Terres rares et propriété industrielle : et si on brevetait du vibranium ou de la kryptonite ?

9 juillet 2021

Terres rares et propriété industrielle _ et si on brevetait du vibranium ou de la kryptonite _

En se faisant remettre son bouclier fait de vibranium, Captain America n’imaginait pas que les propriétés physiques phénoménales de ce métal pourraient un jour susciter un raisonnement juridique. Si ce matériau rare existait réellement, des droits de propriété intellectuelle seraient-ils envisageables ? 

I – Les terres rares, comme le vibranium ou la kryptonite, découvertes en l’état sont-elles brevetables ?

Si vous êtes fans de MARVEL et avez notamment vu les films du MCU, vous connaissez sûrement le vibranium, réputé pour sa très grande résistance et sa capacité à absorber les vibrations et amortir les chutes, comme c’est le cas pour la tenue de la Panthère Noire. L’adamantium, quant à lui, le surpasse en étant le métal le plus résistant dans tout l’univers MARVEL. S’agissant des fans de DC, on peut citer la pluie de météorites qui a amené de la kryptonite sur la Terre. Il s’agit des roches issues de l’explosion d’une arme radioactive sur la planète Krypton et qui sont de couleurs vertes en principe. Ces matériaux extraterrestres ont pour point commun d’avoir été découverts par l’Homme. Sont-ils pour autant des terres rares ? Si la kryptonite ou le vibranium étaient des terres rares, elles feraient partie d’un ensemble de 17 éléments métalliques comme le scandium, utilisé dans l’aéronautique, le prométhium dans les batteries nucléaires ou encore l’erbium dans les lasers infrarouges. Face à une demande toujours croissante pour assurer la production de technologies alors que l’extraction de ces ressources stratégiques est très coûteuse, dans quelle mesure le vibranium découvert au Wakanda ou la kryptonite contenue dans les météorites qui se sont écrasées à Smallville (pour les fans du jeune Superman dans cette série américaine entre 2001 et 2011), pourraient-ils être protégés par un brevet ?

Selon le Code de la propriété intellectuelle, le brevet protège toute invention nouvelle qui implique une activité inventive et qui est susceptible d’application industrielle. Le Code exclut expressément les découvertes ou encore les théories scientifiques. En effet, le brevet doit porter sur une invention qui répond à un problème technique par une solution technique. Or, la kryptonite verte en elle-même ne répond pas vraiment à un problème technique. 

Son seul effet, lorsqu’elle se situe à proximité de kryptoniens comme Superman, est de les affaiblir et de les rendre encore plus vulnérables que des humains. La kryptonite bleue leur bloque les pouvoirs, la rouge leur retire leur inhibition et les rend plus agressifs. A moins de faire face à de tels individus, Lex Luthor, grand ennemi du superhéros aurait du mal à prouver l’utilité de ces roches. Qui plus est, il s’agit de découvertes scientifiques, à l’état brut. Si elles étaient utilisées comme telles, elles ne pourraient pas être protégées par un brevet car elles sont à l’état naturel. Si un kryptonien s’approche de ces roches enfouies dans le sol, ce n’est pas une invention au sens du CPI qui pourrait être protégée par un brevet. 

II – Une invention impliquant l’utilisant de kryptonite ou du vibranium serait-elle protégeable par un brevet ?

Comment l’intervention de l’Homme changerait-elle la donne ? On connait les propriétés du bouclier de Captain America qui résiste à la fois aux impacts de balles, aux explosions, peut servir de frisbee et qui amortit une chute de plusieurs étages dans un ascenseur du Triskel, quartier général du S.H.I.E.L.D. comme l’a fait le héros dans l’opus du Soldat de l’Hiver. Les nombreuses utilités et fonctions de ce matériau incorporé au disque métallique pourraient être protégées par un brevet détenu par Stark Industries car l’application industrielle est possible. Dans la vie réelle, pourquoi ne pas servir aux forces de l’ordre, comme les C.R.S. dans d’importantes manifestations en cas de graves débordements et incivilités ? Cela allègerait considérablement leur équipement tout en assurant une capacité de riposte optimale, ce qui semble conforme à l’activité inventive. Pour rappel, l’article L.611-14 du CPI dispose qu’une invention implique une activité inventive dès lors que « pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique ». La jurisprudence européenne et française s’accordent à dire qu’il s’agit d’un personnage fictif situé dans la moyenne et qui appartient au même secteur d’activité. Dans l’arrêt Newmat en date du 26 février 2008, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé qu’il s’agit de « celui qui possède les connaissances normales de la technique en cause et est capable, à l’aide de ses seules connaissances professionnelles, de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l’invention ». Il faudra également que l’invention soit nouvelle. La nouveauté est appréciée objectivement dans le temps et l’espace, en tout temps et en tout lieu. La preuve d’une antériorité de toute pièce à date certaine détruit alors la nouveauté, sauf s’il s’agit d’une divulgation sous le sceau du secret et des accords de confidentialité (mieux vaut donc les prévoir).

S’agissant de la kryptonite, la série américaine Smallville a placé ces roches au cœur de l’intrigue de ses 218 épisodes à de maintes reprises. Luthorcorp avait un business très juteux sur le sujet.

Attention, spoilers !

Dans plusieurs saisons, Oliver Queen, aussi connu comme l’Archer Vert, a utilisé des flèches qu’il a fabriquées lui-même et dont la pointe était faite de kryptonite verte. Déjà dangereuses pour des humains, ces flèches sont à coup sûr fatales pour les kryptoniens qui pour certains terriens étaient une menace à éliminer. Dans la même veine, par exemple dans l’épisode 3 de la saison 3, Clark Kent se fait tirer dessus avec une arme à feu dont les balles sont faites de kryptonite. Ces deux innovations, en théorie, pourraient donc être protégées par un brevet dès lors qu’elles répondent à un problème technique : comment tuer des kryptoniens malgré leur force surhumaine.

D’autres utilisations, cette fois-ci, biologiques, ont été largement abordées tout au long des 10 saisons de la série. Ainsi, pourrait-on breveter des technologies avancées utilisant de la kryptonite pour provoquer des mutations génétiques chez les êtres humains à qui l’on procurerait des capacités extraordinaires dignes d’un superhéros ? Dans l’épisode 13 de la saison 1, des individus se faisaient des tatouages à la kryptonite, ce qui leur permettait de traverser les murs et de commettre des braquages. Dans l’épisode 18 de la saison 3, Chloé Sullivan inhale un gaz composé en partie de kryptonite qui lui donne la capacité de faire dire la vérité (le fameux sérum, ou plutôt gaz, de vérité) à n’importe quelle personne située à proximité d’elle.

III – Quelles sont les limites à la protection d’une invention par le brevet ?

Si on regarde le CPI, on remarque une série de limites à la protection par le brevet : « le corps humain […], ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, […] ne peuvent constituer des inventions brevetables. Seule une invention constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain peut être protégée par brevet. Cette protection ne couvre l’élément du corps humain que dans la mesure nécessaire à la réalisation et à l’exploitation de cette application particulière ». Ainsi, la protection par le brevet d’une invention liée au corps humain n’est pas totalement exclue. Si une prothèse destinée à remplacer un membre du corps, comme une main amputée, peut être brevetée dès lors que les conditions classiques sont réunies, toute invention en revanche ne l’est pas. L’article L. 611-18 du CPI exclut alors les procédés de clonage des êtres humains, les procédés de modification de l’identité génétique, les utilisations marchandes d’embryons humains, ainsi que les séquences totales ou partielles d’un gène prises en tant que telles. En définitive, un procédé de modification de l’identité génétique humaine impliquant de la kryptonite (ou non) ne saurait être breveté. De même, Luthorcorp ne pourrait se prévaloir d’une telle protection pour la découverte d’un gêne ou la mutation d’un gêne affecté par de la kryptonite. 

Autre limite à la protection par le brevet : le respect de l’ordre public. Imaginons que l’invention avec les tatouages ne méconnaisse pas les dispositions de l’article L.611-18. Elle pourrait ainsi être écartée du droit des brevets dès lors que son exploitation à des fins commerciales porte atteinte à l’ordre public en permettant à des individus de commettre des crimes ou délits. 

Par conséquent, c’est l’exploitation illicite de l’invention même qui pourrait faire obstacle à sa protection par un brevet, non sa nature.

Enfin, le Ministère de la Défense dispose d’un droit de regard sur les demandes de brevet pour déterminer si l’invention présente un intérêt pour la sécurité nationale. Il peut interdire le demandeur d’exploiter son invention en contrepartie d’une compensation financière, souvent proposer une coopération avec lui, rarement l’exproprier. La possibilité d’utiliser ces roches extraterrestres dans des armements comme Olivier Queen l’a fait en est un parfait exemple.

Dernier exemple : le Gant de l’Infinité utilisé par Thanos Avengers. Comme son nom l’indique, les pierres ont un pouvoir infini une fois rassemblées et incorporées au gant afin de changer le temps, l’espace ou encore la réalité même. Un brevet serait-il envisageable d’après vous ?

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