La distinction sûreté personnelle / sûreté réelle : une summa divisio souffrante en mal de cohérence

31 mai 2023

La distinction sûreté personnelle _ sûreté réelle _ une summa divisio souffrante en mal de cohérence

M.Cabrillac, S.Cabrilac Ch.Mouly et Ph.Pétel dans leur ouvrage Droit des sûretés évoquaient à propos de la notion de sûreté que « l’emploi fréquent du pluriel est significatif de l’impossibilité de réunir dans un concept unique, parce qu’elles sont reposent sur des techniques très éloignées, les sûretés personnelles et les sûretés réelles ».

La dernière réforme n’a pas vaincu cette difficulté, les nouveaux textes n’offrant pas de définition générale contrairement à l’Avant-projet Capitant. Ce projet proposait de définir la sûreté en son article 2286 comme : « la sûreté garantit l’exécution d’une ou plusieurs obligations, présentes ou futures ». Toutefois, des débats sont apparus sur cette proposition de définition qui n’a pas véritablement convaincu. Comme le souligne la citation, il n’est donc pas possible d’offrir une définition générale de la sûreté au vue des spécificités de chacune des sûretés.

L’intérêt de la distinction entre sûreté personnelle et sûreté réelle

Comme l’affirmait Léon Duguit en 1927 dans son Traité de droit constitutionnel, « dans les sociétés modernes, le domaine du droit est devenu tellement étendu qu’il est nécessaire d’y faire des divisions. C’est la condition indispensable pour étudier avec ordre et méthode les nombreuses règles du droit moderne ». C’est ainsi que les codificateurs du Code civil ont opéré une distinction binaire entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles.

Peu importe l’origine de sa créance ou la date de celle-ci, un créancier aura vocation à se faire payer sur tous les éléments d’actif, c’est-à-dire grâce au droit de gage général. Cependant, ce droit de gage général place chacun des créanciers d’une même personne dans une position d’égalité. Toutefois, si la valeur de l’actif disponible est inférieur au montant du passif, chacun de ceux qui réclament leur paiement ne sera réglé que dans la proportion actif-passif. C’est ce qu’on appelle la loi du concours, consacrée à l’article 2285 du Code civil. Le risque, c’est la situation d’insolvabilité qui constitue une épée de Damoclès suspendue sur la tête du créancier chirographaire.

Pour pallier cette difficulté, les sûretés ajoutent aux créances une sécurité. On a souhaité à travers ces dernières réduire les risques d’un défaut de paiement en donnant au créancier une action prioritaire (sûreté réelle) ou supplémentaire (sûreté personnelle) sur les biens du débiteur ou d’un tiers.

Cela nous amène à nous demander si la frontière est-elle franche entre ces deux types de sûretés ? Cette summa divisio permet-elle toujours d’appréhender de façon claire la diversité des sûretés existantes ?

Le cautionnement réel

Le cautionnement réel amène à démontrer qu’il existe une certaine diversité dans les sûretés mais également diverses controverses.

Les établissements de crédit n’ont pas hésité une seule seconde à associer une sûreté réelle à une sûreté personnelle. Ceci a été qualifié par la doctrine de « cautionnement réel ». Toutefois, nous pouvons nous demander si cette qualification ne serait pas trop extensive puisque cela recouvre des combinaisons bien différentes ; ce qui pourrait porter à confusion.

La Chambre mixte dans un arrêt du 2 décembre 2005 (pourvoi n°03-18.210) a refusé de qualifier de sûreté réelle la convention par laquelle on garantit la dette d’autrui en donnant un droit sur un bien. Elle énonçait à ce sujet qu’« une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’implique aucun engagement à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’est pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas ». Elle n’implique pas d’engagement personnel de la part du constituant. Le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Le cautionnement réel serait donc mal nommé.

Ainsi, en théorie cette qualification de sûreté réelle emportait exclusion de l’application des règles du cautionnement en dépit de la position particulière du constituant qui est un garant donc un tiers étranger à la dette garantie.

L’enjeu de cette qualification de cautionnement réel visait à permettre l’application des règles protectrices du cautionnement.

Par l’ordonnance du 15 septembre 2021, le législateur n’a pas remis en cause cette qualification moniste car l’article 2325 du Code civil dispose que « la sûreté réelle conventionnelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers ». Néanmoins, le législateur tranche sans trancher le 15 septembre 2021 puisque si le terme de cautionnement réel n’est pas consacré, force est de constater que le second alinéa de l’article 2325 du Code civil (inscrit dans la partie du code relative aux dispositions sur les sûretés réelles) dispose que « lorsque la sûreté réelle est consentie par un tiers, les dispositions relatives à la protection de la caution sont applicables ». On a pas voulu consacrer explicitement la figure de cautionnement réel mais on a essayé de concilier les intérêts politiques. Le texte a donc doté la sûreté réelle pour autrui d’un régime dualiste afin de permettre au garant de bénéficier, par renvoi, de certaines dispositions protégeant la caution. Les dispositions concernant le cautionnement s’appliquant à la sûreté réelle pour autrui sont les suivantes : le devoir de mise en garde (article 2299 du Code civil), les obligations d’informations (articles 2302 à 2304), le bénéfice de discussion (article 2305), le régime des recours contre le débiteur et les codébiteurs ou co-fidéjusseurs (articles 2308 à 2312) et le bénéfice de subrogation (article 2314).

On peut donc se demander, si finalement, la distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles est- elle toujours franche? puisque si l’on regarde le régime applicable au cautionnement réel on se rend compte que des distinctions s’imposent selon les différentes combinaisons désignées par la dénomination de la doctrine de ce genre de sûreté pour autrui.

Le docteur Pierre Crocq considère que le cautionnement réel serait « situé au carrefour du droit des obligations et du droit des biens, et plus précisément dans une zone frontière qui chevauche le droit du cautionnement et le droit des sûretés réelles, le cautionnement réel vise à l’affectation de la valeur d’un bien à la garantie de la dette d’un tiers ». Ce contrat ne serait selon lui ni entièrement un cautionnement, ni simplement une sûreté réelle mais un contrat hybride.

Plus récemment, dans un arrêt du 15 mars 2023 (pourvoi n°21-19.669), était en cause une affectation hypothécaire qui avait été qualifiée de « cautionnement hypothecaire ». On se questionnait de savoir si l’action en annulation du cautionnement hypothécaire était-elle soumise à une prescription trentenaire car portant sur une sûreté réelle, ou à une prescription quinquennale? La Cour de cassation finit par trancher en indiquant que : «  l’action en annulation d’une sûreté réelle immobilière garantissant la dette d’un tiers est une action personnelle soumise. à la prescription quinquennale de droit commun ». Ainsi, l’hybridité du cautionnement réel n’a pas fini de faire débat.

L’incompréhension de la nature et du régime juridique de la sûreté réelle pour autrui est un des premiers symptômes de cette summa divisio en mal de cohérence. La summa divisio toujours en vigueur obscurcit donc la compréhension des sûretés.

Ainsi, comme on a pu le constater dans ce développement, il est possible de prévoir des sûretés hybrides, ou d’avoir recours à des mécanismes qui excluent la summa divisio traditionnelle. Pour ce faire, le droit des sûretés a connu une certaine extension.

L’apparition de «sûretés modernes»

Au fil du temps, le droit des sûretés a fait l’objet d’une évolution importante. On a pu voir apparaître de nouveaux mécanismes protecteurs sécurisant les opérations économiques entre le créancier et son débiteur. Toutefois, ces nouvelles garanties ne peuvent ni être qualifiées de sûretés personnelles, ni de sûretés réelles.

La notion de sûreté est tout à la fois facile à appréhender, il s’agit d’offrir à un créancier une sécurité accrue, une chance supplémentaire de paiement ; que difficile à définir. En effet, le droit cambiaire confère des garanties particulières qui ne sont traditionnellement pas classées parmi les sûretés ; le droit de rétention est-il une sûreté réelle ou une situation de fait confortée ? Le crédit-bail constitue-t-il une sûreté en plus d’être une opération de financement ? Bien d’autres questionnements reçoivent des solutions diverses faute de critère clair de qualification.

La classification des sûretés entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles offre simplement un guide dans les cas les plus tangents. Aller au-delà relève de l’exercice de style mais cela peut paraître dangereux puisque ça jetterait une confusion entre les notions distinctes de sûreté réelle et de sûreté personnelle, qui sont elles-mêmes bien malaisées à cerner. Cela explique pourquoi le classement des diverses sûretés et les exclusions du domaine des sûretés seront effectués au sein de chacune des deux grandes catégories.

Au sein même des catégories de sûretés, sont apparues de nouvelles classifications et ont été confirmées par la réforme opérée par l’ordonnance du 23 mars 2006. Les sûretés réelles en principe classifiées en fonction de la summa divisio des biens, c’est à dire en fonction de s’il s’agit d’un meuble ou d’un immeuble, voient apparaître une nouvelle classification. Cette opposition, qui peut sembler évidente, est battue en brèche par l’apparition d’une nouvelle catégorie de sûretés réelles, mise en évidence par la réforme de 2006 et renforcée par l’ordonnance n°2009-112 du 30 janvier 2009, celle des sûretés reposant sur un droit exclusif, autrement dit, les propriétés-sûretés.

L’avènement des propriétés-garanties a totalement modifié la classification des sûretés en réelles en distinguant les sûretés réelles conférant un simple droit de préférence et les sûretés réelles offrant un droit de propriété à titre de garantie. On a donc les sûretés « classiques » et les sûretés « modernes ». L’avantage de la propriété c’est son exclusivité pour le créancier, il n’est plus en concours avec les autres créanciers du bien. Avec la sûreté moderne, on fait carrément sortir la propriété du patrimoine du débiteur.

C’est ainsi que la réforme de 2006 a consacré dans le Code civil, la clause de réserve de propriété, la fiducie et le droit de rétention.

Cette nouvelle catégorie invite à une réflexion sur la classification des sûretés réelles : la classification légale opposant les sûretés mobilières aux sûretés immobilières semble désormais condamnée.

La summa divisio des sûretés personnelles et des sûretés réelles ne permet plus une lecture claire et lisible du droit applicable. Il serait sûrement préférable d’opter pour le choix d’une distinction entre sûretés pour autrui et sûretés pour soi. Lorsqu’une personne s’engage à garantir le recouvrement de la dette d’autrui, cela implique une absence de contrepartie directe à l’engagement alors que le constituant lui bénéficie de l’opération garantie. Le garant lui ne poursuit son obligation que dans un intérêt altruiste ou patrimonial.

De plus, la distinction entre sûreté personnelle et sûreté réelle conditionne le régime juridique de la sûreté tout au long de sa vie.

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