La responsabilité contractuelle : le cas Emiliano Sala

27 mai 2024

La responsabilité contractuelle : le cas Emiliano Sala

Cinq ans après le décès d’Emiliano Sala dans de terribles circonstances, le dossier est loin d’aboutir à une solution et aujourd’hui les clubs du FC Nantes et Cardiff City se retrouvent dans une bataille judiciaire devant le tribunal de commerce de Nantes quant à savoir à qui est imputable la responsabilité de la cause du décès. Le club gallois réclame près de 120 millions d’euros à titre de préjudicie auprès du club français.

En attendant d’avoir une solution que tacheront de trancher les juges dans les prochains mois, on peut étudier quelques éléments de réponses plausibles.

I. L’historique sur le litige contractuelle opposant les clubs

Pour rappel des faits, lors du mercato hivernal de 2019, un accord sur le transfert du joueur argentin entre le club breton et celui de la capitale galloise pour un montant de 12 millions de livres sterling avait été trouvé. Le joueur s’était alors rendu à Cardiff afin de formaliser le transfert.

Suite à cela, le joueur a effectué un aller-retour dans la Loire pour adresser un salut à ses coéquipiers mais est tragiquement décédé pendant le trajet retour en avion, dans la manche, n’ayant ainsi pu porter le maillot de son nouveau club. Après de nombreuses controverses autour de ce transfert, le club du Royaume-Uni refusait de payer le montant du transfert.

C’est finalement la FIFA qui par une décision le 25 septembre 2019 a condamné le club de Cardiff City à payer au club breton la somme de 17 millions d’euros au titre du montant du transfert du joueur. Après appel interjeté par le club gallois, le tribunal arbitral du sport a rejeté l’appel, rendant la décision de la FIFA définitive. Le solde restant du transfert a été payé à la mi-juin 2023.

Le club Cardiff City chiffre dès lors aux environs de 120 millions d’euros le préjudice qu’il aurait subi des suites du décès du joueur. Les Vultures de Cardiff estiment que les canaris avaient la responsabilité du joueur lors de son transfert et notamment quant au vol privé prévu.

Le TAS estime que la FIFA ne peut libérer le club gallois du paiement de la somme de transfert pour autant qu’une action en responsabilité civile est envisageable. C’est dans ces conditions que le club de Cardiff a saisi la justice française.

II. L’action en responsabilité contractuelle du Cardiff City FC contre le FC Nantes

Le tribunal de commerce sera compétent pour juger de l’affaire. Il faut alors se pencher sur la notion de responsabilité contractuelle en droit français pour comprendre les demandes du club gallois.

En droit commun de la responsabilité ce sont les articles 1231 et suivants du code civil qui définissent les conditions applicables à la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle et le préjudice y découlant en cas d’inexécution de ce contrat.

Quatre conditions sont nécessaires à réunir pour engager le régime de responsabilité contractuelle, il faut une inexécution contractuelle qui a causé un dommage à autrui. Une condition de forme doit être ajoutée, il s’agit de la mise en demeure d’exécuter le contrat à moins que l’inexécution soit définitive. Le joueur étant décédé, l’inexécution est nécessairement définitive de sorte que cette dernière condition n’a pas à être remplie.

Pour cela il faut déterminer à qui impute l’inexécution contractuelle. En matière de contrat de transport, il existe une obligation de sécurité avec l’obligation pour le transporteur de conduire le voyageur sain et sauf à destination (Civ. 21 nov. 1911 : GAJC, 11e ed., n°262). En l’espèce, aucun des deux clubs n’a personnellement organisé le vol et l’organisation a été confié à une agence de tourisme privée. Le pilote sélectionné, l’a été à la demande de l’agent mandaté par le club nantais pour réaliser le transfert du joueur. En revanche l’organisateur du vol a été condamné pour avoir transporté un passager sans autorisation valide. Or l’article 278 de la charte du football professionnel soumet à l’autorisation du président du club la prise en place dans un avion de tourisme, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, toutefois le transfert était déjà effectif de sorte que le joueur n’appartenait a priori plus au FC Nantes.

En outre, si les juges estiment que les conditions sont réunies alors le FC Nantes devrait procéder à la restitution de la somme perçue au titre du montant du transfert, en vertu des articles 1352 du code civil et suivants.

III. L’analyse de la demande de préjudice prétendument subi par le club gallois

Il est intéressant de décomposer la somme astronomique demandée par le club gallois à titre de préjudice. Le dommage (préjudice) ne porte pas de définition propre suffisamment précise tant il peut être étendu et il est de nature de se référer à la nomenclature Dinthillac, en matière de préjudice corporel. Toutefois l’on sait qu’il doit être certain, direct, personnel et légitime.

Le club de Cardiff estime tout d’abord que la non-venue du joueur argentin lui a coûté sa relégation de Premier League (première division de football anglaise) et que le joueur aurait permis le maintien du club. Ils estiment ensuite que cette descente a terni sur la réputation du club entraînant ainsi une perte de revenus.

Or la victime ne peut obtenir réparation du préjudice qu’à la condition que son existence ne prête pas au doute.

Tout d’abord on peut analyser cette demande sur le fondement de la réparation pour la perte de chance. Il est en effet de jurisprudence constante de réparer une perte de chance autant qu’elle ne peut être totale (Com. 19 oct. 1999 n°97-13.446), la perte de chance pourrait alors s’analyser ici dans celle du maintien en première division.

En revanche constitue une perte de chance la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable. Les juges n’indemnisent sur le fondement de la perte de chance qu’à la condition que la perte soit certaine. L’équipe de Cardiff avait fini premier relégable à 2 points derrière l’équipe anglaise de Brighton (non relégable).

Après le boxing day, au 2 janvier 2019, l’équipe galloise se trouvait à la 16ème place de Premier League à moins de 5 points du 19ème de l’époque. Ce qui ne fait pas nécessairement état d’une éventualité favorable de se maintenir dans la division. Quant à Emiliano SALA, le joueur avait inscrit 12 buts de moyenne sur les trois derniers exercice de ligue 1.

Ainsi sous appréciation des juges du fond, il apparaît difficile de caractériser la perte de chance de se maintenir en première division pour le club gallois. La certitude du préjudice apparaît difficilement caractérisable.

IV. le potentiel cas de la force majeure

L’article 1231-1 du code civil prévoit que le débiteur est condamné au paiement de dommages et intérêts à raison de l’inexécution de l’obligation. In fine ce même article prévoit que le débiteur peut justifier que l’inexécution ait été empêché par la force majeure. Dans le cas où le tribunal de commerce reconnaîtrait que le FC Nantes engage sa responsabilité contractuelle, puisse t-il être exonéré ?

En d’autres termes, si le FC Nantes arrive à réunir les conditions de la force majeure alors cela pourrait exonérer le club d’avoir à verser des dommages-intérêts au titre du préjudice que prétend avoir subi Cardiff.

Les conditions sont au nombre de trois, il faut que l’événement ayant empêché l’exécution du contrat soit :

  • irrésistible
  • imprévisible
  • extérieur

En définitive, les conditions météos clivantes sont extérieures au FC Nantes. Toutefois, le club aurait pu prévoir un autre avion tant il était avéré que l’avion affrété pour le transport demeurait en très mauvais état, le club aurait pu préparer un autre avion ou attendre une météo plus clémente. Ici, l’on peut douter que les juges du fond exonèrent le club par la force majeure.

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