Pury. Celle-ci reconnait alors une portée juridique aux “Gentlemen’s Agreement“. Ce dernier aurait, selon elle, la même force obligatoire qu’un contrat car celui-ci confirme également la volonté de rentrer au sein de relations juridiques définies

(Il convient de préciser un élément sur cette affaire, celui relatif au domaine de l’art.  En effet, les usages de la profession et du marché de l’art n’implique pas pour chaque relation l’obligation de conclusion d’un contrat, mais simplement une confiance mutuelle dont l’oralité est la règle. La Cour a donc de manière quasi-certaine rendue son jugement en se basant également sur la pratique du domaine.) 

Cette décision anglaise, suit pourtant la même direction que celle des juridictions françaises qui avaient admis quelques années auparavant, le 23 janvier 2007, une force obligatoire aux engagements d’honneur, soit les “Gentlemen’s Agreement“.

V-L’AVIS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE SUR LE SUJET DU GENTLEMEN’S AGREEMENT

Il n’y a pas uniquement les droits français et anglais qui se sont penchés sur le “Gentlemen’s Agreement“. La Commission européenne a eu l’opportunité à plusieurs reprises de se pencher sur cette notion principalement centrés sur des règles de droit de la concurrence et ententes de marché. 

Sur ce point elle énonce tout d’abord dans une série de 3 arrêts du 15 juillet 2015 ( arrêt 1 ; arrêt 2 ; arrêt 3) qu’un “Gentlemen’s Agreement” peut encourir l’interdiction posé par l’article 81 (ancien 85) du traité de Rome dans le cas où ce dernier a pour but la conclusion de « pratiques susceptibles d’affecter le commerce entre États membre et qui ont pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun ».

Elle revient sur sa série de jurisprudences les 6 avril 1995 et 11 décembre 2003, en précisant que pour que l’article 81 du Traité de Rome soit applicable il est nécessaire que les entreprise aient manifesté leurs volontés commune de se comporter d’une manière déterminée sur le marché

Dont le 20 mars 2002, la Commission Européenne juge qu’il suffit également que la volonté commune soit conclue dans le but de restreindre la concurrence

Seulement dans ce dernier arrêt elle précise l’application de l’article 81 (ancien 85) du traité de Rome, où elle énonce que cet article n’est applicable, par nature, qu’aux actes ayant un caractère obligatoire. Néanmoins, elle démontre sa volonté de l’appliquer en forçant sa lettre pour le respect de son esprit découlant ainsi sur une interprétation téléologique.

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