Si pour Martin Pigeon « les lobbies sont un frein à la transparence », pour Daniel Guéguen ils sont « un moyen de lutter contre les pouvoirs bureaucratiques ». Ces deux personnalités, l’un chercheur et militant, l’autre plus ancien lobbyiste de Bruxelles, ont chacun une paroisse à défendre, Guillaume Courty peut leur adresser une réponse : « Contrairement à ce que disent ses détracteurs ou ses propagandistes, les lobbies n’influencent pas la politique : ils font de la politique car ils la font vivre »1. Mais, le lobbying est-il vraiment un frein pour la démocratie ?
I- La bête noire de la transparence
Les lobbyistes sont définis par la loi Sapin du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II », comme des « représentants d’intérêts […] les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les organismes mentionnés au chapitre Ier du titre Ier du livreVII du code de commerce et au titre II du code de l’artisanat, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication » ainsi que « les personnes physiques […] qui exercent à titre individuel une activité professionnelle répondant aux conditions» fixées précédemment. ».
L’exercice du pouvoir de la volonté générale, par un nombre de représentants élus pour des mandats temporaires soumis à la loi au même titre que les citoyens lambda, dans le cadre de l’État de droit, conditionne le fonctionnement de la démocratie dans les pays qui s’en prévalent. La frontière entre monde public et privé tend à se dissoudre, les lobbies sont donc au cœur des enjeux de transparence démocratique.
Chaque jour, les élus, nationaux, européens, voire locaux, les fonctionnaires, les bureaucrates sont confrontés à des lobbyistes. A Bruxelles, 11 826 lobbies sont enregistrés dans le registre européen de transparence pour l’année 2019 alors qu’à Washington, le quartier général des lobbies en première position atteint les quelques 20.000 lobbyistes. Le directeur de campagne de Joe Biden, était lui-même représentant d’intérêts pendant dix ans.
Accusés de forger la « manufacture du doute »2, les lobbies ont alimenté le « ghostwriting ». Cela consiste à mentionner le nom d’un scientifique censé être indépendant sur un texte en faveur d’un objectif commercial, afin de légitimer une étude partiale financée par les soins d’une industrie ou d’une multinationale. Par exemple, le budget annuel consacré par l’entreprise allemande Bayer pour faire durer ce doute a atteint 3,3 millions d’euros en 2018.
Mais pour nuancer ce propos, le lobbying peut permettre d’informer les élus sur des contenus variés et techniques liés à un secteur (agronomie, informatique ou notamment médical). Cependant cela constitue justement une porte ouverte aux périls démocratiques…en effet si nos élus ont besoin d’experts pour s’informer, la démocratie est déjà en danger. Influencer n’est pas mauvais, mais cela en pratique empêche les décideurs de se forger une opinion originale sur les sujets traités.
II- Le lobbying, une activité réglementée en Europe ?
Les journalistes, les députés et les citoyens sont de ceux qui se soucient des risques que présente le lobbying. C’est pourquoi de nombreuses études, lois, tentatives plus ou moins réussies d’encadrement de ces lobbies se dressent en gardiens de la démocratie. A cet égard, le registre de transparence conditionne l’accès des lobbyistes au Parlement européen. Dans ce document, les professionnels de l’influence détaillent les informations « (en mettant en) évidence les intérêts défendus, par qui et avec quels budgets ».
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a dans sa délibération n° 2021-70-2 du 22 juin 2021 mis en demeure la société de géolocalisation DEVERYWARE, pour ne pas avoir respecté les obligations déclaratives qui lui incombaient. En cas de récidive dans les trois ans consécutifs, les dirigeants de cette société pourront faire l’objet de sanctions pénales allant jusqu’à un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Aux Etats-Unis, « The Lobbying Disclosure Act of 1995 » (2 U.S.C. §1601) permet d’engager la responsabilité des lobbies agissant au niveau fédéral pour toute action allant à l’encontre de la conformité, assurant la tenue d’une liste accessible par le public de tous les lobbyistes immatriculés, qu’ils archivent pendant six ans.
Ces garde-fous juridiques n’encadrent pas totalement le lobbying, l’activité étant difficile à cerner. Seule la lucidité des députés et des élus permettra d’interagir avec les lobbies dans un processus sain et transparent.
III- … quand je serai grand(e), je serai lobbyiste…
Pour devenir lobbyiste, nul ne le nie, il faut un talent pour la communication, des « tripes » faites pour la négociation, avoir un solide bagage intellectuel et culturel pour être au fait des préoccupations des élus ayant un pouvoir décisionnaire en matière de santé publique, de l’orientation des fonds d’un pays, voire d’une communauté d’États, telle que l’Europe des vingt-sept.
Pas de parcours-type pour ce métier : IEP, écoles de commerce, Masters en droit – relations internationales – affaires publiques peuvent y mener, bien qu’un diplôme universitaire dispensé par l’ISEL (sous l’égide de l’Université de Strasbourg, ville qui accueille le Parlement Européen en outre) préparant sa 14ème promotion pour l’année 2021/2022 vise expressément le métier de lobbyiste européen.
L’appât du gain, le hasard, ou même vocation, pour les lobbyistes en devenir, une seule indication : passer par des couloirs en verre pour accéder au vestibule démocratique. En attendant que ces couloirs se cristallisent, les citoyens avertis peuvent contrôler les coulisses avec les données fournies par le site www.lobbyfacts.eu qui présente les statistiques des sociétés les plus influentes.
1 COURTY Guillaume, Le lobbying en France. Invention et normalisation d’une pratique politique, Bruxelles, Peter Lang, coll. « La fabrique du politique », 2018
2 HESSEL Stéphane, Lobbytomie : comment les lobbies empoisonnent nos vies et nos démocraties, Cahiers Libres, La Découverte, 2018