En pleine période de crise sanitaire, le renforcement du devoir de vigilance trouve tout son intérêt. En ces temps, de nombreuses entreprises prennent le risque de courir derrière la rentabilité de leurs activités sans se soucier des retombées liées aux enjeux sociaux et environnementaux.
Né dans le but de répondre aux tragédies du passé liées aux mauvaises conditions de travail et environnementales dans les chaînes d’approvisionnement, ce devoir est au cœur des débats juridiques. Passons en revue la naissance du devoir de vigilance en France ainsi que les développements récents de ce concept en Europe.
I. RETOUR SUR LE DEVOIR DE VIGILANCE EN FRANCE
En 2017, la loi n°2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a été promulgué. Cette loi, couvrant l’ensemble des secteurs d’activité, a pour but de responsabiliser éthiquement, socialement et environnementalement les multinationales en imposant un devoir de prévention et d’évincement des risques d’atteinte au droit de l’Homme et à l’environnement. L’application de cette législation est subordonnée au nombre de salariés que détient la multinationale. Ainsi, sont concernées les sociétés qui, à la suite de deux années d’exercices consécutifs, ont leur siège en France et emploient au moins 5000 salariés en leur sein et dans leurs filiales directes et indirectes. Sont également concernées celles employant au moins 10 000 salariés et ayant leur siège social en France ou à l’étranger tout en ayant des activités sur le territoire français.
Ainsi, ces entreprises doivent mettre en place des mesures de vigilance raisonnables ayant pour but de prévenir et d’identifier les risques et violations graves en matière de droits humains, libertés fondamentales, de santé / sécurité et d’environnement. Ces mesures doivent s’appliquer sur les risques liés aux activités de la société mère, de ses filiales et des sous-traitants et fournisseurs avec qui la société détient des relations commerciales établies. De plus, elles doivent être consignées dans un plan de vigilance qui doit être élaboré et publié. Le contenu du plan doit nécessairement indiquer des informations concernant la cartographie des risques, les procédures d’évaluation régulière des activités concernées et les actions permettant d’atténuer et de prévenir les risques et atteintes. Le plan doit également faire état d’un mécanisme d’alerte en concertation avec les organisations syndicales représentatives ainsi que d’un dispositif de suivi des mesures et d’évaluation des différentes actions.
La France a été le premier pays à mettre en œuvre un tel devoir de vigilance. Toutefois, d’autres pays européens ont adopté des législations comparables (exemple : Royaume-Unis) où envisage d’en adopter (exemple : Allemagne). Compte tenu de l’accroissement de ces législations, l’instauration d’une obligation de vigilance à l’échelle européenne apparaît particulièrement pertinente afin d’harmoniser les législations nationales et équilibrer les conditions de concurrence au sein de l’union.
II. VERS LA CREATION D’UN DEVOIR DE VIGILANCE À L’ECHELLE EUROPEENNE
Le 10 mars 2021, le parlement Européen a validé une résolution contenant des recommandations sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises. Par le passé, des directives et règlements visant les impacts sociaux, sociétaux et environnementaux des entreprises ont déjà vu le jour à l’échelle européenne. Toutefois, les ambitions actuelles accélèrent davantage le renforcement de la responsabilité des entreprises. La loi française apparait comme étant une source d’inspiration pour l’Europe qui souhaite également imposer aux entreprises la mise en place d’une stratégie de vigilance basée sur l’identification, l’évaluation et la prise de mesures visant à cesser ou prévenir les risques potentiels ou réels. Toutefois, des obstacles et imprécisions juridiques empêchent ce devoir d’être entièrement efficient en France. Parmi ces obstacles, apparait notamment le nombre insuffisant d’entreprises concernées en France qui serait d’environ 150. Le parlement européen est, quant à lui, en faveur d’une application aux grandes entreprises mais également aux petites et moyennes entreprises cotées en bourse ou liées à des secteurs à haut risque. De surcroit, la résolution ainsi que le projet de directive font état de renforcements supplémentaires :
- Concernant la charge de la preuve. Contrairement au système français, le parlement européen recommande que la preuve soit à la charge des entreprises en instaurant une présomption réfragable de responsabilité.
- Concernant les sanctions en encourageant la commission à mettre en place une condamnation financière sous forme d’amende administrative. Dans ses recommandations, le parlement préconise la création d’une amende similaire à celles prévues en matière de droit de la concurrence et de protection des données. Cela viendrait enrichir la législation française qui autorise uniquement la mise en demeure ou l’engagement de la responsabilité civile de la société.
- Concernant l’accompagnement et le contrôle des entreprises en prévoyant la mise en place d’une autorité nationale indépendante dans les pays de l’union européenne qui serait dotée d’un pouvoir d’enquête et de sanction.
- Concernant les activités concernées par l’obligation de vigilance. L’AFEP souhaitait que la loi soit applicable uniquement des activités des fournisseurs et les sous-traitants directs. Toutefois, la recommandation vise également les sous-traitants et fournisseurs indirects. Cela pourrait créer des situations difficiles pour des multinationales qui seraient, par exemple, confrontées à l’opacité de certains importateurs dans le cadre du contrôle de leur chaine d’approvisionnement.
Malgré les renforcements à venir, il est judicieux de rappeler que le devoir de vigilance tend en quelque sorte à devenir un double devoir. En plus d’imposer une certaine conduite aux entreprises sur le territoire européen, les contraintes des partenaires économiques non-européens vont se renforcer. En effet, ils devront se soumettre aux exigences communautaires pour accéder au marché européen. Cela pourrait permettre aux entreprises de remplir leurs obligations avec davantage de facilité.