En principe, il n’est pas possible pour un créancier, titulaire d’une créance professionnelle, de saisir les biens personnels d’un débiteur pour se faire payer. C’est en somme ce qu’a indiqué le législateur à l’article L.526-1 du Code de commerce. Il y est prévu un ensemble de mécanismes grâce auxquels un débiteur peut se prémunir contre la saisissabilité de ses biens personnels. On parle alors d’insaisissabilité. Deux types de régimes de l’insaisissabilité sont prévus par le législateur : le régime de plein droit et celui de la déclaration notariée. L’insaisissabilité est-elle toujours absolue ? Est-elle opposable à tous types de créanciers ?
Insaisissabilité de plein droit par les créanciers professionnels
L’insaisissabilité de plein droit, fixé au sein de l’article L526-1 du Code de commerce, est le fait de ne pas pouvoir saisir un bien, sans que son propriétaire n’ait au préalable déclaré insaisissable.
Qu’est-ce que le principe de l’insaisissabilité de plein droit ?
Codifié à l’article L.526-1 du Code de commerce, il est posé par la loi n°2015-990 du 6 août 2015, dite loi Macron, entrée en vigueur le 8 août 2015. Le texte prévoit que « Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du Code civil, les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ». Tel qu’énoncé, l’article L526-1 du Code de commerce mérite quelques explications pour bien comprendre.
Comment comprendre le principe de l’insaisissabilité de plein droit ?
Le principe bénéficie en général à tout entrepreneur individuel. Toutefois, la jurisprudence démontre une certaine minutie quant à la détermination des bénéficiaires de l’art 526-1 du Code de commerce (Cass., com, 13 septembre 2016 n°15-14088). En d’autres termes le juge fait une application stricte du principe, ainsi toute personne physique ne remplissant pas les conditions posées par l’énoncé de l’article 526-1 pourrait se voir refuser le statut de bénéficiaire du dispositif.
Le législateur protège la résidence principale de l’entrepreneur débiteur, en la déclarant insaisissable de plein droit. La résidence principale s’entend de la principale habitation (meubles et immeubles) où l’entrepreneur vit avec sa famille. Cette habitation fait l’objet d’un droit insaisissable. En cas de changement de lieu de résidence, ce droit suit l’entrepreneur et s’applique de plein droit à sa nouvelle résidence. Toutefois évitant des attitudes frauduleuses, de la part d’entrepreneur individuel, le juge a retenu que c’est la situation de l’immeuble au jour de l’ouverture de la procédure collective qui doit retenue (Cass., com, 18 mai 2022 n°20-22768).
Sont concernées les créances professionnelles, c’est-à-dire les dettes nées à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel. L’insaisissabilité est imprescriptible (Cass., com, 17 novembre 2021 n°20-20821).
Ce principe est toutefois sans effets sur les créanciers professionnels et le liquidateur pour les procédures collectives antérieures à l’entrée en vigueur de la loi le 8 août 2015 (Cass., com, mai 2019 n°18-16097).
Insaisissabilité par déclaration notariée
L’insaisissabilité de plein droit se rapporte uniquement à la résidence principale du débiteur. Le législateur a prévu un autre dispositif pour tout autre bien immeuble.
Qu’est-ce que le principe de l’insaisissabilité par déclaration notariée ?
C’est une autre disposition de l’article L.526-1 du Code de commerce. Le législateur indique que « Par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. ».
Comment comprendre l’insaisissabilité par déclaration notariée ?
L’insaisissabilité de plein droit concerne la résidence principale du chef d’entreprise (EIRL – Entreprise individuelle à responsabilité limitée), tandis que l’insaisissabilité par déclaration notariée concerne tout immeuble non affecté en totalité ou en partie (immeuble mixte) à l’activité professionnelle. Elle repose sur la déclaration d’insaisissabilité d’immeuble d’habitation. Il peut s’agir d’un immeuble, résidence secondaire, terrain bâti ou non bâti, mais également des droits démembrés sur l’immeuble (nu propriété, usufruit ; droit indivis, etc.).
Lorsque l’immeuble n’est affecté qu’en partie à l’exercice professionnel, le notaire devra dresser un état descriptif de division, afin de distinguer la partie protégée par la déclaration d’insaisissabilité. La publication doit être faite au bureau des hypothèques et mentionnée dans le registre de commerce ou dans un journal d’annonces légales. Ces publications informent les créanciers que ledit immeuble ne peut faire l’objet de saisie aux fins de paiement. Toutefois, elles doivent être faites dans avant le jugement d’ouverture de la procédure collective en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise ; à défaut l’insaisissabilité ne leur sera pas opposable (Cass., com, 10 mars 2021, n°19-21971).
Par ailleurs, dans le même ordre d’idées, tous créanciers postérieurs à la publication de la déclaration d’insaisissabilité au Services de la publicité foncière ou au répertoire des métiers ne pourront pas de droit de saisie sur l’immeuble insaisissable (Cass., com, 8 janvier 2020 n°18-20885). La date de publication et la date de naissance de la créance ont donc une valeur déterminante pour le juge.
La Cour de cassation a admis que la déclaration d’insaisissabilité d’un immeuble n’empêche pas que lui soit inscrite dessus une hypothèque judiciaire (Cass., com, 11 juin 2014 n°13-13643). En outre, lorsque la déclaration d’insaisissabilité est entachée d’irrégularités, un juge commissaire, sur requête du liquidateur, peut ordonner la vente de l’immeuble (Cass., com, 2 juin 2015, n°14-10383).
Droits des créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable
L’insaisissabilité n’est pas opposable à tous les créanciers de l’entrepreneur individuel. En effet, certains peuvent y échapper en raison de l’antériorité de la dette, de son caractère personnel et enfin en cas de renonciation à l’insaisissabilité de l’immeuble.
Lorsque la date de naissance de créance précède celle de publication de la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble, la Cour de cassation admet que l’insaisissabilité de peut pas être opposable au débiteur ; de même que lorsque la publication est irrégulière.
Les créanciers personnels, ceux titulaires de créances personnelles à l’exclusion de tout caractère professionnel, disposent d’un droit d’action à sur l’immeuble pour se faire payer, en dépit d’une éventuelle déclaration d’insaisissabilité.
Enfin, lorsqu’un débiteur renonce à l’insaisissabilité de son immeuble dans le cadre d’une procédure collective, les créanciers postérieurs à la date de renonciation (Cf Cass, lettre de la cham. com. n°6, novembre 2021) peuvent demander la vente de l’immeuble pour se payer avec le produit.
Par ailleurs, le juge a admis qu’un créancier, en marge de ses droits dans la procédure collective, dispose d’un droit de poursuite sur l’immeuble. Il peut exercer ce droit en obtenant un titre exécutoire tendant à faire constater l’existence, le montant ou encore l’exigibilité de sa créance.