La loi Évin à l’épreuve des réseaux sociaux ou l’exposition des jeunes à la publicité pour l’alcool

15 octobre 2021

La loi Évin à l’épreuve des réseaux sociaux ou l'exposition des jeunes à la publicité pour l’alcool

Dans la même lignée que les marques de prêt-à-porter, certains alcooliers investissent à leur tour cette nouvelle terre fertile que représentent les réseaux sociaux, où l’influence fait tabac. Certaines entreprises se chargent de contourner la réglementation en vigueur pour faire la publicité pour l’alcool à destination des enfants, pratique qui est en principe interdite, notamment par la Loi Evin.

I. La loi Évin : quand l’alcool fait sa pub

La lutte contre le tabagisme comme la lutte contre l’alcoolisme sont des objectifs de santé publique. Ces derniers justifient une restriction de la liberté de communication des publicitaires, et ce au-delà des frontières françaises. À titre d’illustration, en Russie, l’enseigne Philip Morris International a été contrainte de suspendre sa campagne de marketing d’influence pour ses produits IQOS. Celle-ci avait rémunéré une influenceuse en dessous de l’âge légal pour faire la promotion d’une cigarette électronique.

La Cour de cassation a défini la publicité en faveur d’une boisson alcoolique comme « tout acte en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article ayant pour effet, quelle qu’en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique sans satisfaire aux exigences de l’article L. 3323-4 du même code ». La publicité directe ou indirecte en faveur de l’alcool est autorisée « sur les services de communications en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du Code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle ». La publicité pour l’alcool sur Internet est soumise aux mêmes contraintes, qui figurent dans le Code de la santé publique depuis 2009. Quoique logique, l’exception interdisant le ciblage de la jeunesse reste complexe à mettre en œuvre.

Les réseaux sociaux sont aujourd’hui un vecteur majeur d’exposition au marketing en faveur de l’alcool. En effet, 30,7 % des adolescents se souvenant d’une publicité déclarent avoir été exposés, au moins une fois par semaine, à une image, une vidéo ou une publicité pour une boisson alcoolisée sur internet. Ce résultat est inattendu du fait de l’interdiction de la publicité pour l’alcool à destination des enfants. L’essor du marketing des marques d’alcool sur les réseaux sociaux augmente le risque d’exposition des mineurs à l’alcool. La plupart des marques de boissons sont présentes sur Twitter, Facebook, ou encore Youtube. Elles tentent de promouvoir des contenus attractifs à l’égard des jeunes par le biais de jeux ou de concours.

La Haute juridiction a pu se prononcer contre le mécanisme de propagation virale propre aux réseaux sociaux comme Facebook, pour la publicité de boissons alcoolisées. Dans cette affaire, l’AAF (Association Addictions France) mettait en avant le fait que le réseau social Facebook, en ce qu’il était essentiellement utilisé par un jeune public, ne pouvait être utilisé pour réaliser des publicités pour des boissons alcooliques.

II. L’exposition des jeunes à la publicité pour l’alcool par le biais des influenceurs

En matière de publicité pour l’alcool, il est essentiel de ne pas s’adresser aux mineurs ou les représenter, de ne pas présenter le produit comme un signe de maturité. Comme le précise l’ARPP, il convient donc ne pas communiquer sur des services de communication en ligne dont il est raisonnable de penser que l’audience n’est pas composée d’au moins 70 % d’adultes et de 18 ans et plus. Les influenceurs dont la communauté est composée de jeunes, se voient donc interdire, en principe, la promotion d’alcool. Néanmoins, cette pratique se veut courante. La marque « Saveur Bière », est leader de la bière en ligne. Cette dernière s’est s’associée avec le youtuber Kemar pour proposer une bière inédite en édition limitée : la Kramer. Au regard de cet exemple, il reste complexe de définir sur une communauté de millions d’abonnés, si la communication commerciale se veut être à destination des mineurs. Il est alors possible d’envisager un système de filtrage d’âge, à l’instar la page Facebook dédiée à la boisson Desperados qui a réalisé un examen d’études sur la fréquentation par le système d’un filtrage d’âge.

Aussi, le projet « Alcooltor » de l’association Avenir Santé a pour objectif de surveiller les dérives des alcooliers sur les réseaux sociaux. En novembre 2018, l’association a repéré le compte Instagram de Mayadorable (225 000 abonnés à l’époque) âgée de 17 ans recrutée par la marque « Cubanisto » pour promouvoir la bière. Ce placement publicitaire vise les jeunes. Interrogée par Le Figaro, la Direction générale de la santé a fait valoir que « sous réserve de l’interprétation du juge du fond, le fait de faire apparaître un mineur dans une publicité en faveur de l’alcool pourrait être considéré comme de la publicité destinée aux mineurs ».

Si la communauté de l’influenceur est composée d’au moins 70% d’adultes et de 18 ans et plus, la communication commerciale autour d’une boisson alcoolique sera possible. Il est primordial que le message publicitaire soit clairement identifié comme tel ainsi que le dispose l’article 20 de la loi LCEN. Toutefois, certains influenceurs se retiennent de mentionner leur lien avec l’alcoolier. De plus, le Code de santé publique établit la liste des informations ou des mentions autorisées concernant le contenu de la publicité. Il est essentiel que l’influenceur mentionne que « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération », et qu’il précise que pour consommer de l’alcool il est obligatoire d’avoir la majorité légale.

Face à l’afflux accru de publicités illicites concernant l’alcool sur les réseaux sociaux le contrôle reste complexe. Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 reconnaît que l’exposition des jeunes à la publicité en faveur de boissons alcoolisées est problématique. Par conséquent, il souhaite renforcer les contrôles exercés par l’AAF et la DGCCRF. Franck Lecas, chargé de mission à l’AAF, retient que « Ce plan évite les sujets qui fâchent. Il n’y a aucune mesure pour encadrer le marketing, en particulier sur internet ».

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