La pratique des prix de transfert avec sa visée internationale est au cœur des politiques étatiques et même de l’OCDE. Cette dernière a permis la mise en place de Principes en 1995 et 2010 en tant que lignes directrices proposées aux différents États. Parallèlement, l’Union Européenne a également mis en place la directive DAC 6 qui oblige les contribuables à renseigner les dispositifs transfrontières de montages agressifs effectués.
Bercy contre l’optimisation via les prix de transfert
Depuis déjà 1 an, doit être déclaré tout montage transfrontière ayant un caractère potentiellement agressif du point de vue du droit fiscal vis-à-vis de DAC 6. Un tel défaut de l’obligation déclarative peut se solder par des sanctions financières (de 5 000€ à 10 000€ par manquement dans la limite de 100 000€ par année) pouvant être majorées de pénalités en cas de contrôle. Ces mesures de transparence fiscales se complètent par l’adoption de la politique de name and shame par Bercy.
Hormis ces nouveaux dispositifs, le juge de l’impôt a rendu une jurisprudence abondante en matière de transfert indirect de bénéfice à l’étranger au visa de l’article 57 du CGI. À ce titre, une présomption de la pratique est instituée dès qu’un lien de dépendance peut justifier l’absence de contrepartie des charges comptabilisées. Il y a donc une réincorporation aux résultats de l’entreprise des bénéfices indirectement transférés à des entreprises sous leur dépendance ou contrôle, situées hors de France. Nombreuses sont les pratiques neutralisées par ledit article, tels que les achats ou ventes de biens ou services intragroupes à prix minorés ou majorés, les prêts sans intérêts, les cautions gratuites ou encore la prise en charge injustifiée de frais incombant à la société étrangère. D’ailleurs, même si les principes de l’OCDE ne sont pas des normes pourvues d’effet juridique en droit interne, ils n’en restent pas moins un guide d’application.
On voit dès lors l’importance d’allier droit interne et droit international. En ce sens, l’Union européenne prend à cœur les réformes antifraudes fiscales comme le bouclier antifraude fiscal réprimant les six pratiques les plus courantes en matière d’évasion fiscale.
Le cas des montages prix de transfert Starbucks et Amazon
Face à la pratique des rescrits fiscaux en matière de prix de transfert (rescrit APP ou APA), la Commission européenne s’est prononcée sur la légalité desdits rescrits accordés aux multinationales telles que Fiat, Apple, Amazon ou Starbucks. D’après la Commission européenne, de tels rescrits se caractérisent comme des aides étatiques conduisant à la limitation du principe de pleine concurrence (voir art Le principe et la gestion déclarative des prix de transfert).
Amazon : annulation de la décision pour absence de preuve de l’octroi d’aides en matière de prix de transfert
Dans l’affaire concernant Amazon, la Commission avait déclaré que le Luxembourg, pays d’établissement d’Amazon pour la distribution de toutes les ventes en Europe, a permis la non-imposition de ¾ des bénéfices effectués. Cela fut accordé au moyen d’un transfert des droits de propriété intellectuelle à une société holding luxembourgeoise, non assujettie à l’impôt du fait de sa forme juridique, avec le paiement d’une redevance. Toutefois, cette société holding n’ayant ni salariés, ni bureaux, ni activité commerciale, fut perçue comme une coquille vide détenant exclusivement les droits de PI pour l’Europe dans le cadre d’un APP, sans en faire un usage actif.
Figure 1 : schéma de la structure européenne du groupe Amazon
Alors que la Commission demandait le remboursement de 250 millions d’euros, montant du rabais fiscal, le tribunal de l’UE, dans un recours en justice formé par le Luxembourg et le géant du e-commerce, énonce « qu’aucun des constats exposés par la décision attaquée ne suffit à démontrer l’existence d’un avantage (…) de sorte qu’il y a lieu de l’annuler dans son ensemble ».
Nike : confirmation de la décision contre les accords de prix de transfert
Dans un autre arrêt, des différents rescrits accordés par les Pays-Bas à Nike (Nike European Operations Netherlands BV, appelé NEON) et à Converse (Converse Netherlands BV, appelé CN), déterminent des accords préalables en matière de prix de transfert (APP). Ce faisant, la Commission est venue examiner de telles opérations selon l’article 108, paragraphe 2 du TFUE.
Les aides fiscales permettent, tout comme dans la décision Amazon, l’attribution de droits de propriété intellectuelle liés auxdits produits au titre d’une redevance. La Commission effectue un rappel au principe de pleine concurrence tout en apprenant de la jurisprudence Amazon. Elle a effectué une évaluation à partir des différents documents transmis évitant tout défaut de motivation.
Figure 2 structures attaquées dans la décision Nike
Ainsi, le tribunal a conclu qu’aucun des moyens énoncés par Nike au sujet de la décision de la Commission n’en permettrait son annulation. On voit dès lors l’importance de la charge de la preuve notamment avec les décisions Apple et Starbucks. À cet égard, la non-justification d’un prix excessif du fait de l‘absence d’analyse par la Commission a permis auxdites sociétés de gagner les recours en annulation.
Nombreux sont les montages utilisés par les entreprises qui font débat tels que celui d’Uber, la firme aux cinquante sociétés-écrans basées aux Pays-Bas. En l’espèce, « Malgré un chiffre d’affaires mondial de 5,8 milliards de dollars [4,7 milliards d’euros] en 2019, Uber a réussi à déclarer aux impôts une perte de 4,5 milliards ». Toutefois avec le projet de l’OCDE d’une taxation des multinationales, l’érosion de la base d’imposition est l’épicentre des dispositions du Pilier 1.