Sans défilé pour la première fois de leur histoire, les maisons de Haute couture ont su se réinviter et se sont alliées aux réseaux sociaux. Les créateurs ont été amenés à dépoussiérer ce format « physique » du défilé de mode qui semblait immuable depuis des années. Force est de constater que ces défilés de monde ont eu un franc succès, ce qui présage une continuité de cette digitalisation au long terme : il est essentiel de se questionner sur les enjeux de propriété intellectuelle liés à ces derniers.
I. Instagram : le ticket d’entrée aux plus grands défilés de mode
Les réseaux sociaux comme Instagram ou Twitter ont aujourd’hui une place incontournable dans l’industrie de la mode. La pandémie mondiale et les contraintes liées à cette dernière ont amené les grands créateurs à revisiter les défilés de mode classique. Dernièrement, la distanciation sociale a mené les Maisons Chanel ou Yves Saint Laurent pour les défilés digitaux. Des shows et extraits sont disponibles sur les réseaux sociaux. Cela a révolutionné le monde de la mode où les défilés étaient plutôt retranscrits sur les fameux magazines. La digitalisation des défilés est aujourd’hui encrée dans le monde de la mode.
Cette saison, la Fashion Week de Londres fut numérique. Les créateurs ont redoublé d’ingéniosité et de créativité pour présenter leurs produits à distance. Connus pour être restreint à un certain public, les shows sont désormais diffusés en direct. Depuis les années 60, la Fédération française de la couture du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de monde prend soin de gérer les engagements de presse et les accréditations. Ainsi, c’est sur la base d’une liste de personnes accréditées que les maisons de couture établissent leurs cartons d’invitation, et inviter : journalistes, photographes et caméramans identifiés. L’un des points positifs d’un défilé de mode digital est la possibilité de sortir de ce système d’accréditation et d’offrir une nouvelle place est laissée aux spectateurs de tout horizon qui peuvent commenter en direct. La mode semble ces temps-ci, perdre légèrement sa connotation « réservée à une élite ». Cette démocratisation de la mode a permis aux grandes maisons de couture comme Balmain ou Elie Saab de gagner une visibilité spectaculaire et de toucher un nouveau public. Comme le souligne Nicole Barclay : « L’industrie de la mode restait inaccessible au public, et pour la première fois dans l’histoire de la mode, Instagram a fourni au spectateur un accès privilégié à une industrie qui lui était auparavant fermée. » La dernière innovation notable est celle de la créatrice congolaise Anifa Mvuemba. C’est par le biais d’un Instagram live qu’elle a dévoilé un défilé en mouvement qui était animé par des modèles 3D.
II. Théâtre de la mode : le défilé de mode digital comme oeuvre de l’esprit
Costumes, robes ou bustiers, les créations de l’industrie de la mode sont classiquement reconnues comme des oeuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur. Mais quid des défilés de mode ?
L’article L111-2 du Code de la propriété intellectuelle ne reconnait pas expressément le défilé de mode comme une oeuvre de l’esprit. Sous réserve de son originalité, il est possible qu’un défilé de mode soit considérée comme une oeuvre de l’esprit. C’est en 2008 que la Cour de cassation a fait entrer les défilés de mode dans le panthéon des oeuvres protégées au titre du droit de d’auteur. La Haute juridiction confirme un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait retenu que « les créations et les défilés de mode sont des oeuvres de l’esprit sur lesquelles les maisons de couture jouissent d’un droit de propriété ». Le défilé de mode qu’il soit physique ou digital, si le défilé de mode est original : il sera protégé par le droit d’auteur.
Théâtre de la mode, le défilé de mode n’est pas sans rappeler les oeuvres dites de mises en scène à l’instar des « oeuvres chorégraphiques (…) dont la mise en oeuvre est fixée par écrit ou autrement ». Les grandes maisons font appel à de célèbres scénographes, metteurs en scène, ou encore DJ. En effet, dès 2008, le charme futuriste du duo français Daft Punk avait séduit Louis Vuitton. Comme nombres de spectacles vivants, le défilé de mode peut être considéré comme une oeuvre dite de collaboration. Une création a laquelle ont « concouru plusieurs personnes physiques ». Le défilé de mode peut également être qualifié d’oeuvre dite collective. En effet, les maisons de couture jouent un rôle prépondérant dans le processus de création : elles sont souvent à l’initiative de la création, et le défilé est divulgué et exploité sous leur nom.
Les maisons de couture sont titulaires des droits d’auteur sur les défilés de mode, dès lors qu’ils présentent un caractère d’originalité. Elles disposent donc du choix d’autoriser ou non, la diffusion ou la reproduction des défilés de mode qu’ils soient digitaux ou physiques. Si les réseaux sociaux permettent de revoir l’entièreté d’un défilé de mode digital, de nombreuses rediffusions ne sont pas autorisées. Les tiers qui souhaitent rediffuser un défilé digital sur internet doivent nécessairement demander l’autorisation préalable de la maison de couture. Dans le cas contrainte, une action en contrefaçon pourra être envisagée par cette dernière. À titre d’exemple, la Cour de cassation a déjà pu qualifier de contrefaçon la diffusion sur internet de photographies d’un défilé de mode, alors que le photographe n’avait pas obtenu préalablement l’autorisation de la maison de couture.