Cet article contient en son sein quelques références (spoiler) du film « UPGRADE » afin de permettre une complète analyse des technologies utilisées dans le scénario de celui-ci.
L’analyse se bornera au droit français ainsi qu’européen et ne se penchera pas sur les législations internationales.
La science-fiction et l’évolution de la société sont des thèmes qui sont régulièrement développés au sein du domaine cinématographique.
Cependant, certaines inventions technologiques, chacune plus poussées les unes que les autres, pourraient-elles faire l’objet d’une protection intellectuelle et, plus spécifiquement, au sein du film Upgrade de Leigh Whannell ?
I- LA PUCE NUMÉRIQUE MÉDICALE : STEM
STEM, co-personnage principal du film, est présenté comme une prouesse technologique. À la frontière entre l’interdit et le possible, cette puce pourrait-elle faire l’objet d’un dépôt de brevet ? Voir même d’un dépôt de marque ?
A- LE BREVETAGE D’UNE PUCE NUMÉRIQUE MÉDICALE
1- QUALIFICATION DE L’INVENTION
STEM, est une puce numérique médicale expérimentale basée sur une Intelligence Artificielle qui permet d’une part d’aider les personnes sujettes à une paraplégie partielle ou complète à retrouver l’usage de leurs membres et, d’autre part, d’avoir la capacité de prendre le contrôle total du corps de la personne.
STEM est greffée sur la moelle épinière du sujet au niveau des cervicales du cou. Cette localisation permet à STEM de créer un pont fonctionnel entre le cerveau et éléments du corps humain permettant la mobilité ainsi que d’interactions de communication interne.
STEM disposant de la capacité d’interagir avec le corps de son hôte. Il est capable de s’exprimer, de penser, d’analyser des situations, ou encore de suggérer des actions ou réactions de son hôte, dans le cas présent : Grey.
2- POSSIBILITÉS DE BREVETS
a- ENCADREMENT RÉGLEMENTAIRE DES DISPOSITIFS MÉDICAUX
La protection des dispositifs médicaux est en croissance constante depuis quelques décennies. Selon le ministère de la Santé, ces types de dispositifs sont des « instruments, appareils, équipements ou encore logiciels destinés, par son fabricant, à être utilisés chez l’homme à des fins, notamment, de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement, d’atténuation d’une maladie ou d’une blessure ».
Cette définition est également reprise au sein de l’article L5211-1 du Code de la Santé Publique, qui précise qu’une réglementation européenne spécifique est appliquée à ce type de dispositifs.
En effet, le règlement (UE) 2017/745 du Parlement Européen et du Conseil vise à renforcer le cadre réglementaire des dispositifs médicaux en Europe. Il met l’accent sur la sécurité, la transparence ainsi que la traçabilité des dispositifs. Il porte ainsi une attention particulière à la fabrication et la commercialisation, tout en mettant en œuvre des règles de classification, d’obligations et de responsabilités pour les opérateurs économiques.
Ce règlement impose pour les dispositifs médicaux expérimentaux, des obligations.
Elles portent sur le respect des principes éthiques comme :
- De bonnes pratiques par les cliniques,
- Un protocole basé sur les dernières avancées scientifiques,
- Une expérimentation menée dans un environnement regroupant les conditions réelles d’utilisation,
- Que la clinique puisse évaluer la sécurité, les performances ainsi que les bénéfices cliniques du dispositif via des investigateurs formés en adéquations au dispositif.
Au-delà de ces principes, le règlement est étendu aux logiciels qui font partie ou qui sont reliés de manière indirecte aux dispositifs médicaux ce qui justifie un dispositif de vigilance qui impose la mise en place d’un système de surveillance post-commercialisation.
b- L’APPLICATION DU RÈGLEMENT À LA SITUATION DONNÉE
Le principe de STEM, assimilable au dispositif médical, semble donc à ce stade pouvoir faire l’objet d’un dépôt de brevet. Ce dernier remplit l’ensemble des conditions de brevetabilité. Il est bien une solution technique nouvelle qui a nécessité une certaine activité inventive pour être développée dans le but de répondre à un problème technique.
Cependant, la fin du film démontre le refus inévitable du dépôt du brevet. Ce refus pourrait être basé sur le principe de sécurité des patients prévu par le règlement 2017/745. Cela s’explique par le fait que Grey (personnage principal) devient l’enveloppe corporelle de STEM qui a mis tout en œuvre pour manipuler son hôte dans le but de s’émanciper et de devenir autonome.Ainsi, le fait de perdre le contrôle du dispositif médical pourrait causer des troubles à l’ordre public (exclusion de brevetabilité de l’article 53 a de la Convention sur le Brevet Européen).
B- LE NOM « STEM » POURRAIT-IL ÊTRE UNE MARQUE ?
L’INPI suggère de protéger les noms de produits via le système du dépôt de marques. Traditionnelle ou non, dès lors qu’elles remplissent les conditions nécessaires à leur dépôt et que celles-ci sont validées par l’office, elles offrent une durée de protection infinie (seulement si celles-ci sont renouvelées par leurs titulaires).
Ce type de protection permet de protéger de nombreux droits comme la dénomination commerciale des produits qui comprend les dispositifs médicaux. À ce titre, STEM pourrait être à la fois déposé comme une marque composée de lettre ou encore de la forme de STEM (puce numérique) via l’annexion d’un dessin ou bénéficier de la dénomination commerciale.
Le dépôt de marque de nom de produit est récurrent dès lors que le produit est soumis à une forte demande des consommateurs. Ainsi, Stem ne serait pas le premier nom de produit breveté, pour illustrer, Dior ont par le passé déposé le nom de leur célèbre parfum « J’adore » ainsi que leurs dérivés.
C- QUELLES RÈGLES DU RGPD SERAIENT MOBILISÉES DANS CE TYPE DE CAS SI LE SUJET ÉTAIT UN RESSORTISSANT EUROPÉEN ?
Il arrive dans certains cas qu’un dispositif médical collecte des données de santé qui sont par la suite transférées au sein de bases de données.
Durant l’intrigue du film, nous comprenons qu’Eron KEEN (Inventeur) dispose de la possibilité de consulter les données que traite STEM. Par ce biais, il serait possible de voir le RGPD s’appliquer dès lors que le patient disposerait de la nationalité d’un état européen.
Dans le cas où le sujet serait français, ce texte (complété par la loi informatique et liberté) encadre le traitement de données de manière stricte.
Selon ces textes, les données de santé sont perçues comme « sensibles » ce qui interdit normalement leur traitement.
Cependant, le traitement reste possible sous réserve de la bonne application des principes de bases et des conditions spécifiques supplémentaires (article 9 RGPD et article 44 de la loi informatique et liberté).
Leur respect doit être total car celles-ci sont strictes et régulièrement surveillées par la CNIL. Dans certains cas, il est même nécessaire que le responsable de traitement procède à l’accomplissement d’une formalité préalable.
Ces dispositions s’ajoutent au règlement (UE) 2017/745 sur les dispositifs médicaux qui intensifie le contrôle des logiciels et la gestion des risques (sécurité de l’information, vérification et validation) via de nouvelles règles de classification spécifique. Les règles sont majoritairement calquées à celles contenues au sein du RGPD.
Il convient de souligner que la portée du RGPD, bien que large est cependant limitée. Ce texte autorise l’envoi des données au sein de pays qui possèdent un niveau de sécurité équivalent au RGPD (article 45 RGPD / Argentine, Corée du Sud, l’Île de man, le Japon…).
En dehors de cette liste, les transferts sont interdits (article 44 RGPD).
En revanche, les États-Unis font l’objet d’une dérogation via l’application du « Data Privacy Framework ». Ce texte autorise l’envoi de données à une entreprise américaine auto-certifiée « niveau équivalent ».
D- LA GESTION D’UNE ENTREPRISE PAR UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Le Code de commerce établit des règles strictes en matière de gestion de société commerciale. Selon les formes de sociétés et leur degré de responsabilité qui découlent de la gestion, les règles peuvent diverger concernant le type de personnes admises à la gestion.
Certaines autorisent la gestion à des personnes morales, tandis que d’autres la limite aux personnes physiques (article L225-51-1 du Code de Commerce).
Concernant la gestion d’une société par une Intelligence Artificielle, à ce jour, aucun cadre juridique ne leur a octroyé de capacité juridique.
Ainsi et pour le moment, le droit ne permet pas à une Intelligence Artificielle d’assumer légalement la direction voire la gestion d’une entreprise, la capacité juridique étant obligatoire afin d’endosser ce rôle.
E- QUI EST RESPONSABLE ENTRE LA PERSONNE PHYSIQUE ET L’IA CAS DE NON-RESPECT DE LA LOI
1- LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DE L’UTILISATEUR DE L’IA
Pour le moment, aucune législation ne se penche précisément sur la question. Le seul principe est qu’en droit pénal français, la responsabilité est personnelle.
Par ce biais, il semblerait que Grey puisse être tenu responsable des actes de STEM si celui-ci était soumis au droit français. Ce raisonnement s’explique par le fait que Grey « autorise » verbalement STEM à prendre le total contrôle son corps afin d’effectuer des actions qu’il ne maîtrise pas où d’autres dont il ne souhaite pas prendre la responsabilité.
La seule possibilité d’exonération pour Grey est de démontrer qu’il était plongé au sein d’un état qui soulève son irresponsabilité pénale. Il pourrait faire valoir une grande souffrance émotionnelle due à la perte de sa femme et également de son état paraplégique.
Ces traumatismes pourraient être assimilés à des troubles psychique et/ou neuropsychique ayant abolis son discernement aux moments des faits (article 122-1 du Code Pénal).
2- LA RESPONSABILITÉ DU CONCEPTEUR ET/OU PROPRIÉTAIRE DE L’IA
Le RIA a vocation à encadrer l’ensemble des Intelligences Artificielles, quel que soit leur type. Au sein de l’article 5 du RIA est dressée une liste des différents types d’IA (reprisent au sein du schéma)(Page 49)
Plus l’IA s’associe avec une classe située en haut de pyramide, plus cela signifie qu’elle met en œuvre des risques dits inacceptable pour l’utilisateur. Ainsi, l’IA aurait alors plus de chance de se voir interdite.
Parmi les différents types de classes, le (b) de l’article 5 du RIA développe que doit être interdite « la mise sur le marché, la mise en service ou l’utilisation d’un système d’IA qui exploite les éventuelles vulnérabilités dues à l’âge ou au handicap physique ou mental d’un groupe de personnes donné pour altérer substantiellement le comportement d’un membre de ce groupe d’une manière qui cause ou est susceptible de causer un préjudice physique ou psychologique à cette personne ou à un tiers ».

En cas de non-respect de cette disposition, le fournisseur d’IA, ici Eron KEEN, pourrait faire l’objet d’une lourde amende.
De plus, il pourrait potentiellement s’exposer à d’autres sanctions fondées sur une action civile (article 1242 du Code Civil) ou encore sur le fondement des produits défectueux (article 1245 CCiv). L’élaboration des règles et la jurisprudence en matière d’IA se pencheront peut-être prochainement sur cette question.
II- LA PROTECTION DES ARMES BIOTECHNOLOGIQUES
Durant ce film, au-delà des inventions déjà développées dans notre réalité, à savoir les drones ainsi que les voitures autonomes, se trouve une énième invention sur laquelle il est intéressant de se pencher : Les armes biotechnologiques greffées au bras des personnages de Fisk et de quelques-uns de ses hommes de main.
Par principe, un brevet peut être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques sous réserve du respect des conditions de brevetabilité. Ces conditions sont accompagnées d’exceptions à la brevetabilité (article 53 de la Convention sur le Brevet Européen).
Celles-ci mentionnent que les inventions en mesure de porter atteinte à la société sont interdites (bonne mœurs et ordre public). Il en découle donc que les armes biotechnologiques seraient impossibles à faire breveter bien qu’elles pourraient intéresser le secteur de la Défense Nationale.
La principale explication provient du corps humain largement protégé par le droit français. Bien que chacun puisse disposer de son corps, il ne serait probablement pas autorisé de développer de telles armes greffées sur le corps humain.