Le droit au silence et le silence en droit : entre droit pénal et droit civil

29 juillet 2021

Le droit au silence et le silence en droit _ entre droit pénal et droit civil

Sans vouloir s’adonner à l’exercice d’un mauvais jeu de mots, le sujet du silence en matière juridique est un sujet qui fait beaucoup parler. 

Ainsi, il n’est pas mensonge de dire qu’aussi bien en matière pénale que dans le domaine des affaires, n’est pas passée dans l’oreille d’un sourd la célèbre maxime de Confucius voulant que « Si l’homme a deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter deux fois plus qu’il ne parle ». 

INTRODUCTION

En droit, le silence est l’absence de réponse à une demande ou sollicitation d’une partie, physique ou morale – privée ou publique. Dans ce cadre, des règles ont été déterminées par le législateur en matière civile afin de caractériser le silence en tant qu’approbation ou refus.

Le droit pénal lui, étant animé et régi par certains principes, notamment celui du procès équitable,  le droit de ne pas s’auto-incriminer a pour corollaire le droit au silence (du gardé à vue).

Ainsi, il n’est pas erroné d’affirmer qu’en matière pénale comme en matière civile, le silence est constitutif d’effets notoires. 

Par conséquent, l’intérêt du sujet ici sera de centrer notre réflexion sur les effets juridiques du silence, chez le mis en cause en matière pénale et sur celui d’une partie en matière civile contractuelle. En effet, la notion de silence étant trop large, le sujet devant obligatoirement faire l’objet d’un encadrement. Nonobstant le fait qu’une étude complémentaire du silence de la loi pénale – « vide juridique », du silence en matière fiscale et du silence de l’administration en droit administratif ne serait pas infondée. 

Table ronde donc sur le droit au silence : une garantie pénale au profit du mis en cause (I) et sur le silence en droit : un comportement passif porteur d’effets juridiques (II). 

I. Le droit au silence : une garantie pénale au profit du mis en cause. 

Le droit au silence est la prérogative qu’a une personne arrêtée par la police ou traduite devant un juge de rester silencieuse sans que ce silence ne puisse lui être reproché. Il est aussi nommé droit de se taire ou droit de ne pas s’auto-incriminer.

En France, selon l’Article 63-1 du code de procédure pénale, lors des auditions, la personne placée en garde à vue a le droit de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. 

Consacré depuis longtemps par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (arrêt Funke c/France 25 février 1993), le droit de se taire permet à une personne interrogée de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

Initialement introduit par la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence, puis supprimé par la loi n°2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, ce n’est que sous l’impulsion d’une décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, relative à la garde à vue (Cons. const. 30 juillet 2010 n°2010-14/22), que la loi n°2011-392 du 14 avril 2011 a réintroduit le droit de garder le silence.

Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnels des articles du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue en raison de l’absence de notification à l’intéressé de son droit de garder le silence (Cons. const., 30 juill. 2010, n°2010-14/22 QPC).

Concrètement, l’agent verbalisateur a l’obligation de rappeler au mis en cause son droit de garder le silence.

Néanmoins, le droit de ne pas s’auto-incriminer et le droit de se taire ne sont pas formellement inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi la Cour européenne des droits de l’homme a du développer une interprétation extensive de l’article 6 de la Convention et des garanties du procès équitable.  Cette dernière a plusieurs fois rappelé que le droit de ne pas s’auto-incriminer est l’une des garanties du procès équitable et a pour corollaire le droit au silence (cf. CEDH, 25 févr. 1993, aff. 10588/83, Funke c/ France ; CEDH, 8 févr. 1996, aff. 18731/91, J. Murray c/ Royaume-Uni).  Elle a d’ailleurs précisé que le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence « ont notamment pour finalité de protéger l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention » (cf. CEDH, 10 mars 2009, aff. 4378/02, Bykov c/ Russie).

Ainsi, la Cour européenne a sanctionné la France pour violation de l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la Convention dans la mesure où le régime de la garde à vue ne garantissait pas la protection du droit à ne pas s’auto-incriminer (CEDH, 14 oct. 2010, aff. 1466/07, Brusco c/ France).

À cet égard, on peut encore relever que l’article 3 de la directive 2012/13/UE du Conseil et du Parlement européen, du 22 mai 2012, impose aux États membres de l’Union européenne de veiller « à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations » et notamment, « le droit de garder le silence ».

Enfin, le droit au silence est aussi garanti par l’article 14-3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 énonçant que « toute personne accusée d’une infraction pénale a droit (…) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable ».

S’agissant de la sanction du défaut de notification du droit au silence, les derniers arrêts de la Chambre criminelle témoignent d’une volonté de donner une réelle effectivité au droit de se taire.

En effet, dans un arrêt du 8 juillet 2015 (Cass. crim., 8 juillet 2015, no 15-81.192), alors que la Cour d’appel avait retenu que la nullité des déclarations recueillies en violation de ces règles ne pouvait être prononcée qu’à la condition qu’elles aient été le fondement exclusif ou essentiel de la décision prise par un juge, cette décision est censurée par la Chambre criminelle qui considère que la chambre d’instruction, après avoir constaté que les auditions recueillies au cours de la mesure de garde à vue étaient irrégulières, devait en tirer les conséquences et annuler ces actes.

Au delà de la matière pénale procédurale, le silence joue également son rôle en matière civile et commerciale. 

II. Le silence en droit : un comportement passif porteur d’effets juridiques. 

Lors d’une relation contractuelle, le principe de droit civil applicable est celui selon lequel le silence ne vaut pas acceptation de l’offre. En effet, contrairement à l’adage « qui ne dit mot consent », les juges ont toujours posé le principe selon lequel le silence ne valait pas acceptation. Cela veut donc dire que si le bénéficiaire de l’offre ne répond pas à l’offre qui lui est faite, le contrat ne pourra pas en principe être formé. 

Attention, la question du silence ici est bien à distinguer de la question de l’acceptation implicite de l’offre. En effet, l’acceptation de l’offre peut être faite de manière implicite ou explicite par son bénéficiaire. Implicite, cela veut dire que son comportement va indiquer qu’il veut conclure le contrat. C’est le cas d’un voyageur qui rentre dans un véhicule taxi, et qui par son comportement actif va manifester son acceptation de manière implicite. 

Cela est à distinguer de la question du silence pour laquelle le bénéficiaire de l’offre reste totalement passif et n’exprime aucune volonté par rapport à l’offre. 

Ainsi, le principe légal de l’article 1120 du Code civil est que le silence ne vaut pas acceptation. 

Cependant, ce même article prévoit que dans certaines hypothèses, le silence, par exception, peut valoir acceptation. Il précise en effet que le silence ne vaut pas acceptation à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières. Certaines exceptions sont donc posées par la loi elle-même.

Par exemple, l’article 1738 du Code civil relatif au bail dispose qu’à l’issu du bail, le locataire reste et est laissé en possession du bail, il s’opère un nouveau bail. Ainsi, le silence vaut ici acceptation, car si le locataire ne quitte pas l’appartement et que le bailleur ne lui signifie pas de partir, un nouveau contrat se forme.

S’agissant des usages contraires, en matière commerciale, lorsque le silence est donné à la suite de la réception d’une lettre de confirmation, il y a acceptation de l’offre en raison du silence. 

Par ailleurs, le silence peut valoir acceptation en raison de relations d’affaires antérieures dans lesquelles certaines habitudes entre les parties ont été prises. 

Enfin, le silence peut valoir acceptation dans des circonstances particulières. C’est le cas lorsque une offre est faite dans l’intérêt exclusif de son bénéficiaire. Par exemple, en cas d’offre de remise de dettes, si le bénéficiaire de l’offre ne répond pas à cette offre de remise de dettes, et bien son silence sera réputé acceptation puisque l’offre est faite dans son intérêt exclusif. Le contrat sera ainsi formé en raison de son silence.

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