Quelle valeur juridique ont les brouillons professionnels et peuvent-ils être consultables par les personnes concernées ?

3 novembre 2022

Quelle valeur juridique ont les brouillons professionnels et peuvent-ils être consultables par les personnes concernées

Un brouillon est un document de travail écrit ou dessiné, destiné à être annoté pour améliorer et approfondir un document écrit, améliorer l’expression écrite ou un dessin[1].

Mais le brouillon constitue également un véritable support de réflexion et de recherche. Ainsi, il peut être caractérisé comme des pense-bêtes, des annotations personnelles, des pistes et hypothèses de travail…

En d’autres termes, le brouillon n’est et ne sera jamais la version finale du document de travail. Il ne constitue qu’une ébauche, une base. L’intérêt du brouillon n’est donc pas permanent.

Dans le cadre d’une activité professionnelle sociale et médico-sociale, plusieurs professions comme les éducateurs, les professionnels de santé ou encore les psychologues sont amenés à rendre des écrits professionnels. Ces derniers peuvent faire l’objet d’un brouillon, par exemple lors du début de réflexion, lors des premiers entretiens etc. Néanmoins, « Seul le document finalisé est intégré au dossier »[2]. Il est à ce titre recommandé de détruire les brouillons ou notes[3].

Par ailleurs, cette pratique de destruction semble tout de même pouvoir se confronter à quelques principes juridiques. En effet, d’une part le droit à l’information du patient posé par la loi du 4 mars 2002[4] mais aussi à plus grande échelle, le droit d’accès aux données personnelles par la personne concernée imposé par le RGPD[5].

Quelles valeurs ont les brouillons professionnels et peuvent-ils être consultables par les personnes concernées ?

Le droit à l’information du patient

La loi de 2002 impose le fait pour chaque patient d’être informé sur son état de santé (qu’elle soit psychique ou physique), elle précise « Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention… »[1]. Même si le terme « brouillon » n’est pas explicitement exprimé, les différentes investigations sous-entendent les recherches, et celles-ci peuvent être elles-mêmes constituées de brouillons.

Néanmoins, si les brouillons médicaux peuvent être entendus comme une information de santé concernant le patient, ils ne font pas partie intégrante du dossier du patient car ils ne sont pas finalisés, ainsi peut-on considéré qu’ils ont une réelle valeur au sens médical et/ou paramédical ? Les brouillons peuvent-ils être considérés comme une information essentielle au dossier ?

Il convient de distinguer les documents brouillons avec les documents officiels. Les annotations personnelles ainsi que les brouillons sont d’abord pour le praticien. Ils ne peuvent concrètement pas constituer un dossier de fonds. Les brouillons peuvent contenir des remarques subjectives, des idées propres, des pistes de travail qui permettent au professionnel de mener au mieux son travail et sa réflexion.

En ce sens, s’ils ne font pas partie intégrante du dossier, ils ne sont pas soumis au principe d’information du patient. A l’inverse, les brouillons ne doivent donc pas contenir des éléments essentiels sur la santé du patient pour ne pas déroger au principe imposé par la loi, auquel cas ces éléments doivent être repris dans le dossier du patient. Autrement dit, les brouillons ne doivent être essentiels pour informer de façon claire et intelligible des objectifs, des modalités d’intervention, vis-à-vis du patient.

Si la limitation à ce principe n’est pas explicitée de manière claire pour les brouillons, une autre base légale permet à ce type de document de ne pas forcément être dévoilé dans l’intérêt du patient.

Limitations aux droits des personnes concernées (RGPD)

Tout comme le code de la Santé publique, le Règlement Européen sur la Protection des Données n’hésite pas à imposer également des principes en faveur des personnes concernées par le traitement des données personnelles, notamment le droit d’accès aux données personnelles (article 13 et 15 du RGPD).

Les professionnels du secteur social et médico-social sont soumis au RGPD car ils traitent des données à caractère personnelles dîtes « sensibles ». Ainsi, au même titre que la loi, ils sont tenus d’un devoir d’information de la personne concernée.

Cependant, le Règlement européen, pose des limitations quant aux droits des personnes concernées en son article 23.

« Le droit de l’Union ou le droit de l’État membre auquel le responsable du traitement ou le sous-traitant est soumis peuvent, par la voie de mesures législatives, limiter la portée des obligations et des droits prévus aux articles 12 à 22 et à l’article 34… Lorsqu’une telle limitation respecte l’essence des libertés et droits fondamentaux et qu’elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir : … i) la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui ; … ».

Il est donc possible de ne pas divulguer les annotations personnelles et/ou brouillons produits par les professionnels afin de respecter la protection de la personne concernée en se fondant sur cet article.

En conclusion, ce type de document n’est soumis explicitement à aucune obligation, sa valeur n’est pas moindre. Il semble important de souligner que même si ces écrits ne font pas partie intégrante du dossier et peuvent ne pas être divulgués au patient, il n’en est pas moins que ceux-ci peuvent être consultés dans le cadre d’une procédure judiciaire.


[1] Article L1111-2 du Code de la santé publique

[1] Estanislao Sofia, « QU’EST-CE QU’UN BROUILLON EN SCIENCES DU LANGAGE? Notes préalables à une édition numérique des manuscrits de F. de Saussure » Annick Desandere et Sandrine Leclercq, « Comment accompagner l’écriture ? Gérer le brouillon ? »

[2] Guide pour les établissements sociaux et médico-sociaux, « Le dossier de la personne accueillie ou accompagnée ­| Recommandations aux professionnels pour améliorer la qualité », p20.

[3] Ibid.

[4] Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

[5] Article 15 du Règlement Européen sur la Protection des Données

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