L’adoption de ce décret est une des principales réponses que donne la Russie aux sanctions prises à son égard, comme celle de l’exclusion d’événements internationaux sportifs. Ce texte prévoit en ces lignes la légalisation de l’usage d’un brevet sans compensation pécuniaire pour les auteurs et titulaires issus des « pays inamicaux ». Bien que la contrefaçon soit depuis longtemps un enjeux pour les marques, il s’agit ici de faire valoir des droits sur les créations déposées.
LES CONSÉQUENCES ET LES EFFETS DU DÉCRETS
Le 6 mars 2022, en réplique aux sanctions occidentales, le gouvernement russe a adopté un décret autorisant la reprise d’une invention/création intellectuelle sans indemniser son auteur/titulaire lorsque celui-ci « est lié » à un État étranger « inamical ».
Cette autorisation donne lieu à une modification le 19 avril 2022 de l’article 1360 paragraphe 1 du Code Civile de la Fédération de Russie, rajoutant l’exception du décret. Ainsi, il est possible pour le gouvernement de « décider de l’utilisation d’une invention ou de dessins et modèles industriels sans le consentement du titulaire du brevet ou des dessins et modèles, en le notifiant dans les meilleurs délais et en lui versant une indemnité proportionnée ».
UN POSSIBLE ESPOIR OCCIDENTAL
Tout comme la France, la Russie hiérarchise ses textes sous le principe de la pyramide des normes.
Ce qui offre trois types d’espoir aux États désignés comme inamicaux :
- Un espoir législatif ;
- Un espoir international ;
- Un espoir constitutionnel.
Espoir législatif
Tout d’abord, l’espoir est législatif, principalement du fait que les lois fédérales primes par rapport aux décrets. Ainsi, il est possible d’observer des contradictions au sein du droit russe.
En effet, l’article 147 du Code Pénal de la Fédération de Russie qui dispose que l’usage illégal d’une invention, d’un modèle d’utilité ou dessin industriel est passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 2 ans.
Du côté du Code civil de la Fédération de Russie, il reste possible que l’examinateur d’une des organisations de dépôts de marques puisse prononcer le refus de la demande sur le principe que le nom de marque antérieure similaire ou identique ait préalablement fait l’objet d’un dépôt, selon l’article 1483 VI du Code Civil de la Fédération de Russie.
Il est également possible pour toute personne, même étrangère, de faire une demande tenant à la non-conformité de ce qui est déposé, selon l’article 1493 du Code civil de la Fédération de Russie. La personne, potentiellement lésée, pourra contester en sollicitant la nullité de la demande de dépôt ainsi que l’autorisation d’exploitation, selon les lignes de l’article 1512 du Code Civil de la Fédération de Russie.
Espoir international
Mais l’espoir est aussi international. En effet, la Fédération de Russie, comparé à la majorité des pays dit développés, s’est trouvée en retard dans l’adoption des lois visant à la protection de la propriété intellectuelle. Pour combler ses lacunes sur les droits de ces citoyens ainsi que des ressortissants, la Russie a alors, de manière rapide, signé des accords internationaux.
Le texte le plus important qu’elle ait signé est la Convention de Paris de 1883, pour la protection de la propriété industrielle. Sa signature la subordonne alors à mettre en œuvre tous les moyens possibles dans le but d’assurer la protection des droits de propriété intellectuelle de ces citoyens et des ressortissants étrangers. En droit international, cette règle est considérée comme le principe de reconnaissance mutuelle. Ainsi, en adoptant des mesures de piraterie, le gouvernement russe viole ses engagements internationaux.
Les accords toujours ratifiés par la Russie, induisent que ceux-ci sont applicables à son encontre. Cette applicabilité favorise donc la protection des droits des créateurs et inventeurs issus des États « inamicaux » du fait qu’au sein de la pyramide des normes, les textes et traités internationaux se trouvent au-dessus des lois de la Fédération de Russie et des décrets pris par le Président.
Espoir constitutionnel
Enfin, l’espoir final se situe au sein de la Constitution de la Fédération de Russie. Celle-ci aborde le sujet de la protection des droits de la propriété intellectuelle. Ces droits restent protégés et obligatoirement garantis par son article 44 (garantie de la liberté de créativité), son article 15 paragraphe 4 (constitution au-dessus des traités et accords internationaux ratifiés) ainsi que son article 79 de la Constitution (les traités et accords internationaux qui entrent en contrariété avec la Constitution ne sont pas exécutoires).
Or, tout comme pour la France, la Constitution qui se trouve au sommet de la pyramide, se voit supérieure aux traités et textes internationaux ainsi qu’aux lois fédérales et aux décrets du Président.
Une application jurisprudentielle : l’arrêt Peppa Pig
A la suite de l’adoption du décret du 6 mars 2022, l’application judiciaire fût relativement rapide et particulièrement instable sur les droits applicables.
Dans les faits, le personnage d’un « petit cochon rose » (Peppa Pig), s’est vu repris par un russe sans rétribution financière pour le titulaire des droits. Cette absence de compensation a été contestée par Entertainment One UK Ltd, propriétaire de la série animée “Peppa Pig”, contre Ivan Kozhevnikov en vue d’obtenir une indemnisation pour violation du droit d’auteur.
Tout d’abord, le tribunal de la fédération de Russie juge à partir des décrets du 6 mars 2022 (légalisation de la piraterie) et du 28 février sur les mesures à prendre face aux actes inamicaux des pays occidentaux et sur l’article 10 du Code civil français (qui interdit la protection des droits civil ainsi que la protection des droits dans le seul but de nuire à autrui). Il admet alors que le fait d’exiger une compensation pour la violation des droits de propriété intellectuelle d’Entertainment One UK au milieu de sanctions constituait un abus de droit et qu’il ne peut être fait droit à leur demande et rejette ainsi la plainte.
L’entreprise britannique fait alors appel. La Cour souligne a contrario du tribunal que la Constitution garantit aux personnes physiques et aux organisations une protection égale de toutes les formes de propriété, y compris la propriété intellectuelle.
Pour trancher, elle se saisit de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, de la Convention universelle sur le droit d’auteur et du Protocole à l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques. Ainsi, la signature de la Fédération de Russie sur ces actes entre en contradiction avec le décret du 6 mars et les textes visant les mesures à prendre face aux pays « inamicaux ». La Cour juge que « l’égalité de protection de la propriété intellectuelle des organisations étrangères, y compris celles enregistrées au Royaume-Uni, est donc garantie dans la Fédération de Russie ». Elle conclut son jugement en déclarant que la plainte ne peut être qualifiée d’abus de droit en justifiant sa position par le droit international.
En conclusion, si l’on prend en compte les points textuels ainsi que la décision rendue pour l’affaire Peppa Pig, il apparaît que l’adoption du décret du 6 mars 2022 a une portée « symbolique » pour la Russie. Le décret ne peut, en effet, être écarté juridiquement pour des lois qui s’appliquent de manière prioritaire. Il apparaît alors que les Maisons de Luxe ne semblent pas touchés par cette mesure. Dans le cas inverse, elles possèdent la possibilité de contester l’atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle.