Procès IKEA : retour sur le régime de la surveillance en droit du travail

L’enseigne Ikea, connue pour ses dédales et sa communication haute en couleur, a déjà eu son lot de procès. Un nouveau procès relatif à la surveillance illégale des salariés dans les entreprises françaises s’est ouvert le 22 mars dernier.

I. Introduction au Procès Ikea

L’affaire a commencé par la mise en lumière par Médiapart et le journal satirique Le Canard Enchaîné qui ont dénoncé des systèmes de surveillance illégaux se fondant sur le fait que les dirigeants de magasins auraient sollicité un enquêteur privé pour recueillir des informations ciblées. Cette société privée a utilisé un fichier policier sous la forme d’un STIC (Système de traitement des infractions constatées) qui comprend de nombreuses informations personnelles dont notamment les infractions commises et le patrimoine des intéressés. Ce système a été couplé à la mise en place de “taupes” aux caisses. Il s’agissait de faux salariés qui avaient pour mission de contrôler l’activité des salariés dans le viseur. Cette affaire est donc l’occasion de reprendre les fondamentaux du droit du travail qui gouvernent le régime juridique de la surveillance des salariés.

II. Rappel du régime juridique des salariés sous surveillance

Ainsi, la mise sous surveillance des salariés est réglementée par le Code du travail. En effet, les moyens de contrôles utilisés par l’employeur ne doivent pas apporter aux droits et libertés des salariés des restrictions qui ne seraient ni proportionnées ni justifiées par la nature de la tâche à accomplir. Il ressort de l’article 9 de la Constitution et de la DDHC (Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen) que le respect à la vie privée du salarié a une valeur constitutionnelle, et qu’il s’agit donc d’un des principes fondamentaux de nos sociétés. Le Conseil Constitutionnel, dans une décision n°94-352, a en effet reconnu la valeur constitutionnelle de la vie privée du salarié, par rattachement au principe de la liberté individuelle, principe constitutionnellement garanti.

De plus, pour que le moyen de contrôle soit valide, les salariés ainsi que le CSE (Comité Social et Economique) doivent être informés au préalable de sa mise en place. Ces exigences légales se couplent au principe de loyauté qui guide l’exécution du contrat de travail. En d’autres termes, le principe de respect de la loyauté implique de rejeter les preuves obtenues de manière déloyale c’est-à-dire soit en violation du respect de la vie privée et de ses différentes composantes soit, à cause du caractère clandestin du procédé de preuve utilisé.

La chambre sociale de la Cour de cassation prohibe l’utilisation de stratagèmes destinés à piéger le salarié depuis un arrêt du 16 janvier 1991. Elle n’hésite pas à réitérer son attendu de principe dès qu’il est nécessaire : “La loyauté, qui doit présider aux relations de travail, interdit à l’employeur de recourir à des artifices et des stratagèmes pour placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être imputée à fait.”

Pour rappel, comme précisé par l’article 10 du Code de procédure civile (CPC), les procédés de surveillance mis en œuvre sans respect des obligations précitées sont illicites. Cela signifie donc que les éléments recueillis par des procédés de mise sous surveillance des salariés ne pourront servir de preuve des fautes commises par un salarié. 

Ainsi, les filatures par un supérieur hiérarchique (Cass. soc., 26 nov 2002, n°00-42.401) ou par un détective privé (Cass. soc., 23 nov 2005 n°03-41. 401) ne pourront servir de preuve. En revanche, la simple surveillance interne à l’entreprise d’un salarié par son supérieur hiérarchique est admise (Cass soc, 26 avril 2006, n°04-43.582). Cependant, sur ces questions de filatures, de récentes jurisprudences semblent montrer une évolution réservée aux faits de harcèlement : la Cour de cassation a jugé que l’enquête menée par une entreprise externe à la demande d’un employeur, à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement, sans en informer préalablement l’auteur, n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 1222-4 et n’est donc pas contraire au principe de loyauté de la preuve (Cass. soc.,  17 mars 2021, FS-P+I, n° 18-25.597).

En parallèle, ont été déclarés licites les moyens de preuve si ceux-ci découlent de la simple application du contrat de travail. Par exemple, la simple surveillance interne à l’entreprise d’un salarié par son supérieur hiérarchique est admise. En d’autres termes, sont donc licites les moyens de preuve n’ayant pas été préalablement portés à la connaissance du salarié s’il ne s’agit pas de l’introduction d’un moyen de surveillance spécifique. Par exemple, l’utilisation des relevés des communications téléphoniques (Cass soc, 04 avril 2012, N° 10-20.845) ou encore la production d’un SMS (Cass soc, 23 mai 2007, n°06-43.209) sont des moyens de preuve licites, puisque le salarié, par bon sens, sait que de telles télécommunications laisseront des traces utilisables.

III. Conclusions de l’affaire

Malgré un régime juridique affirmé par la chambre sociale de la Haute juridiction depuis de nombreuses années, l’enseigne d’origine suédoise s’est affranchie des règles légales. 120 parties civiles se sont constituées ayant intérêt à agir soit tout autant de victimes. Lors du procès, le parquet a requis 2 millions d’euros d’amende contre Ikea France et un an de prison ferme à l’encontre de l’instigateur de cette pratique, un ex-PDG. La procureure a qualifié ce procès de “message fort” envoyé à “toutes les sociétés commerciales” via l’enjeu de “la protection de nos vies privées par rapport à une menace, celle de la surveillance de masse”.

Le Tribunal de Versailles a mis son jugement en délibéré au 15 juin prochain.

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