Après Sydney, le Congo ou la Lune, c’est désormais devant le tribunal judiciaire de Rennes que se poursuivent les aventures de Tintin. Après Peppone en juin dernier, l’intarissable maison d’édition Moulinsard assigne un nouvel artiste, Xavier Marabout pour contrefaçon. La houpette et les yeux ronds du jeune reporter sont-ils la propriété exclusive de la société Moulinsart ? Tintin sur une toile érotique : exception de parodie ou contrefaçon ?
I. Tintin voyage dans l’univers d’Hopper
Mille milliards de mille sabords ! mais que ce passe t-il au pays de Tintin ? La maison d’édition Moulinsart, la société qui gère les droits de notre ami belge Tintin et de l’oeuvre de Hergé, a assigné un artiste français, Xavier Marabout, pour avoir immergé Tintin dans une série de 21 peintures dans les décors des tableaux de l’américain Edward Hopper.
Dans les 21 toiles de l’artiste français Tintin est toujours en charmante compagnie. Par exemple dans le tableau intitulé « Nighthawks » d’Edward Hopper, dans une rue de ville américaine, un bar tout en vitres au travers desquelles on peut apercevoir un barman, deux hommes en chapeau mou et une femme à l’air fatigué. Dans ce décor Xavier Marabout a intégré Tintin au bar. Le célèbre journaliste belge y aide une pulpeuse blonde à défaire son manteau. Ce genre de scène est la principale trame dans les 21 toiles. L’artiste a imaginé ce décalage de par la solitude à la fois de Tintin, toujours seul sentimentalement, et à la fois de Hopper, qui exprime toujours une certaine solitude dans ses toiles.
Cette représentation est un sacrilège pour la société Moulinsart. En effet la maison d’édition demandait à Xavier Marabout d’arrêter de parodier Tintin et réclamait 15 000€ de dommages et intérêts. En outre, il dénigrait l’artiste auprès des galeries ayant pour ambition d’exposer les toiles litigieuses. Moulinsart est très scrupuleuse sur l’utilisation de son célèbre reporter. En effet tout ce qui touche à Tintin doit passer entre les mains de la société sous peine de poursuites judiciaires immédiates. Nick Rodwell, PDG délégué de la société, n’apprécie pas qu’on touche au mythe. L’homme d’affaires a une conception peu extensive de la liberté de l’artiste. En effet ce dernier à une réputation de cupide lorsqu’il est question de l’héritage de Hergé. Michel Serres, philosophe et ami d’Hergé disait que « Nick Rodwell s’oppose à la gloire posthume d’Hergé. Quelle sottise ! Pourquoi ne pas s’opposer à l’embouchure de la Meuse ? ».
En droit, l’auteur bénéficie sur son oeuvre d’un monopole d’exploitation (L123-1 du CPI). Hergé avait, à de multiples reprises, pu exprimer son refus de voir les oeuvres de Tintin se poursuivre par le fait d’autres que lui. Depuis son décès, et pour 70 ans, son ayant droit, la société Moulinsart bénéficie de ce monopole d’exploitation. Reproduire une oeuvre sans l’autorisation de cette société sera constitutif d’une contrefaçon. Toutefois, des dérogations existent. Elles permettent d’utiliser une oeuvre divulguée sans autorisation préalable de son auteur ou de ses ayants droits.
II. Tintin au pays de l’exception de parodie
Mise en lumière par le tribunal judiciaire de Rennes ce 10 mai dernier, elle existe depuis la nuit des temps : c’est l’exception de parodie. C’est la liberté d’expression qui justifie que soit paralysé, en face d’une parodie, le droit qu’à l’auteur de s’opposer à la reproduction de son oeuvre. Xavier Marabout vient mettre en échec l’action en contrefaçon mise en mouvement par la société Moulinsart.
Si elle est présente à l’article L122-5 4° du CPI, le législateur français ne la définit pas. C’est la Cour de justice de l’Union européenne qui est venue fixer les critères de cette dernière. Les juges français n’hésitent pas à s’approprier cette analyse, comme le démontre ce tintamarre judiciaire.
Le but poursuivi : entre critique et intention humoristique
Afin de se soustraire à la demande d’autorisation de modifier l’œuvre de l’auteur, le parodiste doit être animé par une intention humoristique. À ce titre, le tribunal judiciaire de Rennes a pu considérer que cet effet est « constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété suivie de la tristesse habituelle des oeuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine aux côtés de Tintin ». Par la pratique du mash-up l’artiste Xavier Marabout vient mélanger plusieurs univers dans ses toiles. Tintin, le petit reporter se retrouve ainsi dans des scènes décalées.
Le TJ de Rennes a pu retenir que les toiles de Xavier Marabout viennent citer l’oeuvre d’Hergé avec une véritable « intention humoristique » ainsi qu’un « but critique ». L’artiste a notamment mis en lumière la question suivante : l’absence des femmes dans les aventures de Tintin. Cette critique s’explique car Hergé expliquait trop aimer les femmes pour pouvoir les représenter.
L’absence de confusion : une nouvelle faute du célèbre journaliste
L’unique intention de faire rire ne suffit pas à légitimer la parodie. Aucune confusion n’est permise entre l’oeuvre originale et l’oeuvre parodique. La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’oeuvre originale. Ainsi, le public doit être en mesure de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une simple reproduction de l’œuvre originale, mais bien d’une imitation déformante de l’oeuvre originale.
Si le support de l’oeuvre diffère : bandes dessinées d’un côté, toiles de l’autre, la distanciation recherchée par Xavier Marabout est l’élément clef pour déterminer l’absence de confusion. Comme l’atteste le public, le peintre cherche à subvertir l’œuvre originale empreint d’une immense notoriété (près de 230 millions d’exemplaires vendus). Il fait vivre les personnages imaginaires des aventures de Tintin dans un univers différent, en y ajoutant notamment des femmes.
Ne pas porter une atteinte injustifiée aux intérêts légitimes de l’auteur
Il ne faut pas dans l’exercice de la parodie porte une atteinte injustifiée aux intérêts légitimes de l’auteur. Il est essentiel d’analyser la nécessité d’un juste équilibre entre les intérêts et les droits de l’auteur et la liberté d’expression. Xavier Marabout peut faire usage de cette liberté à la condition de ne pas porter atteinte à l’oeuvre originale d’Hergé. Aucun élément ne permet d’affirmer un avilissement de l’oeuvre originale. Les représentations de Tintin n’ont pas de caractère pornographique, elles sont uniquement suggestives du désir !
Dans cet exemplaire de Tintin au pays du procès, c’est le droit de parodier qui l’emporte !