Pragmatisme jurisprudentiel et plateformes électroniques : vers un nouveau critère du salariat ?

26 mars 2025

Préférer le critère d’une dépendance juridique à une dépendance économique pour qualifier un contrat de travail : tel fut le choix de la jurisprudence depuis un arrêt du 6 juillet 1931. Pour cause, la dépendance économique est une notion très large, non spécifique à la seule qualité de salarié. Chaque personne étant dépendante de l’économie, retenir ce critère risquerait de dissoudre la catégorie des salariés au statut protégé, entraînant ainsi une perte d’efficacité du droit du travail.
La jurisprudence s’est ainsi référé au critère de dépendance juridique jugé plus fiable. Pourtant, récemment, les problématiques liées aux plateformes électroniques mettant en relation des prestataires de services sous statut d’indépendant avec des clients, semblent dégager un nouveau critère du salariat : celui d’une dépendance économique.


La dépendance juridique, critère initial du salariat

Dans une approche strictement juridique, la subordination correspond à la relation juridique unissant une personne à une autre. En droit du travail, cette dernière se traduit par les pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction détenus par l’employeur. Ces pouvoirs étant la contrepartie du risque économique de l’entreprise pesant sur lui.

Le critère de dépendance juridique a évolué au cours du temps, passant d’un critère d’appartenance à l’intégration à un service organisé (A.P , 18 juin 1976, Hebdo Presse ; A.P , 4 mars 1983, Barrat).

Prépondérant, le critère de l’intégration à un service organisé pour qualifier un contrat de travail n’en reste pas moins qu’un simple indice aux yeux des juges (Cass. soc. 13 novembre 1996, Société générale). En effet, ces derniers détiennent le pouvoir de qualifier, indépendamment de sa dénomination, la relation établie entre les contractants. Parce que la subordination juridique est susceptible de revêtir différents aspects, ils n’hésitent pas à s’appuyer sur d’autres indices complémentaires pour (re)qualifier un contrat.

Le pragmatisme jurisprudentiel, les indices complémentaires retenus par les juges

Pour qualifier une relation en contrat de travail, les juges s’appuient à la fois sur des indices tirés du comportement des parties, des conditions d’exécution du travail, de la rémunération, ou encore sur des indices liés au cumul d’emplois.

À titre d’illustrations, le lien familial est tout à fait conciliable avec un contrat de travail dès lors qu’il y a subordination (Cass. soc. 18 mai 1967, Poupel/Poupel). D’autre part, un médecin travaillant dans un hôpital est un salarié dans la mesure où il est soumis à des directives quant à ses horaires de travail, quant au matériel utilisé (Cass. soc. 15 décembre 1970, Sté l’hôpital Pean/Decaudin).

Les juges utilisent ainsi la technique du faisceau d’indices variable au cas par cas pour qualifier le critère de subordination lorsque le salarié dispose a priori d’une certaine indépendance professionnelle.
Critère à l’origine explicitement rejeté par la Cour de cassation, la dépendance économique du travailleur n’est donc, à première vue, pas prise en compte pour identifier le salariat.

Avec le développement des plateformes numériques, la jurisprudence tend de plus en plus à prendre en compte cet indice pour requalifier le statut professionnel des travailleurs indépendants.

La dépendance économique, vers un nouveau critère du salariat ?

À travers l’usage de “l’intégration à un service organisé”, est prise en compte la notion de dépendance économique. En effet, cet indice envisage le pouvoir patronal exercé non pas sur le travail en lui-même mais, sur le cadre du travail, autrement dit, sur l’organisation, sur les conditions de son exécution. Dès lors, il inclut des situations de dépendance pouvant prendre les traits d’une dépendance économique.

En effet, à travers celui-ci, lorsque des travailleurs indépendants sont en cause, les juges s’attachent à repérer s’ils supportent, dans les faits, les risques de leur activité. Autrement dit, ils recherchent si le travailleur indépendant dispose véritablement d’une clientèle propre, s’il supporte les pertes de son activité, s’il bénéficie des profits engendrés par celle-ci. Si tel n’est pas le cas, ils concluent généralement à la qualité de salarié.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 28 novembre 2018, a ainsi estimé que le contrat qui unissait un coursier à vélo et la plateforme take eat easy était un contrat de travail. Un raisonnement similaire a été appliqué pour la question du statut des travailleurs de la plateforme Uber (Cass. soc. 4 mars 2020, n°19-13.316). Ne connaissant pas la destination du client au moment où il accepte la course, n’ayant aucune prise sur les tarifs qui sont définis par Uber, étant soumis à un système de sanction et ne pouvant en aucun cas se constituer sa propre clientèle, le chauffeur Uber est un travailleur subordonné. Il est titulaire d’un contrat de travail uniquement lorsqu’il est connecté à la plateforme.

Derniers articles UYL

L’avocat cession fonds de commerce

L’avocat cession fonds de commerce

Une cession de fonds de commerce est un montage juridique complexe. Une opération hautement technique qui exige la présence d’un technicien du droit. L’opération se déroule en plusieurs étapes et doit concilier les prétentions de toutes les parties prenantes. L’avocat...

Les baux commerciaux et TVA

Les baux commerciaux et TVA

Qu’ils portent sur les locaux équipés ou nus, ou encore sur les terrains aménagés ou non aménagés, il est possible que les baux commerciaux (et les baux professionnels) soient soumis à la TVA. Bien qu’il existe des hypothèses où il en serait exonéré, l’application de...

L’indemnité compensatrice de CSG

L’indemnité compensatrice de CSG

Les agents du secteur public bénéficient depuis 2018 d’une indemnité sur leurs salaires, en compensation de l’augmentation de la CSG. Mais tous les agents de la fonction publique n’en sont pas nécessairement éligibles, et eux qui le sont n’en bénéficient pas selon les...