La chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence majeur dans une décision en abandonnant le formalisme des actes conclus au nom ou pour le compte d’une société en formation (Com. 29 nov. 2023, n°22-12.865). Pour comprendre l’apport majeur de cet arrêt, il faut tout d’abord définir ce qu’est une société en formation.
La société en formation se situe dans un entre-deux entre les premières démarches de création de la société et l’immatriculation de la société elle-même au registre des commerces et des sociétés (RCS). L’admission de l’existence de la société en formation par la Cour de cassation est bien ancrée dans la jurisprudence (Cass. com., 12 avr. 1976, n°74-15.296).
Une société, bien qu’en formation, peut tout de même conclure des actes et notamment avec des tiers. Ces actes peuvent alors être repris une fois la société immatriculée, mais uniquement si plusieurs conditions sont réunies.
I. La reprise des actes de la société en formation
Tant que la société en formation n’est pas immatriculée au RCS, elle est dépourvue de personnalité juridique mais elle désire obtenir cette immatriculation, ce qui la différencie des sociétés en participation et des sociétés créées de fait. Le régime de la société en formation se trouve à l’article L210-6 du Code de commerce pour les sociétés commerciales et 1843 du code civil pour les autres sociétés.
Le législateur permet donc aux fondateurs de la future société d’être personnellement et solidairement tenus des actes qu’ils ont conclus au nom de la société en formation ; et uniquement les associés ayant souscrit à l’acte étant concernés (cass.com., 25 oct. 1983, n°82-13.868). Si la société n’est pas immatriculée ou si les actes ne sont pas repris, seuls les signataires restent liés par le contrat qu’ils ont conclu au nom de la société en formation.
La société, une fois immatriculée, peut reprendre les engagements souscrits en son nom réputés contractés ab initio ; un effet rétroactif se produit et permet à la société de se substituer au membre fondateur contractant. La société peut procéder à la reprise d’un acte même des années après par exemple pour l’achat d’un immeuble, bien que cet immeuble ait été hypothéqué par l’un des fondateurs, la société en reste la propriétaire à partir du moment où elle décide de la reprise de l’acte (cass. 3e civ., 9 juill. 2003, n°01-10.863).
II. La sanction initiale des actes pris par une société en formation
Le principe est donc qu’à défaut de personnalité juridique, la société n’est pas juridiquement apte à agir avec les tiers. Par conséquent, l’acte conclu par les prétendus représentants d’une société dénuée de personnalité juridique est nul (cass. 3e civ., 5 oct. 2011, n°10-12.073) de nullité absolue (cass. Com., 21 févr. 2012, n°10-27.630).
La société ne pouvait donc reprendre à son compte que les engagements expressément souscrits « en son nom » (Cass. Com. 22 mai 2001, n°98-19.472).
Ainsi, avaient été jugées nulles deux conventions, par la Haute autorité, après avoir constaté que ces deux actes n’avaient pas été souscrits au nom d’une société en formation mais par la société en formation (en lieu et place de « en son nom » ou « pour le compte ») (cass.com. 19 janv. 2022, n°20-13.719).
En conséquence, ces actes ne pouvaient être repris par la société une fois immatriculée (Cass. 3e civ., 5 oct. 2011, n°09-70.571).
III. L’apport novateur du revirement de la Cour de cassation
La Cour, en opérant son revirement de jurisprudence, abandonne les exigences formelles de la mention “au nom” ou “pour le compte” de la société en formation.
Elle juge désormais qu’il apparaît possible et même souhaitable de laisser au juge du fond un pouvoir souverain d’appréciation, notamment par l’examen de l’ensemble des circonstances de l’acte, pour savoir si l’intention des parties était que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, une fois la personnalité juridique acquise, décider de reprendre les engagements souscrits.
Par cet arrêt, la Haute cour juge pour la première fois que les juges du fond auraient dû rechercher s’il ne résultait pas non seulement des mentions de l’acte mais également de l’ensemble des circonstances que, nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention des parties était que l’acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en formation.
Dans une autre décision du même jour, les juges de droit ont également conclu à cette même solution (Cass. Com. 29 nov. 2023, n°22-12.295).
La mention « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation n’est plus requise ad validitatem.
L’acte peut être valable, et ainsi valablement repris par la société après son immatriculation, s’il résulte des circonstances de la cause que l’intention commune des parties était de passer un acte au nom pour le compte de la société en formation, et qu’une telle substitution de cocontractant intervienne ultérieurement.