Vers une généralisation de l’accident de télétravail ?
Vers une généralisation de l'accident de télétravail ?

Classiquement, le télétravail se définit comme l’exercice d’une activité professionnelle à distance, faisant usage d’outils de télécommunication. Cette pratique s’est significativement répandue en France durant la pandémie, mais elle suscite désormais de multiples interrogations, accompagnées d’émergences jurisprudentielles visant à clarifier ses contours.

I- L’accident de télétravail, une forme d’accident légalement prévue.

Conformément au dernier alinéa de l’article L. 1222-9 du code du travail, “L‘accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravail leur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale“.

En effet, cette disposition légale, modifiée par la loi n° 2023-622 du 19 juillet 2023, encadre les modalités relatives au télétravail.

De ce fait, que l’accident survienne dans les locaux de l’entreprise ou au domicile du salarié, les démarches à suivre demeures inchangées.

  • Quant au salarié :

Il est impératif pour le salarié de faire constater ses blessures par un médecin, et de transmettre un certificat médical à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM).

Un délai de 24 heures lui est accordé pour informer (ou faire informer) son employeur de l’accident, sauf en cas de force majeure ou d’impossibilité absolue.

  • Quant à l’employeur :

Il incombe à l’entreprise de remplir une déclaration et de l’adresser à la CPAM dans les 48 heures suivant l’incident.

En cas d’arrêt de travail consécutif à l’accident, l’employeur est également tenu de fournir à la CPAM une attestation permettant de calculer les indemnités journalières auquel le salarié a droit.

Quid de la contestation de l’accident par l’employeur ?

Bien que l’employeur soit légalement tenu de déclarer tout incident survenu pendant les heures et sur le lieu de travail comme un accident du travail, il conserve le droit de contester cette qualification. Pour ce faire, il doit être en mesure de fournir des preuves tangibles démontrant que l’accident n’est pas lié à l’activité professionnelle.

En cas de désaccord, il reviendra au salarié de démontrer le lien entre son accident et son travail, à défaut de quoi l’incident ne sera pas reconnu comme un accident du travail.

Malgré les droits consacrés par la législation, les juridictions applique ses dispositions avec rigueur.

II- Une application stricte en pratique.

Un salarié en télétravail qui chute dans son escalier, se blesse dans sa cuisine ou dans un espace de coworking… Tous ces incidents peuvent être assimilés à un accident de travail. Pour autant, la jurisprudence adopte une approche très rigoureuse en ce qui concerne la reconnaissance des accidents liés au télétravail.

Dès lors, afin de faciliter son appréciation, il est essentiel pour les employeurs et les salariés de définir clairement les modalités du télétravail, en passant par les horaires de travail, limite de l’espace dédié au travail, ainsi que les procédures à suivre en cas d’accident.

Ainsi, deux critères doivent être satisfaits :

-L’évènement doit être survenu par le fait ou à l’occasion du travail, que ce soit sur le lieu de travail (dans ce cas, le lieu de télétravail) et sur les horaires de travail.

-Il doit exister un lien entre l’accident et les fonctions du salarié, ce qui signifie que l’accident doit résulter de l’exercice de ses responsabilités professionnelles.

Diverses décisions récentes ont rejeté la qualification d’accident de travail dans des situations variées liées au télétravail.

Récemment, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion (4 mai 2023, n° 22/00884) a invalidé un accident survenu durant une session de télétravail impliquant un employé qui s’était aventuré sur la voie publique, entraînant ainsi une interruption de sa mission pour des raisons personnelles. Cette juridiction a conclu que les évènements déclarés ne relevaient pas d’un fait de service, et étaient distincts de celui-ci.

De même, la cour d’appel d’Amiens (15 juin 2023, n°22/00474) a souligné qu’une chute accidentelle survenue alors qu’une employée venait de terminer sa journée de travail à une minute près ne pouvait être considérée comme un accident de travail. Dans cette affaire, l’utilisation d’une pointeuse a permis d’établir clairement la séparation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle de la salariée.

Plus récemment encore, le tribunal administratif de Paris (9 novembre 2023, n° 2124405) a refusé de qualifier d’accident de travail une fracture des orteils survenue lors de l’utilisation d’une planche à repasser. Bien que cette incident se soit produit pendant les heures de service de la plaignante, les circonstances ne pouvaient être interprétées comme relevant du cadre normal de l’exercice de ses fonctions professionnelles.

Ces arrêts nous permettent de définir les contours de la qualification d’accident du travail dans le contexte du télétravail, en soulignant que l’appréciation des conditions de reconnaissance professionnelle de ces accidents relève d’une analyse rigoureuse de la part des instances compétentes.

Ces observations mettent en évidence les défis pratiques liés à l’application de l’article L. 1222–9 du code du travail, notamment en raison de la difficulté à établir les circonstances entourant un accident de travail à distance.

En somme, cette situation demeure relativement rare dans la jurisprudence actuelle. Bien que les tribunaux adoptent pour le moment une approche stricte en matière de reconnaissance, il est envisageable que ce type d’incident devienne plus courant dans les années à venir.

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