Dans le monde des affaires, le cautionnement est l’une des mesures de sûreté la plus utilisée. Elle permet de garantir au créancier le paiement de la dette comme le dispose l’article 2288 du code civil. En effet, une personne dite « caution » se porte garante de l’exécution de la créance en cas d’insolvabilité du débiteur principal.
Les enjeux juridiques du cautionnement
Le principal attribut du cautionnement est son caractère accessoire, il est « l’essence même du cautionnement » (J. François). Effectivement, l’objet de l’obligation de la caution est calqué sur l’objet du débiteur principal. Toutefois, il y a une limite au caractère accessoire du cautionnement : l’opposabilité des exceptions purement personnelles.
En effet, afin de s’en défaire, certaines cautions n’hésitent pas à se prévaloir des exceptions que le débiteur oppose au créancier afin de résister au paiement envers son créancier.
Mais qu’en est-il de cette opposabilité depuis la réforme du droit des sûretés du 15 septembre 2021 ?
Un arrêt a été rendu par la Cour de cassation le 20 avril 2022 n°20-22866 sur l’opposabilité de la prescription biennale étant en temps normal, une exception purement personnelle, au créancier par la caution.
Cet arrêt « vertigineux » procède à un revirement de jurisprudence et une application anticipée de l’ordonnance du 15 septembre 2021, ce qui a suscité de vives critiques et débats.
Introduction sur l’arrêt de la 1ère chambre civile du 20 avril 2022 n°20-22866
Le 22 novembre 2007, un prêt a été consenti à M. et Mme L -étant emprunteur- par la société Crédit immobilier de France Centre Ouest -aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque). Ce prêt immobilier est garanti par le cautionnement de la société CNP caution.
La banque a assigné les emprunteurs et la caution en paiement des sommes restant dues au titre du prêt. Dans son arrêt en date du 1er octobre 2020, la cour d’appel a rejeté sa demande à l’encontre des emprunteurs et à l’encontre de la caution estimant que la prescription biennale dont les emprunteurs se sont prévalus profitait à la caution, que la dette était éteinte.
La banque se pourvoit en cassation, faisant grief à l’arrêt de rejeter sa demande en paiement formée contre la caution et d’ordonner à ses frais la mainlevée de l’inscription d’hypothèque judiciaire provisoire. Cette dernière soutient l’inopposabilité de la prescription biennale par la caution envers le créancier puisqu’étant une exception purement personnelle violant ainsi l’article 2313 du Code civil (dans sa rédaction antérieure) et l’article L.218-2 du Code de la consommation.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation répond à la question suivante, la caution peut-elle invoquer l’opposabilité de la prescription biennale, posée par l’article L.218-2 du Code de la consommation comme étant une exception purement personnelle appartenant au débiteur, à l’encontre du créancier ?
La Cour de cassation répond en rejetant le pourvoi principal formé par la banque. En effet, cette dernière affirme le raisonnement de la cour d’appel en soutenant que la prescription biennale de l’article L.218-2 du Code de la consommation appartenant au débiteur s’agit dorénavant d’une exception inhérente à la dette dont la caution peut s’en prévaloir conformément aux dispositions de l’article 2298 du Code civil, dans sa rédaction actuelle.
Les méfaits de l’inopposabilité de la prescription biennale : exception purement personnelle au créancier
La Cour de cassation ne réfute pas la qualification de la prescription biennale comme étant une exception purement personnelle, au contraire, elle rappelle et affirme sa qualification.
Cette dernière évoque dans un premier temps, les méfaits à l’égard du débiteur principal, en ce que l’inopposabilité de la prescription biennale l’expose au recours personnel de la caution. Il doit paiement à la caution qui exercera le recours personnel comme le dispose l’article 2305 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 15 septembre 2021 , devenu l’article 2308 du Code civil depuis cette réforme. Or, cela le prive du bénéfice de la prescription biennale qui bloque tout acte en paiement de la part du créancier. L’argument dont se prévoyait la Cour de cassation pour rejeter le pourvoi est le fait que cette inopposabilité de la prescription biennale faisait du débiteur principal le « contre-garant » de la caution, ce qui n’est point profitable pour celui-ci.
Cet argument semble critiquable, le recours personnel est un droit qui appartient à la caution, qui ne peut être enlevé, il est rattaché à son engagement. De plus, le débiteur principal s’est engagé en ayant connaissance qu’il va devoir payer la caution bien qu’il y ait des exceptions qui lui sont applicables, il est donc incorrect juridiquement de sous-entendre que le débiteur devient une sorte de contre-garant à la caution, ainsi que l’argument de l’exposition du débiteur principal au recours personnel : il est logique qu’il soit exposé à cela bien qu’il y ait opposabilité de la prescription biennale.
Pour finir, la Cour de cassation soutient que cette inopposabilité conduit à traiter de façon plus sévère les cautions conclues avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée. Cette dernière souhaite donc « mettre au même pied d’égalité » les cautions peu importe la date de conclusion des cautionnements afin d’éviter à la caution de payer une dette éteinte et que le débiteur puisse jouir de la prescription biennale.
Or, cela reste critiquable puisque cet agissement remet en cause les règles relatives aux conflits de loi dans le temps qui préservent la sécurité juridique et permettent la survie de la loi ancienne. Le non-respect de cette dernière n’était possible qu’en cas de motif impérieux, cela nous conduit à nous demander quel est ce motif impérieux en l’occurrence ? La Cour de cassation effectue donc une application anticipée de l’ordonnance du 15 septembre 2021 « contra legem » qui contredit les propres dispositions de l’ordonnance, plus précisément l’article 37 I qui dispose que cette dernière entre en vigueur le 1er janvier 2022.
Il est donc anticipé et « contra legem » d’appliquer les dispositions de cette présente à un cautionnement conclu avant son entrée en vigueur, en l’espèce, le prêt suivi du cautionnement a été conclu le 22 novembre 2007.
La tentative de renforcement du caractère accessoire du cautionnement par les juges
La Cour de cassation tente de renforcer le caractère accessoire du cautionnement en réduisant le champ des exceptions purement personnelles afin de lutter contre la différence de traitement et la sévérité de traitement auxquelles sont soumises les cautions.
Nous comprenons que ces exceptions, qui sont purement personnelles de base, sont « converties » en exceptions inhérentes à la dette de sorte qu’elles soient opposables au créancier par la caution. Cet agissement a pour effet de réduire le champ des exceptions purement personnelles de sorte qu’en cas de dol, de vice de consentement, la caution peut s’en prévaloir à l’égard du créancier. Il n’y a donc plus de distinction à faire entre une exception purement personnelle ou inhérente à la dette comme le dispose l’article 2298 du Code civil.
Ceci participe au renforcement du caractère accessoire du cautionnement. Il constitue une particularité inhérente à l’engagement apporté par la caution permettant même de le distinguer des autres garanties personnelles. Cette accession se traduit et doit se traduire également par l’opposabilité des exceptions. Ainsi, si la plupart des exceptions ne sont pas opposables par la caution cela porte atteinte le caractère accessoire du cautionnement. Cet arrêt vient donc tenter de remettre le caractère accessoire sur la bonne trajectoire.
Il persiste tout de même des exceptions ne pouvant pas profiter à la caution comme le dispose l’article 2298 en son alinéa 2, comme le délai de grâce, l’incapacité etc…La logique d’accession s’arrête pour le droit de poursuite. On comprend que la théorie dualiste persiste tout de même, cela reste qu’une tentative de renforcement apportant néanmoins des améliorations.