Le non-respect d’un code éthique peut-il justifier la rupture de relations commerciales établies sans préavis ? (Cour d’appel de Paris, 24 mars 2021, n° 19/15565)

10 mai 2021

Aujourd’hui, la Responsabilité Sociétale des Entreprises et la Compliance de manière plus générale sont au cœur de la stratégie de marque des entreprises. En effet, les préoccupations environnementales se sont développées et les consommateurs y sont de plus en plus vigilants.

Les entreprises tentent de se conformer à ces nouvelles préoccupations en les incorporant à leurs habitudes, afin de respecter les principes du développement durable et du bien-être social.

I. La notion de relations commerciales établies 

Afin de commercialiser ses produits ou ses services, toute entreprise, va entretenir des relations commerciales avec ses partenaires. 

La relation commerciale est établie lorsqu’elle présente un caractère « suivi, stable et habituel ». Toutes les relations établies sont visées, peu important qu’elles soient précontractuelles, contractuelles et peu importe la forme et la durée du contrat. Afin de déterminer si une relation commerciale peut ou non être qualifiée d’établie (en l’absence de formalisation contractuelle notamment), la jurisprudence prend en compte plusieurs critères : 

  • La durée des relations entre les partenaires ;
  • La continuité de celles-ci ;
  • L’importance et l’évolution du chiffre d’affaires réalisé, sa régularité et son intensité. 

En l’espèce, depuis 2013, la Société Promod, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de vêtements et accessoires de mode, entretenait des relations commerciales établies avec ses fournisseurs, et notamment, avec la Société Paris Première. Leur relation était régie par une convention unique à durée déterminée d’une durée d’un an, renouvelable chaque année. 

À ces conventions, la Société Promod avait annexé un code éthique que la société Paris Première devait respecter et faire respecter par ses sous-traitants. De ce fait, les usines de production devaient être validées par la Société Promod. Un audit interne a été réalisé dans une des usines et les résultats se sont avérés défavorables concernant la législation en matière de droit du travail.

A la suite de cela, la Société Promod a indiqué à son fournisseur la rupture de leurs relations commerciales et a souhaité annuler les commandes en cours, dont les produits avaient déjà été fabriqué par le site en question.

Toutefois, cette rupture peut-elle être considérée comme brutale ? 

II. La rupture brutale de relations commerciales établies

Au vu du nombre accru de déférencement effectué par les grands distributeurs à l’égard de leurs fournisseurs, le législateur, en 2001, a introduit l’action en rupture brutale des relations commerciales établies. En ce sens, sera sanctionné le cocontractant qui ne respectera pas le préavis d’une durée suffisante pour mettre un terme à sa relation commerciale avec son partenaire. 

En l’espèce, la Société Paris Première a formé une action en rupture brutale des relations commerciales établies, en vertu de l’article L. 442-1 du Code de commerce. En effet, elle souligne que la Société Promod n’a pas respecté le préavis nécessaire pour mettre un terme à la relation commerciale.

Quelle est la durée du préavis à respecter ? 

La durée du préavis est calculée en fonction de la durée de la relation commerciale et de la durée minimale de préavis qui a été déterminée par les accord interprofessionnels. 

En ce sens, l’article L.422-1 II du Code de commerce dispose que la durée du préavis ne pourra pas excéder 18 mois.

La jurisprudence a pu retenir une durée de 6 mois de préavis lorsque la relation commerciale avait duré 5 ans. 

Les juges s’appuient sur plusieurs critères pour apprécier le caractère suffisant ou non de la durée de préavis : le domaine professionnel, l’importance financière de la relation commerciale, l’existence d’un accord d’exclusivité entre les parties, la possibilité pour la victime de se reconvertir vers un autre secteur d’activité ou enfin l’état de la dépendance économique qui peut s’analyser comme « un facteur aggravant ». 

La faute de la victime de la rupture : seule circonstance dispensant du respect d’un préavis 

Le législateur autorise la rupture des relations commerciales sans préavis « en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. » Encore une fois, cela relève de l’appréciation du juge. Le manquement contractuel doit être suffisamment grave et doit justifier la rupture immédiate des relations.

Tout d’abord, en l’espèce, le Tribunal de commerce de Lille a rejeté la demande formée par la Société Paris Première. Les juges ont retenu la non-conformité du fournisseur aux règles du code éthique annexé au contrat, ce dernier n’avait pas respecté la législation applicable, en matière de droit du travail ; et ce, alors même que la Société Promod le lui avait reproché plusieurs fois. 

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 24 mars 2021, a considéré que la rupture des relations commerciales établies était prévisible car la Société Paris Première avait gravement manqué à ses obligations en ne respectant pas l’annexe concernant le code éthique

De ce fait, la Cour d’appel invoque une faute du fournisseur, en l’espèce, qui a manqué « aux nouvelles normes rendues obligatoires en vertu du code éthique ».

Donc, le non-respect d’un code éthique pouvait justifier la rupture de relations commerciales établies, sans préavis. 

Et, cette rupture ne peut être considérée comme brutale, au sens de l’article L. 442-6 I 5° du Code de commerce lors du non-respect par le fournisseur, ou ses sous-traitants, du code éthique qui lui a été soumis, contractuellement, par son partenaire.

III. Pourquoi le Code éthique ?

La loi Sapin 2 du 9 décembre 2016 est venue imposer de nouvelles obligations aux entreprises, en matière d’éthique, de compliance et de lutte anticorruption. 

Dans un objectif de transparence, les entreprises doivent, depuis l’entrée en vigueur de cette loi, adopter un « Code de conduite » aussi appelé « charte d’éthique ».

Il permet de définir les valeurs de l’entreprises, les comportements à adopter ainsi que les droits et obligations de chaque employé de l’entreprise. 

Ce Code de conduite s’applique aussi bien en interne, c’est-à-dire aux employés, mais également en externe, c’est-à-dire, aux prestataires, aux sous-traitants, aux fournisseurs…

IV – La portée de l’arrêt 

Plusieurs années après l’affaire du Rana Plaza et le vote en 2017 de la loi Rana Plaza qui imposait aux sociétés mères un devoir de vigilance sur leurs sous-traitants en matière de droit de l’homme et d’environnement et de RSE, cette affaire rendue par la Cour de Paris est très intéressante à ce propos.

Cet arrêt est d’autant plus intéressant que la rupture brutale des relations commerciales établies est rarement écartée par les juridictions nationales.

Cette solution est novatrice mais la Cour d’appel de Paris fait application des lois récemment entrées en vigueur à ce sujet et les prochaines affaires jugées à ce propos devraient s’en inspirer.

A ce sujet, le Parlement européen a adopté le 10 mars 2021 une résolution au sujet du devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises. Cette résolution se rapproche de la loi française de 2017 quant au devoir de vigilance des sociétés mères sur leurs sous-traitants. 

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