Comment le décret du 7 mars 2023 entend-il moderniser le régime de l’enveloppe soleau ?

11 mai 2023

Enveloppe soleau

À l’ère du numérique, de plus en plus de procédures juridiques tendent à basculer au format électronique.

En témoigne par exemple la démarche de modernisation de la carte nationale d’identité entreprise depuis quelques années, le format de cette dernière datant de 1995. Dans ce cadre, il a été décidé de réduire son format et de renforcer la sécurité contre l’usurpation d’identité en y intégrant des nanotechnologies et une puce gravée garantissant une protection optimale des données. 

Introduction historique sur le régime de l’enveloppe soleau

Dès 1998, Pierre CATALA affirmait « l’informatique et le droit se mêlent chaque jour davantage dans des canaux communs. La première paraît désormais vouée à susciter de nouvelles règles dans toutes les branches du second » (Le droit à l’épreuve du numérique, 1998). 

Seulement une vingtaine d’années plus tard, Richard et Daniel SUSSKIND (The Future of the professions : How Technology will transform the work of Human experts, 2015, Exford University Press), énonçait en 2015 que l’évolution numérique mènerait inévitablement à une évolution des professions et procédures juridiques : « La technologie sera le principal vecteur de changement sur les professions juridiques. Et à long terme, nous n’aurons ni le besoin ni le souhait que les professionnels travaillent de la même manière qu’au XXème siècle ou auparavant ». Le professeur SUSSKIND avait d’ailleurs mis en évidence, dans son ouvrage « The End of Lawyers ? », les conséquences de l’informatique sur les avocats américains et envisager les éventuelles évolutions qui en résulteraient. 

Enfin, plus récemment, en 2020, Bertrand Cassar parlait dans sa thèse de « transformation numérique du monde du droit ».

C’est alors dans ce prolongement que le décret N°2023-166 du 7 mars 2023, entré en vigueur le 1er avril 2023, est intervenu afin de moderniser le régime de l’enveloppe Soleau. Pour ce faire, le décret rend obligatoire la «numérisation des enveloppes destinées à faciliter la preuve du contenu et la datation certaine des demandes annexes à la propriété industrielle».

Rappel de la définition de l’enveloppe Soleau

Crée en 1910 par Eugène Soleau, afin de faciliter la preuve du contenu et la datation d’une invention en matière de propriété industrielle, elle permet d’identifier précisément l’auteur d’une création dans l’hypothèse de survenance d’un litige et ainsi d’en certifier l’antériorité. En effet, avant la création de l’enveloppe Soleau, les inventeurs rencontraient souvent d’importantes difficultés à prouver la date d’invention ou encore leur antériorité, créant ainsi de nombreux litiges. 

L’enveloppe Soleau permet en outre d’éviter aux inventeurs de déposer une demande de brevet et de réduire les coûts, tout en assurant la protection de leurs créations avant que celles-ci ne soient rendues publiques. Sa spécificité réside dans la preuve de l’antériorité de l’invention, cette dernière étant garantie par les divers documents apportés dans l’enveloppe Soleau (description précise et détaillée, schéma, spécificité, plans et croquis).

L’enveloppe Soleau permet ainsi, comme l’avait souligné le MEDEF, dans un guide pratique publié en 2017 : 

  • De dater de façon certaine la détention de l’information figurant dans l’enveloppe ;
  • D’identifier le déposant comment étant détenteur de l’information ; 
  • En cas de différend, de procéder à son ouverture afin de prouver l’antériorité de sa détention par le déposant. 

Toutefois, contrairement aux brevets ou à d’autres titres de propriété, l’enveloppe Soleau ne confère pas de droit exclusif à l’inventeur lui permettant d’empêcher tout tiers de copier son invention. Il s’agit seulement d’un moyen temporaire de protection. En effet, une fois fermée et cachetée, l’enveloppe Soleau est conservée par l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) pour une durée de 5 ans.

            Toutefois, si l’enveloppe Soleau présente de nombreux avantages, ce dispositif datant de plus d’un siècle, apparaissait dépassé. Au regard de l’essor numérique, opérée y compris au sein de l’INPI, et de la dématérialisation de plus en plus de procédures, la procédure de l’enveloppe Soleau devait évoluer.

Cette dernière faisait effectivement l’objet de certains écueils, notamment le fait que le format papier rendait difficile son accès pour les inventeurs étrangers ou encore la lenteur du traitement de ces enveloppes menant parfois au retardement de la protection de l’inventeur. L’enveloppe perdait ainsi son avantage de simplification administrative.

Ainsi, bien qu’existant initialement uniquement au format papier puis possiblement au format numérique depuis le 15 décembre 2016, certains auteurs, suivis par le décret du 7 mars 2023, ont souhaité aller encore plus loin en rendant obligatoire la dématérialisation de la procédure

Les premières avancées opérées dès 2016

Divers auteurs, tels que VIVANT et AZÉMA, se sont alors efforcés de souligner la nécessité de moderniser ladite enveloppe afin de s‘adapter aux réalités du quotidien. Le MEDEF avait également publié dès 2017 un rapport appelant à moderniser l’enveloppe Soleau, suivi par le Conseil de la propriété intellectuelle dans un avis du 23 janvier 2019 préconisant d’opérer une modernisation approfondie de l’enveloppe Soleau.

C’est ensuite la loi pacte du 22 mai 2019 qui a institué « le certificat d’utilité », apparaissant pour certains comme une alternative à l’enveloppe Soleau, et permettant de protéger toutes les inventions qui ne satisferaient pas aux critères d’innovations suffisants pour obtenir un brevet mais qui présentent tout de même un intérêt pour l’inventeur. 

Toutefois, la modernisation de l’enveloppe Soleau demeurait insuffisante et de nombreux spécialistes ont réclamé la prise de mesures effectives. C’est dans ce prolongement qu’est intervenu le décret n°2023-166 en date du 7 mars 2023.

Le décret du 7 mars 2023, rendant obligatoirement numérique le dépôt des enveloppes Soleau

Entré en vigueur le 1er avril 2023, ce décret s’est inscrit dans la volonté de « mieux refléter la pratique des utilisateurs et dans la continuité de la dématérialisation au sein de l’INPI ». Modifiant plusieurs articles du code de la propriété intellectuelle, il constitue le premier d’une série d’actes règlementaires visant à « transformer définitivement l’enveloppe Soleau en un outil probatoire entièrement dématérialisé ».

Ce décret entend ainsi mettre fin à l’enveloppe Soleau papier, rendant la procédure entièrement numérique via le service « e-Soleau », en vue de faciliter les démarches relatives à la propriété intellectuelle notamment pour les inventeurs étrangers et de s’adapter à l’ère numérique y compris au sein de l’INPI.

Ce dépôt au format numérique, rendu désormais obligatoire, est cependant encadré par diverses exigences. Le Directeur Général de l’INPI avait en effet précisé, dès une décision en date du 20 mars 2023, que : 

  • Les utilisateurs de l’espace E-procédures doivent disposer d’un accès internet avec fil ou sans fil sécurisé 
  • Disposer d’un équipement permettant le transfert de fichiers « témoins » et l’utilisation de certificats électroniques générés dans le cadre d’une infrastructure à la clé publique 
  • Et doivent transmettre les pièces nécessaires sous forme de fichiers informatiques dans des formats conformes aux spécifications techniques du services e-Soleau, et dans le respect de la taille maximale.

Le texte prévoit toutefois une période transitoire d’une durée d’un an afin de faire parvenir à l’INPI toutes les enveloppes soleau en format papier encore en circulation. L’art 7 dispose alors « Le présent décret entre en vigueur le 1er avril 2023.Toutefois, les dessins, modèles ou représentations graphiques qui se trouvent dans une enveloppe double spéciale mise à disposition par l’Institut national de la propriété industrielle avant le 1er avril 2023 et transmise à celui-ci au plus tard le 1er avril 2024 demeurent régis par les dispositions réglementaires applicables avant l’entrée en vigueur du présent décret. ». Ainsi, si les enveloppes Soleau en format papier ne sont désormais plus disponibles en vente depuis le 1er avril 2023, ceux qui en auraient déjà acheté disposent d’un délai de transition pour les faire parvenir à l’INPI avant le 1er avril 2024.  

Ainsi, on constate le passage de plus en plus fréquent à des procédures juridiques dématérialisées, opérant dans le même temps une tendance à l’abandon du format papier. Il convient alors de se demander : qu’en est-il du papier aujourd’hui, est-ce finalement encore d’actualité ? Ou les formats papiers sont-ils voués à disparaître définitivement ? Une solution qui, bien que favorable à un environnement plus durable, n’est pas sans controverse de la part de ceux qui restent fortement attachés au papier traditionnel.

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