Les clauses abusives, une notion à éclairer pour une meilleure protection des consommateurs (Cass. Civ., 16 juin 2021, n°20-12.154)

19 août 2021

Les clauses abusives, une notion à éclairer pour une meilleure protection des consommateurs (Cass. Civ., 16 juin 2021, n°20-12.154)

La protection des consommateurs face aux pratiques bancaires parfois douteuses est un enjeu essentiel. Les banques, parties fortes dans les contrats de crédit à la consommation, tentent d’imposer des conditions discutables aux consommateurs, qui acceptent généralement face à leur besoin de financement. Afin d’assurer l’équilibre des relations, le droit de la consommation, tant national qu’européen, prohibe les clauses abusives dans les contrats entre professionnels et consommateurs.

Toutefois, cette notion est floue et mérite d’être précisée afin d’assurer la sécurité juridique et la protection des consommateurs. C’est cet enjeu qu’a soulevé la Cour de cassation dans un récent arrêt en date du 16 juin 2021. Les juges ont eu à interpréter la notion de clause abusive au regard d’une clause contenue dans un contrat de crédit à la consommation.

I – Contractualisation de la dispense de mise en demeure préalable : connaissance du consommateur ou abus de la banque ?

La clause en question, insérée dans un contrat de crédit à la consommation d’une durée de 20 ans, était une dispense conventionnelle de mise en demeure en cas de retard de paiement. Cette clause, contenue dans les conditions générales de la banque prêteuse, prévoyait qu’en cas de retard de paiement d’une échéance de plus de trente jours, les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles. Autrement dit, en cas de retard de paiement, l’emprunteur encourt la déchéance du terme inscrit dans son prêt et doit donc rembourser la totalité du prêt sans préavis, alors qu’il devait initialement rembourser une faible somme chaque mois. Surtout, cela se fait sans mise en demeure, c’est-à-dire sans que la banque ne prévienne de la mise en œuvre de cette clause au préalable.

Suite à un retard de paiement, la banque a mis en œuvre cette clause et a prononcé la déchéance du terme sans mise en demeure.

Le débat qui nous intéresse portait sur le fait de savoir si ladite clause revêtait ou non un caractère abusif.

Pour l’emprunteur, il s’agissait d’une clause abusive, au regard du droit de la consommation (article L.132-1 ancien du code de la consommation, nouvel article L.212-1 du même code) en ce qu’elle crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Pour lui, le déséquilibre est créé par deux choses. Tout d’abord, la banque disposait d’une faculté de résiliation sans préavis et ensuite, l’emprunteur n’était pas mis en demeure, donc ne pouvait pas s’expliquer sur les raisons de ce retard. Il est vrai que le prêt était conclu pour 20 ans et était d’un montant important, de sorte que l’échéance du terme du fait du retard d’une seule échéance ne parait pas justifier une telle sanction.

Nous pouvons toutefois objecter à ces arguments que le débiteur disposait d’une parfaite connaissance des conséquences d’un manquement à ses obligations, la clause étant claire et non équivoque.

La Cour a alors eu des difficultés à trancher l’affaire tant le caractère abusif d’une clause est une notion complexe et sujette à interprétations.

II – Les différentes dispositions en présence.

Les juges vacillent entre deux droits. D’une part, le droit de l’UE (article 3§1 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993) limite ce caractère aux seules clauses n’ayant pas fait l’objet d’une négociation entre les parties (ce qui était le cas en l’espèce, parce que la clause était contenue dans des CGU, qui ne sont généralement pas négociées). Ces clauses sont abusives lorsqu’elles créent un déséquilibre ne respectant pas l’exigence de bonne foi. Le droit national, d’autre part, ne se limite pas aux clauses non négociées (dites aussi clauses d’adhésion). Également, cette qualification est plus large dans le droit national, parce que la clause doit avoir pour objet OU pour effet de créer un déséquilibre significatif, alors qu’au sein du droit de l’UE, cette clause doit créer directement ce déséquilibre.

Ce qui fait hésiter la Cour, c’est sa propre jurisprudence, qui affirme que le contrat de prêt peut prévoir une déchéance du terme en cas de défaillance de l’emprunteur non-professionnel, mais que cela ne peut se faire sans préavis ni mise en demeure préalable. Toutefois, une stipulation express et non équivoque (c’est-à-dire claire et sans ambiguïté, que le consommateur peut comprendre) en ce sens dans le contrat peut permettre à la banque d’être dispensée de mise en demeure préalable. En d’autres termes, cette déchéance du terme sans mise en demeure constitue un abus qui est prohibé excepté si les parties ont inscrit cet abus dans leur contrat. Ou, pour être plus précis, si la partie forte au contrat l’a prévu. Il s’agit de la dispense conventionnelle de mise en demeure.

III – Les incertitudes liées à l’appréciation du caractère abusif de la clause litigieuse.

Face à ces hésitations, la Cour de cassation opère un renvoi préjudiciel. Cela signifie qu’elle interroge la Cour de justice de l’UE concernant l’interprétation du droit de l’Union dans le cadre du litige dont elle est saisie (article 267 TFUE).

Les juges de l’UE avaient déjà précisé les critères d’appréciation du caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat de crédit à la consommation. La CJUE affirme que cela doit être interprété par le juge en fonction :

  1. du caractère essentiel de l’obligation inexécutée ;
  2. du caractère suffisamment grave de cette inexécution au regard de la durée et du montant du prêt ;
  3. du caractère dérogatoire au droit commun de ladite clause en dehors de stipulations contractuelles et,
  4. des moyens prévus par le droit national permettant au consommateur de remédier aux effets de l’exigibilité de la totalité du prêt (CJUE 26 janvier 2017, Banco Primus, aff. C-421/14).

Dans le cadre du présent arrêt, les juges français prennent un soin tout particulier à la vérification de l’application de ces quatre critères, qui est une aide précieuse, mais imprécise pour l’appréciation du caractère abusif.

Tout d’abord, il ne fait nul doute que l’engagement inexécuté est essentiel. La banque n’aurait pas prêté la somme concernée si le débiteur ne s’était pas engagé à la rembourser.

Toutefois, concernant le caractère suffisamment grave de l’inexécution, la Cour émet quelques réserves face à l’imprécision de l’arrêt sur lequel elle s’appuie. En effet, il semblerait qu’un retard de de trente jours pour le paiement d’une échéance ne soit pas réellement grave compte tenu du montant global du prêt et de sa durée. La Cour soulève alors deux enjeux :

  • Il est nécessaire de prendre en considérations l’équilibre global de la relation contractuelle en relativisant les manquements en fonction de la somme due et du montant du prêt.
  • La prise en compte, pour apprécier la gravité de l’inexécution, de l’équilibre global de la relation aurait pour effet d’amoindrir l’égalité entre les consommateurs par une appréciation subjective et casuistique de la légitimité du prononcé de la déchéance du terme immédiate.

Ensuite, s’est posée la question de la conformité de la clause au regard du droit applicable. Notamment, le préavis étant de trente jours sur un contrat de 20 ans, il est possible de voir dans celui-ci un déséquilibre significatif en ce que l’emprunteur ne dispose pas du temps nécessaire pour expliquer cette défaillance, mais aussi pour rechercher d’une solution afin d’y remédier.

Enfin, il est nécessaire, comme le souligne la Cour de cassation, de préciser le caractère alternatif ou cumulatif de ces critères.

La question adressée à la CJUE mérite une réponse claire qui mette un terme à ces incertitudes. La réponse de la juridiction européenne sera sans nul doute une précieuse avancée vers une plus grande sécurité juridique et un plus grand équilibre dans les relations contractuelles.

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