Le Tribunal Correctionnel de Lille, le jeudi 11 janvier 2024 rend une décision inédite, une première en France, qui reconnaît le préjudice animalier à la suite de violences portées sur une chatte causant son décès.
I. LE STATUT JURIDIQUE DE L’ANIMAL : L’HISTORIQUE ET GRANDS PRINCIPES
À la création du Code Civil par Napoléon, les animaux sont considérés comme des biens meubles. Cela du fait que ces dernier peuvent par leur nature se déplacer d’un lieu à un autre.
Depuis la loi 10 juillet 1976, introduisant l’article L214-1 du code rural les animaux ne sont plus entièrement considérés comme des biens meubles mais, comme un être doté de sensibilité. Cette disposition fût par la suite reprise par la loi du 16 février 2015, au sein de son article 515-14 du code civil, disposant que les animaux sont « des êtres vivants doués de sensibilité » mais non dotés de la personnalité juridique. Cela leur permet de recevoir par la loi une meilleure protection juridique. L’application de ces articles comprends uniquement les animaux domestiques, en captivité ou apprivoisés. Cependant, il serait peut-être possible, via une application téléologique, d’étendre le bénéfice de la protection aux animaux caractérisés comme sauvages.
II. LA PROTECTION DE L’ANIMAL PAR LE DROIT
Cette notion de sensibilité permet une plus grande protection menant à la possibilité de répression des mauvais traitements infligés aux animaux. Au sein du droit actuel, l’animal dit “domestique” jouit de diverses protections :
- Protection issue du Code Pénal : contre les mauvais traitements (selon l’article R654-1), contre le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, dont il existe le facteur aggravant où les sévices ont entraîné le décès de l’animal (selon l’article 521-1). Ou encore contre la mise à mort sans nécessité (selon l’article R655-1)
- Protection issue du Code Rural : impose un placement selon des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce (selon l’article L214-1). Puis réprime également (selon l’article L214-3) les mauvais traitements, et laisse au gouvernement le soin de déterminer les mesures destinées à leur éviter des souffrances lors de l’élevage, du parcage, du transport ou de l’expérimentation. L’alimentation, les expositions dans les foires et marchés, les activités de toilettage le transport, les conditions d’abattage, le dressage… sont également concernés, imposant pour certaines de ces situations une déclaration (articles R214-17 à R214-86).
III. LA NOUVELLE POSITION DE LA JURISPRUDENCE SUR LA PROTECTION SPÉCIFIQUE DE L’ANIMAL
- L’affaire
Jeudi 11 janvier 2024, le tribunal correctionnel de Lille a reconnu pour la première fois en France un « préjudice animalier » direct (préjudice qui découle directement du fait dommageable répondant à l’exigence du lien de causalité) dans une affaire de cruauté animale, octroyant à l’association partie civile la somme de 100€ en réparation des souffrances subies par l’animal.
Maître Graziella Dode, avocate obtenant la reconnaissance du préjudice animalier, énonce que « c’est un concept nouveau. (…) certes, (…) symbolique pour l’instant, (…). Mais moralement, c’est fort ». Dont elle s’explique s’être inspirée du préjudice écologique de l’affaire Erika pour défendre ce cas. Elle précise que le préjudice animalier peut être défini comme “l’atteinte directe ou indirecte portée à l’animal, être vivant doué de sensibilité, découlant de l’infraction“, se fondant sur les dispositions des articles 1240 et 515-14 du Code civil.
- La portée
Par cet arrêt il apparaît légitime moralement, et fondé juridiquement, de solliciter la reconnaissance du préjudice de l’animal sans pour autant demander une reconnaissance de la personnalité juridique.
Cette décision du 11 janvier s’inscrit comme une petite victoire au sein d’une lignée de tentatives contentieuses.
En effet, Maître Graziella Dode, n’est pas la seule à avoir plaidé en faveur des animaux. Le 1er avril 2022 (n°21/00151), la Cour d’Appel de Saint-Denis-de-la-Réunion avait due se prononcer sur le sujet. Elle avait énoncé que « la protection due à l’ animal et à son habitat naturel ne peut toutefois conduire à lui reconnaître une quelconque personnalité juridique et à en faire un “ sujet” de droits civils ». Verdict rentrant dans une série de décisions similaires où la Cour d’Appel de Grenoble avait également, le 12 avril 2022 (n° 20/00795) jugée qu’« aucune indemnité ne saurait être allouée à Mme Z au titre de la souffrance de l’animal, qui est, certes, un être vivant doué de sensibilité, mais qui n’est pas un sujet de droit ». Ou encore en octobre 2018, où il était également possible d’observer le rejet d’une demande d’indemnisation des souffrances subies par un cheval par le Tribunal de Metz.
Bien que la reconnaissance du préjudice animalier reste encore complexe à adopter pour certaines juridiction. Le Professeur de Droit Privé Fabien Marchadier, souligne sur le droit des animaux que « Depuis les années 1960, il existe le préjudice d’affection pour l’animal, indemnisable et totalement entré dans les mœurs aujourd’hui ». Dont il souligne à la suite de cela que « la première décision, à l’époque, avait provoqué un véritable scandale ».
(Crédit photo : Le monde des chats)