Pantone, entreprise américaine fondé par Lawrence Herbert en 1962 a établis un vrai coup de maître en Propriété Intellectuelle, le dépôt de 15 000 nuances.
I. LE PRINCIPE DU DÉPÔT DE COULEUR À TITRE DE MARQUE
- VUES DU DROIT
Bien que dans de nombreux secteurs une couleur est associée à une marque, souvent de par leur héritage (Christian Dior : gris et rose) ou par la présentation de leurs produits (création de désir ou de standing)(comme le rouge Coca Cola ou Ferrari). Le Code de la Propriété intellectuelle n’exclut pas la possibilité pour une marque de déposer une couleur.
Le principe, selon l’article L711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle est que « la marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales ». Il apparait en ce sens que le choix du signe distinctif est susceptible de ne pas impliquer de création intellectuelle et donc une couleur (selon l’article 1er de la loi n°91-7 du 4 janvier 1991). Bien que l’on trouve le principe de développement de créations nouvelles protégées via les brevets.
L’article n’a pas toujours été rédigé de la sorte. En effet, avant l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019, était visible une protection à l’article L711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoyant que « les signes figuratifs tels que (…) les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs » peuvent constituer des marques.
Ainsi, pour que le signe soit considéré comme distinctif, il doit « permettre à un consommateur d’identifier l’origine commerciale des produits ou services vis-à-vis de concurrents ». Dans ce cas, les circonstances sont rares selon l’INPI et ses homologues européens. Ils soulignent l’obligation de commercialiser sur un « marché spécifique et que l’association de la couleur avec les produits soit particulièrement inhabituelle ». Il est possible de citer la couleur lilas utilisée par Milka qui se voit être dans la position inverse du vert utilisé pour le secteur biologique ou encore du noir qui, lui, est usé à la fois par des groupes comme LVMH ou Kering, voir à des Maisons telle que Yves Saint-Laurent, Montblanc (maroquinerie/instruments d’écriture)…
B. VUES DE LA JURISPRUDENCE
Le droit fait part d’une forte restriction au dépôt de couleur qui se voit alors aligné avec la jurisprudence.
Celle-ci est à la fois réticente et dure lorsqu’il s’agit de trancher des litiges vis-à-vis des nuances. La dureté de sa position s’explique par le fait que l’Homme n’est dans la possibilité de percevoir qu’un nombre limité de couleurs. La protection se logeant ainsi dans la protection de l’intérêt général à ne pas restreindre la disponibilité des couleurs pour les opérateurs offrant les mêmes produits et services.
Ce principe s’est vu abordé au sein d’une série d’arrêts français et internationaux concernant la marque Louboutin, dont l’origine de l’ensemble des contentieux est nourri par ce désir et cet objectif de protéger leur fameuse semelle rouge.
Tout commence avec l’arrêt du Tribunal de Grande Instance de Paris du 4 novembre 2008 (Louboutin / Zara (n°13/08301)), estimant que la semelle rouge était suffisamment distinctive afin de permettre au public de reconnaitre le rattachement des produits à la marque.
Cependant, quelques années plus tard intervient l’arrêt du Tribunal de New York du 17 octobre 2011 (Louboutin / Yves Saint Laurent), où les juges énoncent que la loi ne doit pas autoriser des restrictions qui entravent la créativité et étouffent la concurrence. Les juges n’accordent pas dans ce cas le monopole d’exclure un support ornemental ou fonctionnel nécessaire à une expression artistique plus libre et productive et autorise ainsi les deux créateurs à user du rouge. Cet arrêt signe le début d’un phénomène complexe pour Louboutin, puisque le 30 mai 2012 la chambre commerciale de la Cour de Cassation (11-20.724), prononce la nullité de la marque pour défaut de distinctivité, du fait que la couleur n’est pas identifiable au sein d’un code internationalement reconnu. Cela démontre qu’il faut tout d’abord obligatoirement, pour être protégé, que la description d’un dessin soit très précise puis que l’on trouve un facteur de rattachement à un code afin d’assurer la protection de la création.
Cette nullité ne date pas d’hier, car elle avait déjà été engagée dans un arrêt de la CJUE du 24 juin 2004 (n°C-49/02 Heidelberger Bauchemie GmbH), jugeant qu’une couleur sans forme ni contour, n’est pas protégeable.
Enfin dans l’affaire de la CJUE du 12 juin 2018, opposant Louboutin contre Van Haren, l’avocat général juge quant à lui que la couleur rouge ne peut pas remplir la fonction essentielle de la marque, qui est une notion indépendante de la forme du produit. La notion de forme qui donne une valeur substantielle « au produit (qui) concerne exclusivement la valeur intrinsèque de la forme et (qui) ne permet pas de tenir compte de la réputation de la marque ou de son titulaire ».
La CJUE énonce qu’une couleur sans délimitation dans l’espace ne peut pas constituer une forme, ces éléments ayant déjà été abordés un mois plus tôt dans une décision de la CA de Paris du 15 mai 2018 (n°17/07124). Il a été jugé qu’il était possible qu’une couleur soit étendue à la notion de forme selon la directive 2008/95/CE, mais que la forme ne confère pas uniquement la valeur du produit (surtout en matière de produit de luxe).
II. LE CAS PANTONE ET SA PALETTE DE 15000 COULEURS
En réalité Pantone n’a pas déposé les « couleurs », et l’ensemble de la jurisprudence citées ne se base pas sur des « couleurs », mais sur des nuances. Cette dernière s’analysant en tant que marque via le dépôt de sa composition chimique très précise. Le principe est simple si l’on souhaite acquérir une nuance particulière, Pantone donnera sa « recette » afin de pouvoir la réaliser. Cela sert pour la réalité avec les produits dit physique, mais également pour l’incorporel avec l’internet (non via une composition mais un code).
Aujourd’hui, afin de faciliter la désignation des couleurs et leurs identifications, celles-ci doivent être désignée de façon précise au moyen d’un repère dont Pantone est devenu une sorte de Code International de la nuance.
C’est à ce moment que l’on sourit du fait que dépôt qui donne parfois lieu à des contentieux se loge dans une référence Pantone. A titre d’exemple, Louboutin use du Pantone 18-1663TP.
Toutefois, Pantone n’est pas toujours au centre de l’attention. Comme le démontre le Bleu Klein « IKB » (International Klein Blue) du peintre d’avant-garde Yves Klein déposé comme une formule liant une pâte fluide à un pigment bleu outremer n°1311 ou encore le orange Hermès déposé sous la référence LAB de la CIE « L : 58.32, a : 41.91, b : 48.06, avec un delta E de 2 (mesure effectuée sous une illuminance de D 65/10o) ».
III. LA PROTECTION
L’objet de la protection juridique est de faire apparaitre, au profit d’un créateur, un monopole d’exploitation mais sous une limite, celle de ne pas entraver ou étouffer la concurrence (Cf. décision Louboutin contre Yves Saint-Laurent).
Dans le droit des marques il s’agit avant tout de faire respecter les droits de chaque producteur/commerçant dont les signes qui marquent l’appartenance de la marque d’une certaine maison. L’objet de la protection par la marque est d’empêcher les rivaux directs du titulaires du signe distinctif de l’utiliser. Le titulaire du droit sera donc seul à pouvoir user de ce signe distinctif.
Pour s’y faire, les protections sont multiples et proviennent à la fois de la législation française mais également Européenne, voir également internationale.
Comme l’article 1er de la loi n°91-7 du 4 janvier 1991, dispose que les dispositions, les combinaisons et les nuances de couleur peuvent constituer un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale. (Les dispositions étant une forme dans laquelle des couleurs sont représentées ; les combinaisons étant l’association de plusieurs couleurs).
Également, l’article 4 du règlement du Parlement Européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union Européenne énonce que « peuvent constituer des marques de l’Union européenne tous les signes, notamment (…), les couleurs, (…) à condition que ces signes soient propres : a) à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ; b) à être représentés dans le registre des marques de l’Union d’une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l’objet bénéficiant de la protection conférée à leurs titulaires. ».
Ou encore le Traité de Singapour de 2006 qui dispose « qu’il est possible de déposer des marques consistant en des signes non visibles et donc en des marques de couleur ou des marques olfactives ».
Au titre de la protection une distinction semble à noter, celle de la couleur à titre de marque et faisant partie de l’identité visuelle d’une société. Pour la marque, en cas d’usage non autorisé, le titulaire des droits pourra attaquer le concurrent sur le fondement de la contrefaçon, tandis que pour l’identité visuelle, le titulaire pourra attaquer sur le fondement du parasitisme ou de la concurrence déloyale en prouvant qu’il existe un risque de confusion ou que l’on trouve une immixtion visant à tromper les potentiels clients.