Le mécénat n’est pas qu’une action philanthropique, désintéressée. On constate qu’« au royaume du mécénat, les avantages fiscaux sont rois, et c’est parfois l’évasion fiscale qui règne en maître ». Ainsi, le journaliste Vincent Edin, soulève une grande incohérence : « les entreprises les plus généreuses sont en tête du classement des fraudes massives et illégales ».
Ces dérives fiscales sont-elles réelles ? Sur quoi reposent les avantages fiscaux résultant du mécénat ? Comment limiter ces abus ?
La loi Aillagon : un avantage fiscale attrayant et généreux pour les entreprises mécènes
Le mécénat se définit comme « le soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général » (Arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière).
La loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite « Loi Aillagon », dote la France d’un dispositif fiscale demeurant des plus « incitatifs sur le plan internationale », d’après le rapport de la Cour des Comptes de novembre 2018. Cette loi favorise le financement de la culture, en offrant aux entreprises la possibilité de déduire de leurs impôts 60% de leurs dépenses en faveur du mécénat. Il résulte de cette loi, une augmentation considérable du nombre d’entreprises mécènes, passant de 6500 à 68500, entre 2005 et 2017.
Cependant, comme le soulève la Cour des Comptes, dans son rapport de 2018, l’Etat doit « mieux encadrer » ce régime fiscale dérogatoire, car des effets pervers en ressortent.
Les effets pervers du mécénat dénoncés : « Et si les donneurs étaient des voleurs ? » (Vincent Edin)
L’exemple le plus significatif est celui du groupe LVMH. Ce dernier avait financé dans le cadre d’une action de mécénat, l’édifice somptueux et luxueux de la Fondation Louis Vuitton. Le coût final de la construction du bâtiment avait atteint près de 790 millions d’euros contre 100 millions d’euros annoncés en 2006. Cette augmentation considérable n’a pas laissé indifférentes les associations anticorruption. En effet, le Front républicain d’intervention contre la corruption (FRICC), méfiant du caractère exorbitant du surcout, s’était demandé si le groupe LVMH n’avait pas profité de façon abusive du dispositif fiscale dérogatoire ? Ainsi le 15 novembre 2018, le FRICC et son vice-président, Éric Darques, ont déposé une plainte contre X devant le Procureur de la République pour les faits d’escroquerie, de recel d’escroquerie, de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. Le groupe LVMH a immédiatement formé une plainte en dénonciation calomnieuse et en réparation du préjudice médiatique subi.
Au sens de l’article 1741 du Code général des impôts, le délit de fraude fiscale est caractérisé par un élément matériel ; consistant en la soustraction ou la tentative de soustraction à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts. Un élément intentionnel doit également être constitué, en effet l’auteur de l’infraction doit être animé par une volonté frauduleuse.
En l’espèce le groupe LVMH a pu bénéficier d’une réduction d’impôt de 518,1 millions d’euros entre 2007 et 2017, soit « environ 8,1% de la dépense fiscale totale ». L’élément matériel pouvant donc être légitimement constitué. La question était alors de savoir si le groupe LVMH était animé par une intention frauduleuse ? Le Parquet de Paris n’a pas qualifié l’infraction de fraude fiscale, et a conclue en faveur d’une « absence d’infraction ».
Cependant, bien que l’affaire ait été classée sans suite, la question reste encore sujet à débats. En effet, Jean Luc Touly (fondateur du FRICC) envisage de relancer sa plainte en se constituant partie civile, et souhaite un « éclaircissement » de ces « faits obscurs ». Par ailleurs, Joseph Breham, l’avocat du FRICC, appelle à un « contrôle réel de la niche fiscale du mécénat ». De plus, d’autres entreprises sont également soupçonnées de fraudes fiscales : la firme pétrolière Perenco, Total (en France), ou BP (en Grande Bretagne).
Ainsi, pour apaiser et réduire les méfiances à l’égard des grandes entreprises mécènes, il serait opportun de limiter le risque potentiel de dérives et d’apporter plus de transparence.
Vers un meilleur encadrement des dérives
Dans cette perspective, la loi de finances pour 2020 recadre le mécénat d’entreprise. En effet, elle précise le champs d’application du mécénat d’entreprise, prévu à l’article 238 bis du CGI.
Elle instaure un plafonnement des avantages fiscaux liés au mécénat, réduit le taux de la réduction d’impôt à 40 % pour la fraction des dons excédant 2 millions d’euros. Elle modifie également le plafond alternatif de 10 000 euros à 20 000 euros. Enfin elle redéfinit les modalités du mécénat de compétences.
De plus l’article 149 de la loi de finances pour 2019 a introduit une nouvelle obligation déclarative à la charge des entreprises mécènes qui figure désormais au 6 de l’article 238 bis du code général des impôts (CGI). Les entreprises doivent donc spécifier la destination de leur mécénat, le montant et les contreparties des bénéficiaires des dons. L’objectif de cette obligation déclarative est donc d’offrir plus de transparence et de clarté.