Le secret des affaires devant le juge administratif

4 avril 2023

Le secret des affaires devant le juge administratif

Si le principe de moralité de la preuve gouverne l’office des différentes juridictions, Le juge administratif fait (encore) figure d’exception. Avec un équilibre nécessaire entre l’intérêt général et les intérêts particuliers, le juge administratif flirt avec les limites du secret des affaires.

Le secret des affaires et l’instruction par le juge

Pour apprécier la régularité d’une preuve, Delphine Hedary, dans ses conclusions de l’arrêt Erden[1], nous rappelle que le juge cherche :

« à profiter au maximum de [ses] pouvoirs pour atteindre la vérité tout en respectant le cœur des secrets protégés ».

Le juge, on le voit dans son rôle actif, concilie la nécessité de vérité avec le respect de la protection du secret par la loi.

Le juge administratif se permet, seulement, de flirter avec les limites imposées par le législateur. Pour illustrer, le secret des affaires est préservé en ne demandant que la partie d’un document qui ne porte pas atteinte au secret fiscal[2]. En matière de sûreté de l’Etat, en demandant à la CNIL des « Éléments d’informations appropriés sur la nature des pièces écartées de la communication et les raisons de cette exclusion »[3].

En matière contractuel, dans l’office juge du référé précontractuel :  

« lorsque qu’est invoqué devant lui le secret commercial et industriel, et s’il l’estime indispensable pour gorger sa conviction sur les points en litige, d’inviter la partie qui s’en prévaut à lui procurer tous les éclaircissements nécessaires sur la nature des pièces écartées et sur les raisons de leur exclusion ; qu’il lui revient, si ce secret lui est opposé à tort, d’enjoindre à la collectivité de produire les pièces en cause et de tirer les conséquences, le cas échéant, de son abstention »[4].

Le juge du référé précontractuel, s’il l’estime indispensable pour forger sa conviction, doit inviter la partie qui s’en prévaut à lui procurer tous les éléments nécessaires sur la nature des pièces écartées et sur les raisons de leur exclusion.

Le juge européen estime, lui-même, que le juge du contrat doit concilier la protection des informations confidentielles et du secret des affaires avec les exigences d’une protection juridique effective et le respect des droits de la défense[5].

La production volontaire, par les parties, de pièces couvertes par le secret des affaires

Sur fond de loyauté de la preuve, la jurisprudence, selon Le Corre, s’est : « déjà engagée dans une voie qui privilégie le contenu d’un élément de preuve à son mode d’obtention »[6].

La Haute juridiction a, à ce titre, refusé d’écarter des pièces produites qui méconnaîtrait un secret protégé par la loi, en matière de secret de l’instruction[7], en matière de secret professionnel dans le champ fiscal[8]. Plus surprenant, en contentieux électoral, une pièce obtenue par vol n’est pas non plus écartée[9].

Il en va de même en matière de secret des affaires :

« En dernier lieu, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur sur la qualification juridique des faits en estimant, d’une part, que la société Gi Marco justifiait d’un intérêt à conclure le contrat, la rendant recevable à contester la procédure de passation en litige, et, d’autre part, que ses intérêts avaient été lésés par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu’il a retenus, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que la divulgation d’informations confidentielles contenues dans le rapport d’analyse des offres, dans le cadre de la procédure contradictoire devant lui, était susceptible de porter atteinte à l’égalité entre les candidats dans le cadre d’une éventuelle nouvelle procédure de passation, à brève échéance, de la concession en litige. En effet, une telle circonstance, qui pourrait affecter la légalité de la nouvelle procédure susceptible d’être mise en œuvre, est en elle-même sans incidence sur celle de la procédure contestée »[10].

En l’espèce, le concurrent évincé, pour l’exploitation d’une concession, aurait divulgué, en cours d’instance, des documents couverts par le secret des affaires afin d’annuler l’ensemble de la procédure de passation. La référence à une « nouvelle procédure susceptible d’être mise en œuvre » concerne la situation d’une mise en concurrence engagée postérieurement à l’annulation d’une procédure ayant le même objet. Les informations divulguées pourraient avantager les concurrents de l’attributaire pressenti.

La violation supposée du secret des affaires pourra, ici, être sanctionnée lors d’un recours en responsabilité.

                Nous conclurons cette partie avec les mots de Mireille le Corre, le juge :

« N’est pas et ne doit pas, au regard de votre jurisprudence, être le juge de la moralité de la preuve, il est, aussi, en charge de l’instruction et ne doit, à ce titre, pas lui-même violer un secret protégé par la loi, ce d’autant moins qu’il dispose aujourd’hui de nouveaux outils procéduraux prévus par les textes »[11].

Une procédure dite de “l’enveloppe”, une solution hybride

L’article R.412-2-1 du CJA prévoit la procédure dite de « l’enveloppe », procédure applicable en matière de secret des affaires selon l’article R.611-30 du CJA.

La partie produit deux dossiers distincts : l’un, à l’attention de la partie adverse, avec un seul mémoire occultant les mentions et pièces soumises au secret des affaires. L’autre, adressé au greffe, sans utilisation de Télérecours, via la poste ou remise directe, avec deux mémoires. L’un avec des documents qui serait soumis au secret des affaires, l’autre avec les occultations.

Le juge décide si les « pièces ou informations ne se rattachent pas à la catégorie de celles qui peuvent être soustraites au contradictoire », troisième alinéa.

  • Si le juge estime que la substitution de la pièce au contradictoire n’est pas justifiée, il peut inviter la partie à les produire à la partie adverse. Si la partie refuse la communication, le juge statuera sans tenir compte de ces documents.
  • Si le juge estime que la substitution de la pièce au contradictoire est justifiée, il statuera en tenant compte de ces documents sans les soumettre au contradictoire.

On le voit, la juge administratif flirt toujours avec les limites du secret des affaires.


[1] Concl. le corre, CE, 9 juin 2021, Sté Lorany Conseils, n° 449643

[2] CE, Ass, 30 décembre 2014, B, n°381245

[3] CE, 18 janvier 2017, A, n°394562

[4] CE, 8 novembre 1999, Election cantonale de Bruz, n°201966

[5] CE, 9 juin 2021, Sté Lorany Conseils, n° 449643

[6] Concl. le corre, CE, 9 juin 2021, Sté Lorany Conseils, n° 449643

[7] CE,1er octobre 2014, Erden, n°349560

[8] CE, 1 juillet 1983, Sté Hilton international, n° 47313, T. p. 823

[9] CE, Ass., 6 novembre 2002, N…, n° 194295, Rec. p. 830

[10] CE, 17 octobre 2016, Commune d’Hyères-les-Palmiers, n° 400172, concl. Gilles Pellissier

[11] CJCE, 14 février 2008, Varec SA contre Etat Belge, n° C-450/06, § 49-55

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