The Substance : des substances brevetables dans la vraie vie ?

10 février 2025

Cet article contient en son sein des rappels du film afin de décrire au mieux les substances utilisées au cours de celui-ci. 

L’analyse se bornera au droit français ainsi qu’européen en matière de brevet, et ne se penchera pas sur les législation internationales. 

La jeunesse éternelle ainsi que la perfection de l’apparence sont des idéaux à atteindre que bon nombre tentent d’obtenir ou de préserver de bien des manières qu’il soit. Cependant, cette quête serait-elle possible dans la vraie vie en présence de la substance activatrice ? Serait-il possible de voir dans l’avenir une telle substance permettant d’atteindre cet idéal ? Pourrait-elle être brevetée ? Telles sont les questions. 

I. Analyse des substances utilisées

Du point de vue scientifique, la fameuse substance, dit « sérum activateur », utilisée par Demi MOORE (Elisabeth SPARKLE) opère quelques secondes à la suite de l’injection une modification cellulaire de son ADN. De cette situation résulte un dédoublement corporel où l’on retrouve le corps d’origine qui devient « la matrice » et le second corps, assimilé comme la « meilleure version de soit même », plus jeune, plus beau, plus parfait. 

Ce dédoublement établit une relation symbiotique entre les deux corps où la conscience se doit d’être transférée toutes les semaines sans exceptions d’un corps à l’autre sous peine de voir des séquelles apparaître sur le corps inconscient (nécrose, vieillissement…). 

Les corps ne doivent pas être délaissés durant leur « inutilisation ». Durant les semaines « d’inconscience », ceux-ci devront être nourris via intraveineuse par un produit alimentaire. De plus, chaque jour de la semaine où le jeune corps est amené à être conscient, un liquide stabilisateur extrait par ponction lombaire (rachicentèsede la matrice doit lui être injecté. 

Enfin, il est précisé que le sérum activateur n’est utilisable que pour un seul usage. Dans le cas où celle-ci serait utilisée une seconde fois et sur le corps jeune, un corps instable s’assimilant à un mutant quasiment chimérique est créé. 

II. Les substances ont-elles une chance d’être brevetés ?

Dans l’histoire, la substance activatrice, tout comme le produit alimentaire, est obtenue via un marché noir. Si cette substance, ne fait l’objet d’aucun dépôt de brevet, ni même d’une commercialisation légale dans le film, se pose alors la question de savoir cette substance pourrait faire l’objet ou non d’une protection intellectuelle au sein de notre réalité.

La délivrance des brevets dans le secteur médical, pharmaceutique ou encore cosmétique donne lieu à l’application d’un grand nombre de contrôles avant d’être proposés sur le marché ciblé (souvent réalisée pour une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM)). Toutefois, avant de pouvoir prétendre à un dépôt de brevet et à une commercialisation, les produits de ces secteurs doivent pouvoir assurer que leur produit peut être considérée comme une innovation et qu’ils ne font pas partie des exceptions à la brevetabilité listées au sein de la Convention sur le Brevet Européen. 

A. Le sérum activateur

La Convention sur le Brevet Européen se penche sur les substances et composés chimiques du secteur médical et pharmaceutique. Bien que l’ensemble des substances sont en mesure de remplir les conditions de brevetabilité (substance nouvelle ; activité inventive ; application industrielle), certaines d’entre elles sont toutefois exclues de la brevetabilité du fait de leur nature. 

1. Substance d’une méthode thérapeutique

Le sérum activateur semble avoir un espoir d’être breveté selon la lettre l’article 53C de la Convention sur le Brevet Européen (CBE). En effet, celui-ci dispose qu’il serait possible de breveter une substance ou sa composition dans le cas où celle-ci serait utilisée dans le cadre de méthodes thérapeutiques (le traitement thérapeutique est en revanche non brevetable). 

Dans le film, Elisabeth SPARKLE commence à se préoccuper de son apparence lorsque celle-ci se fait licencier de son travail à cause de son âge. Bien qu’elle puisse contester ce licenciement si elle avait travaillé en France (article 1132-1 du Code du travail), ce licenciement créé en elle une importante préoccupation concernant « ses défauts ». La nouvelle vision qu’elle a de son corps semble exacerber les imperfections de son apparence physique qu’elle prétend voir, ce qui n’est en réalité que le simple vieillissement de son corps. Ce trouble de la pensée dans son contenu, peut être assimilé à de la dysmorphophobie. Trouble qui dès lors que l’on confronte le sujet à l’objet ou à la situation redoutée provoque une angoisse intense. Le sujet développe alors des conduites d’évitement dans le but de ne pas faire face à la confrontation, ou bien alors il s’aide d’objets voir d’attitudes contraphobiques. Dans ce cas-ci, Elisabeth contourne le fait qu’elle vieillit en se penchant sur ce qui est pour elle un traitement. Alors la substance pourrait-elle être considérée comme tel ? 

La substance pourrait potentiellement s’analyser comme une substance de traitement thérapeutique dans le sens où celle-ci pourrait détenir une revendication sur le fait d’avoir été conçue afin de traiter ou guérir un trouble médical comprenant la dysmorphophobie. Son objectif principal est d’améliorer ou de restaurer la santé (mentale principalement) en agissant sur des processus biologiques profonds afin de modifier les fonctions du corps ou de traiter une pathologie. Cette disposition semble alors laisser penser que la fameuse substance pourrait faire l’objet d’un dépôt de brevet. 

2. L’ordre public et les bonnes mœurs

Cependant, il convient de nuancer la possibilité de breveter sur le principe de la substance de traitement thérapeutique. 

Cela s’explique par le fait que la substance pourrait faire l’objet d’une interdiction se fondant sur l’ordre public ainsi que les bonnes mœurs prévue à l’article 53A de la CBE. Cette disposition souligne que les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à ces principes doivent faire l’objet d’une exclusion de la brevetabilité et doivent également être interdites à l’exploitation commerciale.

  • L’ordre public, du fait que le sérum activateur a pour objet de créer une « nouvelle personne ». Ce qui au niveau du recensement et de l’identification pourrait poser un problème. Ici, Sue ne semble pas être en possession de papier d’identité.  
  • Les bonnes mœurs, car même si la société approuve le principe de libre disposition du corps humain (article 16-1 du Code Civil), le principe de l’indisponibilité du corps humain et de dignité humaine composante de l’ordre public ne peuvent être écarté (Conseil d’État, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge). 

De plus, l’usage unique de la substance semble conforter le principe de dignité humaine qui écarte la substance de la brevetabilité. 

B. Le liquide alimentaire

Concernant le liquide alimentaire, celui-ci est dans sa nature moins intrusive et radicale que le sérum activateur. 

Au sein du corps médical, ce type de composé est bien utilisé et se nomme « nutrition parentérale ». Cette dernière se définit comme étant une solution de nutrition artificielle liquide spécial administrant des substances nutritives dans les veines via un dispositif d’accès veineux périphérique ou central, en fonction de l’osmolarité de la solution. Ce type de procédé est sollicité dans les cas où la nutrition par sonde est impossible, car elle est un dispositif très complexe présentant des inconvénients. 

En conséquence, son caractère innovant et intellectuelle en plus de son effet positif sur la santé fait d’elle un produit brevetable. Il est possible de trouver un grand nombre de dépôt sur la base de données de l’INPI. Parmi les brevets en vigueur, il est possible de retrouver par exemple un brevet de l’entreprise pharmaceutique Baxter INT proposant une formulation à base d’arginine butyrate, destinée à être utilisés chez des patients adultes ou pédiatriques.

C. Le liquide stabilisateur

Enfin, le liquide stabilisateur quant à lui est un produit qui découle directement du corps humain. Sur ce point, à l’instar de la substance activatrice, une disposition de la Convention sur le Brevet Européen encadre cette possibilité. 

Cette disposition est la règle 29 qui se prononce sur la brevetabilité du corps humain et de ses éléments. Elle énonce que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence ou la séquence partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables ». 

Par conséquent, le liquide stabilisateur issu du corps de Elisabeth ne peut prétendre à faire l’objet d’un quelconque dépôt de brevet. 

III. Pour aller plus loin, Sue serait-elle brevetable ?

La brevetabilité du vivant a toujours suscité de nombreuses questions, comme le soulignent Emmanuel BAUD ainsi que Thomas Bouvet

Sur cette question, il convient de dissiper tout suspens puisque Sue, ne peut être un élément brevetable. En effet, la règle 28 de la Convention sur le Brevet Européen souligne que les procédés biotechnologiques de clonages et de modification de l’identité génétique germinale ne peuvent être protégé par brevet. 

Le clonage étant le fait reproduire des organismes vivant génétiquement identique via une technique de biologie moléculaire qui consiste à isoler un fragment d’ADN et à le multiplier à l’identique. Tandis que la modification germinale, source de l’évolution, est le fait de trouver des modifications de l’ADN pouvant se transmettre à la descendance. Sue étant dans l’univers du film un clone de Elisabeth Sparkle présentant des modifications génétique se rapprochant davantage aux standards de beauté. 

À cela la règle 29 du même texte appuie une seconde fois sur l’exclusion de brevetabilité de Sue en ajoutant que le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que de la simple découverte d’un de ces éléments, ne peut constituer une invention brevetable.

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