Vous êtes propriétaire d’un fond (bien immobilier) et votre voisin ou un tiers a construit un ouvrage dessus. Comment régler cette situation ? Devenez-vous automatiquement acquéreur de l’ouvrage ? Devez-vous indemniser le tiers constructeur ? Quels sont ses droits sur l’ouvrage ? Dans quelles mesures et à quelles conditions pourrez-vous conserver ou obtenir un droit réel sur ledit ouvrage ? Cette situation a priori complexe a été réglée par le législateur à l’article 555 du Code civil. Il y est prévu des mécanismes et solutions pour résoudre une telle situation.
L’article 555 du Code civil et le droit d’accession
Pour mieux appréhender l’article 555 du Code civil, il faut déjà rappeler certains articles précédents.
- Article 551 « Tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire. ».
- Article 552 « La propriété du sol emporte propriété du dessus et du dessous. »
- Article 546 « La propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. Ce droit s’appelle “droit d’accession”. »
Par ces articles, le législateur pose les bases générales ou le fondement juridique du droit de propriété privé, droit des biens, et du droit d’accession par incorporation.
Lorsque vous êtes propriétaire d’un fonds, votre droit de propriété s’étend à tout d’ouvrage qui s’incorpore à votre fonds. C’est la quintessence du droit d’accession.
L’ouvrage accessoire sur une propriété immobilière peut être naturel (ouvrage naturel), on parle alors d’accession immobilière naturelle ; s’il est artificiel (ouvrage artificiel), on parle d’accession immobilière artificielle. L’ouvrage peut également s’incorporer sur une propriété mobilière, dans ce cas, on parle d’accession mobilière.
Toutefois, sur une propriété immobilière, le droit d’accession n’est pas toujours d’application automatique.
Dans la mesure où le propriétaire du fonds ne s’approprie pas toujours l’ouvrage du tiers de façon spontanée et sans juste indemnité.
C’est là qu’intervient l’article 555 du Code civil, qui régit l’ensemble des mécanismes par lesquels le propriétaire du fonds devient propriétaire de l’ouvrage.
Bon à savoir :
Lorsque le fonds sur lequel est construit l’édifice relève du domaine public, le constructeur de l’édifice peut faire l’objet d’une expropriation pour cause d’utilité publique, moyennant des dommages et intérêts
Quel est le domaine d’application de l’article 555 ?
L’article 555 alinéa 1 dispose que « Lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, …, soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever. »
Deux déterminants ressortent de l’article 555 : la nature de l’ouvrage et les personnes concernées.
Domaine d’application quant à la nature de l’ouvrage
Dans la nature de l’ouvrage, il faut distinguer le fonds et l’ouvrage en lui-même.
Le fonds : c’est la surface ou support sur lequel l’ouvrage a été construit. Un fonds désigne essentiellement un immeuble, une chose rattachée au sol et inamovible.
L’ouvrage en lui-même : ouvrage est pris au sens large.
L’article 555-1 parle de « plantations, constructions et ouvrages ». Si la compréhension du terme « plantation » est sans équivoque, celle de « constructions et ouvrages » requiert plus d’attention.
En effet, sont désignées ici, tous les travaux qui ne renvoient pas des améliorations ou réparations d’ouvrage déjà existant (Cass. 3e cham. Civ., 5 juin 1973). En d’autres termes, « constructions et ouvrages » renvoient à la création d’un nouvel édifice et non à la réparation ou amélioration d’un édifice existant.
Domaine d’application quant aux personnes
L’application de l’article 555 concerne deux catégories de personnes.
- Le bénéficiaire de l’accession :
c’est le propriétaire du fonds, conformément à l’article 551 C. civ.
Toutefois, les juges ont admis que les titulaires de droits réels et droits démembrés (usufruitiers et emphytéotes) peuvent également se prévaloir du bénéfice de l’accession, au même titre que le propriétaire du fonds.
- Le constructeur :
c’est l’auteur de l’ouvrage. Il s’agit du tiers qui a édifié une construction sur un fonds dont il n’est pas propriétaire. Appliquée à ce contexte, le tiers mérite d’être déterminé.
- Qui est le « tiers » ?
Sur cette question, doctrine et jurisprudence sont allées chacune de son interprétation.
Selon une partie de la doctrine, le tiers est toute personne n’ayant aucun lien de droit avec le propriétaire du fonds.
Pour une autre partie, le lien de droit entre le propriétaire du fonds et le tiers n’empêche pas l’application de l’article 555.
Dans la mesure où, seul le consentement des parties, dans le cadre d’une convention pourrait faire obstacle à l’application de l’article 555.
A rappeler justement que, ledit article 555 C. civ a une valeur supplétive (les parties peuvent donc choisir de ne pas l’appliquer).
Cette dernière position est soutenue par la Cour de cassation dans une décision de la 3e chambre civile du 6 novembre 1970, n°69-11900.
Que prescrit l’article 555 ?
Plusieurs solutions sont alors au choix du propriétaire du fonds quant aux ouvrages et plantations du tiers. L’article 555 du code civil dispose qu’il peut décider « … soit d’en conserver la propriété, soit d’obliger le tiers à les enlever. ».
Il devra également tenir compte de la bonne ou mauvaise foi du tiers.
Démolition de l’ouvrage
C’est l’alinéa 2 de l’article 555 qui pose ce principe « Si le propriétaire du fonds exige la suppression des constructions … elle est exécutée aux frais du tiers, sans aucune indemnité pour lui ;
le tiers peut, en outre, être condamné à des dommages intérêts pour le préjudice éventuellement subi par le propriétaire du fonds. ».
Pour que le principe de la démolition de l’ouvrage irrégulier s’applique, il faudrait que le tiers évincé soit de mauvaise foi (Art. 555).
A contrario, s’il est de bonne foi, le propriétaire, en plus de devoir conserver la construction irrégulière, devra reverser au tiers une indemnité compensatrice.
La bonne foi du tiers est prouvée par la détention d’un titre translatif de propriété (Cass., c.civ, 17 nov. 1971, n°70-13346).
Conservation de l’ouvrage
C’est l’alinéa 3 de l’article 555 qui pose ce principe « Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions … il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d’œuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l’état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages. ».
Si pour la destruction de l’ouvrage, le propriétaire du fonds dispose d’un droit lié à la mauvaise foi du tiers, pour sa conservation par contre, il dispose d’un droit discrétionnaire, que le tiers soit de bonne ou de mauvaise.
Toutefois, s’il opte pour conserver la construction, il aura une obligation d’indemniser le constructeur.
La conservation de l’ouvrage entraine son incorporation définitive à l’immeuble et rentre dans le domaine du propriétaire du fond, en vertu de l’article 551 du code civil « Tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire. ».