Par un arrêt d’assemblée rendu en date du 28 octobre 2020, le Conseil d’Etat est venu doter l’administration fiscale d’un nouvel outil qui fait grand bruit. En effet, le contribuable pourrait désormais se voir reprocher par celle-ci, une fraude à la doctrine administrative. Ce prolongement de la fraude à la loi soulève de grands débats. Alors, qu’elles en sont les fondements et comment s’applique t’elle, c’est ce que nous allons découvrir.
I. Les fondements de la fraude à la doctrine administrative fiscale
Dès 1998, le Conseil d’Etat avait exprimé sa position sur ce sujet de l’applicabilité du principe de la fraude à la loi vis-à-vis de la doctrine administrative fiscale. Par un avis d’Assemblée du 8 avril 1998, Société de distribution de chaleur de Meudon et Orléans, le Conseil d’Etat avait alors fermé la porte à cette possibilité. L’administration fiscale ne pouvait donc pas prétendre pouvoir qualifier une fraude à la doctrine administrative fiscale sur le fondement de l’abus de droit.
La position était donc claire, le contribuable pouvait se prévaloir librement de la doctrine administrative qui lui était favorable et cela par application de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Cependant, cette question qui semblait pourtant enterrée, a refait surface. Tandis que le législateur développait l’abus de droit fiscal, ce vieux débat sortait pas à pas de sa tombe. Tout ceci donnant lieu à de nouveaux conflits, l’affaire devait être tranchée et c’est ce qui a été fait.
Le questionnement restait au fond le même qu’en 1998, mais en prenant en compte cette conception nouvelle de l’abus de droit (L.64 du LPF).
Ainsi, c’est au travers d’une affaire « Charbit », désormais célèbre, qu’un nouveau tremblement de terre à eu lieu au sein du monde fiscal français.
La cour administrative d’appel de Paris avait en effet retenu, dans un arrêt rendu en date du 20 décembre 2018 (La CAA Paris, 20 déc. 2018, n° 17-747, Charbit), que la fraude à la doctrine administrative pouvait être soulevée de par cette extension et modification des codifications portant sur l’abus de droit.
Le Conseil d’Etat avait donc été saisi de la validité de cet arrêt. C’est donc dans son arrêt d’Assemblée plénière rendu en date du 28 novembre 2020, que le Conseil d’Etat a confirmé ce revirement de position (CE, Ass., 28 oct. 2020, n° 428048, Charbit), en introduisant ainsi une exception à l’arrêt de 1998 par un toutefois qui fait grand bruit : « Toutefois, l’administration peut mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales et faire échec à ce mécanisme de garantie si elle démontre, par des éléments objectifs, que la situation à raison de laquelle le contribuable entre dans les prévisions de la loi, dans l’interprétation qu’en donne le ministre par voie d’instruction ou de circulaire, procède d’un montage artificiel, dénué de toute substance et élaboré sans autre finalité que d’éluder ou d’atténuer l’impôt ».
II. Les conditions d’applicabilité de cette exception
Avant toutes choses, il est important de mentionner que la qualification de fraude à la doctrine administrative retenue par le Conseil d’Etat, ne s’applique pas de manière générale à toute la doctrine administrative, elle reste une exception.
En effet, la fraude à la loi considérée doit relever d’un « montage artificiel, dénué de toute substance et élaboré sans autre finalité que d’éluder ou d’atténuer l’impôt ».
De plus, il reviendra à l’administration fiscale de démontrer « part des éléments objectifs » que la situation du contribuable procédait d’un « montage artificiel ». Une preuve qui pourrait sembler en pratique parfois difficile à démontrer.
Enfin, il faut rappeler que l’administration fiscale ne peut elle-même se prévaloir de sa doctrine administrative pour l’opposer au contribuable. Il s’agit bien ici d’une fraude à la doctrine administrative, lorsque le contribuable s’est au préalable défendu en opposant à l’administration fiscale sa propre doctrine. Il ne revient pas ici à l’administration fiscale de pouvoir établir des règles et de déterminer ensuite si leur application est frauduleuse ou non.
La doctrine administrative est en réalité un outil pour le contribuable, celui-ci peut sous certains conditions s’en prévaloir, et contraindre l’administration fiscale à appliquer sa propre interprétation. Mais à l’inverse, l’administration fiscale ne peut pas opposer le contenu défavorable de sa propre doctrine au contribuable, celui-ci pourra en effet toujours demander le bénéfice de la loi. Ainsi, ce qui pourrait sembler être un élargissement considérable des pouvoirs de l’administration fiscale, n’est en réalité qu’une limitation des abus qui pourraient être entrepris par le contribuable, sur le fondement d’un outil créé pour lui.