Le refus de la cour d’appel de reconnaitre aux selfies, dépourvus de caractère original, une protection au titre du droit d’auteur

2 février 2024

Le refus de la cour d'appel de reconnaitre aux selfies, dépourvus de caractère original, une protection au titre du droit d'auteur

Le selfie se définit comme la réalisation d’un autoportrait photographique à l’aide d’un smartphone. A l’ère numérique, celui-ci est souvent publié sur les réseaux sociaux.

Les selfies posent ainsi des questions en matière de droit d’auteur et de droit à l’image.

La CA Paris, dans un arrêt en date du 12 mai 2023 (n°21/16270), s’est prononcée sur le caractère original d’un selfie d’une influenceuse.

En l’espèce, une influenceuse reprochait à une société de prêt-à-porter d’avoir diffusé sans son accord, dans le cadre d’une campagne publicitaire, des photographies similaires à l’une de celles publiées par l’influenceuse sur son blog. La photographie litigieuse consistait en un selfie pris par l’influenceuse. L’influenceuse s’est alors estimée victime d’actes de contrefaçon de droit d’auteur, de concurrence déloyale et de parasitisme économique. 

Se posait ainsi la question de savoir si le selfie d’une influenceuse, repris sans son consentement dans le cadre d’une campagne publicitaire, pouvait donner prise au droit d’auteur ?

La Cour d’appel a rejeté sa demande, fondée sur la contrefaçon de droit d’auteur. Pour ce faire, la cour retient l’absence d’originalité des photographies au motif que, dépourvues d’originalité, celles-ci échappaient à la protection au titre du droit d’auteur.

En outre, la Cour s’est essentiellement prononcé sur le caractère “original” du selfie opposé par l’influenceuse

I. Propos introductifs : Selfies et droit de la propriété intellectuelle

L’article L112-1 du CPI (Code de la propriété intellectuelle) dispose “Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”. Il en résulte que le selfie, en tant que photographie, est protégé dès lors que celui-ci présente une “originalité”, en vertu de l’article L112-2 du CPI. De plus, le droit d’auteur protège l’oeuvre pendant toute la vie de l’auteur et pendant 70 ans après sa mort, en vertu de l’article L123-1 CPI.

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré dans son arrêt Painer, en 2011, a établi les différents critères de “l’originalité” : tels que le choix de la mise en scène, la personne photographiée, l’angle de vue et le cadrage. Toutefois, cette affaire démontre la complexité relative à l’admission de l’originalité des “selfies”, notamment en raison de son caractère fréquent et courant par les influenceurs.

Par ailleurs, le selfie est une photographie protégée par le droit à l’image, conformément à l’article 9 du code civil relatif au droit à la vie privée.

II. Le rejet de l’action en contrefaçon de droit d’auteur au motif de l’absence d’originalité du selfie

En l’espèce, l’influenceuse a considéré que la photographie utilisée par la campagne publicitaire avait reproduit l’un de ses selfies publiés sur ses réseaux sociaux, invoquant une véritable similitude entre son image et la photographie de la campagne publicitaire. Le selfie consistait en une photo prise dans le miroir d’une cage d’ascenseur, avec un cadrage vertical, et accompagné d’un chien.

La Cour d’appel, quant à elle, a écarté l’action en contrefaçon de droit d’auteur au motif du défaut d’originalité de la photographie/selfie litigieux. Selon la cour, il ne ressort pas du décor, de la posture, du cadrage ni de la présence du chien, que le selfie aurait un caractère “original”. Elle retient ainsi que ces éléments sont des pratiques courantes du “selfie” et sont insusceptibles de justifier la caractérisation de l’originalité de la photographie.

Ainsi, dépourvue d’originalité, la photographie litigieuse ne peut pas faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur. Cette affaire témoigne alors de la difficulté à caractériser l’originalité d’un selfie, d’autant plus lorsque celui-ci fait l’objet d’une pratique fréquente et courante sur les réseaux sociaux.

III. Le rejet de l’action en concurrence déloyale et en parasitisme économique

A. L’absence de comportement déloyal

En droit, la concurrence déloyale se définit comme l’ensemble des pratiques exercées par une entreprise dans le cadre d’un marché en vue de nuire à l’un de ses acteurs. Figurent au titre des actes de concurrence déloyale : le dénigrement, la confusion, le comportement parasite et la désorganisation. La confusion consiste notamment en l’acte visant à créer une confusion dans l’esprit du public et de la clientèle, par exemple en imitant l’enseigne ou le nom commercial d’un concurrent.

L’idée est ainsi de capter la clientèle de ce dernier. Toujours est-il que pour établir la concurrence déloyale, il convient d’établir une faute (dénigrement, confusion, parasitisme) et un préjudice (perte de chiffre d’affaires, trouble ou atteinte à la réputation) ainsi qu’un lien de causalité.

En l’espèce, l’influenceuse soutenait que la similitude entre son selfie publié sur les réseaux sociaux et la photographie diffusée par la campagne publicitaire, entrainait un risque de confusion entre les images dans l’esprit du public.

La cour d’appel a écarté ce moyen, retenant que la société en cause n’avait pas commis de faute et qu’aucune volonté de créer un risque de confusion n’était établie. La Cour retient que les similitudes témoignent seulement de la volonté de la société de s’inscrire dans le cadre d’une “tendance”, et ne peut ainsi pas être assimilée à un comportement déloyal.

B. L’absence de parasitisme économique

En droit, le parasitisme constitue un acte de concurrence déloyale, consistant pour une entreprise à se placer dans le “sillage” d’une autre en vue de se servir ou tirer profit de sa notoriété.

En l’espèce, l’influenceuse reprochait à la société de s’être placée dans son “sillage” afin de tirer profit de sa notoriété.

La cour d’appel a rejeté les demandes de la requérante fondées sur le parasitisme. Pour ce faire, la cour retient une notoriété “relative” de l’influenceuse, et le fait que celle-ci ne démontre la réalisation d’aucun investissement dont la société aurait pu tenter de tirer profit. De fait, il convient de supposer que la preuve d’une notoriété importante ou significative aurait pu mener la Cour a admettre l’action fondée sur le parasitisme.

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