La crise sanitaire qui sévit depuis plusieurs mois a notamment été marquée par l’organisation massive du télétravail. Les salariés jouent un rôle majeur, celui de rester chez soi pour limiter la transmission du virus. Selon un rapport d’Eurofound, c’est plus d’un tiers des travailleurs de l’Union européenne qui ont commencé à télétravailler pendant le confinement, alors qu’ils étaient 5% avant la pandémie. Toutefois, le passage au numérique doit être gouverné par le respect des droits de l’Homme et avoir un impact positif sur les travailleurs et leurs conditions de travail.Pour parvenir à cette fin, il est essentiel de faire respecter le droit à la déconnexion du salarié.
Des frontières entre la vie privée et la vie professionnelle brouillées : le constat du télétravail
Le télétravail a pour conséquence immédiate ce qu’il convient de nommer « la culture de la connexion permanente ». Lorsque le lien avec le travail se veut constant, ce dernier empiète sur la vie personnelle, à tel point que les frontières entre le privé et le professionnel se veulent brouillées. Il faut noter que 27% des personnes interrogées dans le cadre du rapport Eurofound, ont déclaré avoir travaillé pendant leur temps libre afin de satisfaire les exigences du travail.
Il est nécessaire que les entreprises optent pour une approche raisonnée de l’utilisation des outils numériques. Une utilisation appropriée peut avoir des impacts positifs sur la santé physique et mentale des individus en ce qu’elle permet une augmentation de la productivité, une baisse du stress et de la fatigue ainsi qu’une meilleure organisation du temps. A contrario, une approche irraisonnée implique des effets préjudiciables sur la santé physique et mentale des individus. Pour de nombreux travailleurs, le télétravail en 2020-2021 a été le synonyme de l’allongement des heures de travail, des exigences plus élevées des employeurs, la fatigue professionnelle ou encore le stress technologique.
Il est aujourd’hui nécessaire d’adapter les droits du travailleur aux réalités de l’ère numérique. Le législateur français s’est engagé dans cette voie, dès 2016.
Le droit à la déconnexion encadré par le législateur français dès 2016
Très tôt, les juges ont pu affirmer qu’en déterminant la sphère professionnelle, il serait possible de dessiner les contours de la vie personnelle. Ainsi, la Cour de Cassation a reconnu dès 2004 le droit au salarié de refuser de répondre aux appels téléphoniques en dehors des horaires de travail. (Cass. soc., 17 juill. 2004, no 01-45.89). C’est dans cette même logique que le législateur est venu encadrer le droit à la déconnexion. La loi n°2016-1088 du 8 août 2016 consacre le droit à la déconnexion dans l’article L2242-17 du Code du travail. Le législateur cherche à favoriser l’innovation tout en apportant une sécurité juridique et un accompagnement des acteurs.
Toutefois, le Code du travail n’apporte pas de définition claire et précise du droit à la déconnexion, ni des modalités de son exercice. Il renvoie aux entreprises le soin de définir les modalités du droit à la déconnexion. Dans les entreprises de 50 salariés et plus, l’employeur doit engager chaque année, une négociation sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de la vie au travail. Cette dernière porte notamment sur les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion par les salariés ainsi que sur les dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques. À défaut d’accord concernant le droit à la déconnexion, l’employeur doit élaborer une charte après avis du Comité Social et Economique.
Mais qu’en est-il de son effectivité suite à la généralisation du télétravail ? Inévitablement, le cloisonnement entre la vie professionnelle et la personnelle s’effrite. Il conviendrait de renforcer l’information des travailleurs au sujet du droit à la déconnexion, et de faire de ce droit, un droit reconnu à une plus grande échelle.
L’appel à la consécration du droit à la déconnexion au niveau de l’UE
Le 21 janvier dernier, une grande partie des députés européens ont adopté une résolution en faveur du droit à la déconnexion. Ils estiment que ce droit est un droit fondamental. En effet, il est nécessaire de veiller à la protection des droits fondamentaux du travailleur, à l’égalité salariale homme-femme, aux conditions de travail équitables, au respect du temps de travail du travailleur ainsi qu’à sa santé et à sa sécurité.
Les députés européens réclament à la Commission Européenne une directive qui viendrait fixer les exigences minimales pour le travail à distance, les conditions et les heures de travail ainsi que les temps de repos. Ils proposent une définition de la déconnexion comme « le fait de ne pas se livrer à des activités ou à des communications liées au travail au moyen d’outils numériques, directement ou indirectement en dehors du temps de travail. » Au regard de la proposition de directive, les Etats membres de l’Union européenne devraient veiller « à ce que des modalités détaillées soient adoptées après consultation des partenaires sociaux au niveau pertinent pour permettre aux travailleurs d’exercer leur droit à la déconnexion et que les employeurs mettent en œuvre ce droit de manière équitable et transparente. ».
Par conséquent, ils doivent veiller à ce que les employeurs remplissent un devoir de déconnexion en fournissant aux salariés des informations claires, suffisantes, appropriées sur le droit à la déconnexion, mais également une déclaration indiquant les conditions de convention collective ou d’accord préalable. Dorénavant, c’est à la Commission européenne d’indiquer si elle donne suite, ou non à la demande du Parlement européen.