L’activisme actionnarial est une pratique qui n’est pas définie juridiquement, pour autant ses effets sur la gouvernance des entreprises et sur l’économie sont bien concrets. Phénomène venant des marchés financiers américains, son influence est grandissante sur les marchés Européens, notamment en France. L’objet de cet article est d’approcher l’étude de cette notion ainsi que ses effets sur la gouvernance des entreprises et sur l’économie réelle.
Contours de la notion d’activisme actionnarial
L’activisme actionnarial peut se définir comme étant la réunion d’actionnaires minoritaires voulant influencer la prise de décision et le contrôle d’une entreprise. Ces mouvements en se développant s’institutionnalisent pour former des fonds activistes, maintenant redoutés par la plupart des sociétés puisqu’on estime que depuis 2015, 20% des décisions relatives à la gouvernance des entreprises du CAC 40 ont été influencées par ces derniers.
Un rapport de la banque d’investissement Lazard montre une recrudescence de ces pratiques ces dernières années, les campagnes activistes ayant augmenté de 36% en 2022 par rapport à l’année 2021. Les motivations sont multiples mais la principale est naturellement la recherche du profit. Le mécanisme est simple, en stimulant la performance financière de la société, les actionnaires sont in fine récompensés.
Mais nous verrons que peu à peu ce processus attire d’autres acteurs souhaitant eux aussi influencer les sociétés, mais vers des pratiques plus respectueuses des enjeux sociaux et environnementaux.
La pratique agressive menée par la recherche du lucre
Le mode opératoire des fonds activistes ou des sociétés d’investissement est de dégager un bénéfice à partir de la fluctuation du prix des actions d’une société cotée. Leur objet est donc d’influencer les décisions de la société par diverses opérations :
- publications sur les réseaux sociaux ;
- lobbying ;
- mise sous pression des organes de contrôle…
À titre d’illustration, en 2021, Bluebell Capital, un fonds activiste Londonien créé en 2019, a réussi à obtenir l’éviction du PDG de Danone Emmanuel Faber, en raison d’une prétendue perte de compétitivité financière depuis son arrivée. Manipulation impressionnante lorsque l’on sait que le fonds était en possession de moins de 20 millions d’euros d’actions de Danone alors que sa capitalisation boursière était de 41 milliards d’euros.
Une autre méthode est de produire un mouvement financier massif dans un temps très réduit. De façon très agressive ces fonds peuvent chercher à créer un mouvement de panique entraînant une baisse soudaine du prix des titres, phénomène nommé « short-selling activism ». L’affaire Casino vs Muddy Waters illustre parfaitement ce fonctionnement. En effet le fonds activistes Muddy Waters, connu pour ses ventes à découvert agressives, avait en 2015 lancé une offensive contre le groupe français Casino. Suite à son rapport alarmant sur la santé financière de Rallye, la société holding de Casino, le fonds activiste avait fait perdre 20% du titre Casino au cours d’une seule séance.
L’AMF (Autorité des Marchés Financiers) est alors saisie pour manipulations de cours des titres et pour diffamation. Cependant, même si l’affaire sera étudiée pendant 4 ans, elle sera classée sans suite en 2019. Pourtant, le fonds activiste avait même fait rechuter le cours de l’action en 2018 avec un simple tweet. Il est toujours très difficile de quantifier l’influence d’une rumeur sur les marchés, d’autant que le fonds Muddy Waters avait fondé son argumentaire sur une base factuelle, qu’elle a volontairement exagérée.
La pratique à des fins socialement responsables
Réduction des inégalités, respect de l’environnement, égalité homme femme, lutte contre la corruption… autant de raisons qui poussent certaines ONG et fonds « engagés » à essayer eux aussi d’influencer la gouvernance des entreprises.
L’exemple qui a fait le plus de bruit récemment est celui du fonds d’investissement Engine N°1, créé il y a quelques années par des spécialistes financiers soucieux de l’avenir environnemental, face à la compagnie ExxonMobil, plus importante société pétrolière privée et principal indice boursier américain.
Avec moins de 1% du capital de la société, ce petit fonds d’investissement a réussi en 2021 le pari de contraindre la firme ExxonMobil de concéder trois sièges au sein du conseil d’administration dans le but d’y installer des personnes plus sensibles à leur vision, et ce alors même que les dirigeants s’y opposaient corps et âme. Encore une fois, la communication et le lobbying montrent leur puissance dans un monde de plus en plus informatisé. Cette victoire de David contre Goliath laisse penser à certains que l’influence de ces groupes n’est qu’à son début.
C’est dans ce contexte que le respect des critères ESG prend de plus en plus d’importance dans le choix des fonds d’investissements traditionnels, ces derniers voient de plus en plus de bons investissements dans les sociétés les respectant. En effet les sociétés peu soucieuses de l’environnement devront se plier un jour ou l’autre à des réglementations entraînant des pertes de bénéfices, alors que les sociétés déjà engagées en faveur de l’environnement sont à l’inverse censées être plus pérennes sur le long terme.
Le risque sur l’économie réelle
Les fonds activistes ont leur légitimité sur les marchés financiers, ils s’avèrent d’ailleurs souvent utiles. Ils peuvent stimuler l’activité financière, calibrer la valorisation d’un titre à sa juste valeur lorsqu’une société cache sa situation financière au public ou encore permettre de faire prendre des décisions socialement responsables.
Mais qu’ils soient animés de bons sentiments ou par la simple recherche de profits, les activistes peuvent avoir des effets délétères sur les sociétés, voire sur un pays. En effet, en affectant le tissu des sociétés cotées on affecte in fine son économie réelle. Les prises de position des activistes peuvent amener des résultats catastrophiques, beaucoup de sociétés ont dû déposer le bilan suite à ces attaques.
Et même si la société survit et prouve que les offensives étaient injustifiées, il est toujours très difficile de reconquérir la confiance des investisseurs suite à une perte conséquente de capitaux.
De surcroît, même si les fonds activistes peuvent avoir un effet positif sur le court terme, certains mettent en évidence que la hausse n’est que momentanée et que la redescente est certaine. La plupart des activistes chercheraient en réalité une hausse sans se soucier de l’avenir de la société une fois leurs bénéfices effectués.
Attention toutefois la question ne trouve pas de réponse tranchée, une étude émise par des chercheurs américains semble en effet prouver le contraire. Les entreprises visées par une campagne d’activisme se trouveraient globalement favorisées encore quelques années plus tard.
La position de l’AMF
L’AMF, l’autorité notamment chargée de veiller « à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers », selon l’article L621-1 du Code monétaire et financier, a publié un communiqué relatif à l’activisme actionnarial le 28 avril 2020, complété en 2021 par une évolution de sa doctrine.
Elle rappelle que la complexité du sujet réside dans le caractère polymorphe de ces mouvements et que, dans la très grande majorité des cas, les fonds activistes veillent à ne pas dépasser la réglementation en vigueur. En effet, ceux-ci « ne constituent le plus souvent que l’exercice des prérogatives légales dévolues à tout actionnaire ». Le but de l’AMF n’est donc évidemment pas de sanctionner l’activisme actionnarial dans son ensemble, mais seulement les abus qui peuvent en découler, et surtout de favoriser les rapports entre la gouvernance des entreprises et leurs actionnaires.
La transparence est l’un des critères les plus importants, selon l’autorité, plusieurs modifications ont été opérées en ce sens. Au sein de son « guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée », elle recommande notamment « aux émetteurs d’instaurer un dialogue entre le conseil et les actionnaires […] sur les principaux sujets d’attention des actionnaires, notamment les questions relatives à la stratégie et à la performance en matière sociale, environnementale et de gouvernance (ESG) ».